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Bolivie : Un décalogue pour Evo, par Atilio Borón - Página 12.


Rebelion, 10 janvier 2006.


Quelques heures après le triomphe d’Evo Morales, la sécrétaire d’Etat, Condolezza Rice, a déclaré qu’elle attendait du nouveau mandataire qu’il "gouverne démocratiquement". De la même manière, le porte-parole de la Maison Blanche précisa que la relation entre les Etats-Unis et la Bolivie sera fondée sur l’engagement de Morales pour « la démocratie et les principes que nous prônons fermement dans cet hémisphère ».


L’auteur de ces lignes a pu consulter la note diplomatique que la Maison Blanche a envoyée au président élu bolivien, et qui contient les recommandations nécessaires pour installer en Bolivie une démocratie de style étasunien.


1- « Réformez le régime électoral. ». Dans la démocratie étasunienne il n’est pas nécessaire d’obtenir la majorité du vote populaire pour être élu président. Al Gore a battu George W. en l’an 2’000, cependant celui-ci est resté à la Maison Blanche. Il y a des mécanismes démocratiques, extrèmement perfectionnés aux Etats-Unis, qui garantisent l’obtention de ce miracle politique : celui qui perd, gagne.


2- « Finissez-en avec le vote obligatoire. » Arrangez-vous pour que les plus riches seulement votent. Pour cela disposez que les élections se réalisent pendant des journées laborales et des horaires de travail, comme nous le faisons : le premier mardi de novembre, tous les deux ans.

De cette façon seuls les meilleurs et les plus responsables prendront part aux élections. Nous disposons de la technologie pour éviter que les chômeurs aient la mauvaise idée de vouloir voter.


3- « Stimulez le financement privé des partis politiques. » Ainsi les forces du marché pourront vous donner les ressources pour acheter des votes, des politiciens, des faiseurs de sondages, des « communicateurs sociaux » et tout ce dont on a besoin pour gagner une élection. Ne vous inquiétez pas si les grandes entreprises offrent aussi de l’argent à votre adversaire. Ou si quelqu’un vous dit que la politique n’est qu’un simple jeu au cours duquel deux millionaires s’affrontent pour voir lequel commande. Si vous gouvernez bien, vous deviendrez aussi millionaire, comme le sont devenus de nombreux présidents démocratiques en Amérique latine.


4- "Modifiez la composition de la Cour Suprème. » Si George W. a pu gagner en l’an 2’000, même en ayant perdu, c’est parce que deux Cours Suprèmes, celle de la Floride et la Fédérale, ont avaliser la manouvre qui a permis de corriger l’erreur de l’électorat. Celle de la Floride fut « recomposée » par le frère Jeb, et celle de Washington par papa George. Aussi, si vous voulez être démocratique, faites en sorte que votre père et votre frère désignent une cour suprème d’amis inconditionnels ; s’ils n’y parviennent pas, faites-le vous-même.


5- "Surveillez la racaille." Doutez des citoyens. Excercer un contrôle strict des livres qu’ils lisent, des bibliothèques qu’ils fréquentent, des amis qu’ils visitent, des organisations dans lesquelles ils militent, des manifestes qu’ils signent. Que vos services secrets écoutent et enregistrent leurs conversations téléphoniques et consultent leur correspondance. Ne tenez pas compte des ordres judiciaires ou des lois, qui en général protègent les terroristes. Ici nous le faisons régulièrement, avec de magnifiques résultats.


6- « Aucune concession aux opposants. » Discalifiez-les comme « anti boliviens », narco-terroristes ou traîtres. Les plus récalcitrants, faites comme nous et envoyez-les secrètement dans des centres clandestins d’interrogatoires dans des pays tiers - défenseurs inconditionnels de la démocratie - où la torture est légale. De cette manière on décourage leurs complices et on obtient des informations précieuses pour défendre la démocratie, la liberté et les droits humains.


7- « Censurez la presse. » Et assurez-vous que seules les informations officielles sont diffusées. Voyez ce que nous sommes en train de faire en Irak et en Afghanistan : les grands médias graphiques et électroniques de notre pays publient seulement ce que Messieurs Rumsfeld et Dick Cheney veulent publier. En presque trois ans de guerre, le public n’a pas vu une seule goutte de sang, un mort ou un mutilé. Oubliez la Société Interamericaine de Presse et les « Reportères sans frontières » : ils nous appartiennent et nous les maintenons pour attaquer Cuba et le Venezuela.


8- « Oubliez les droits humains. » Ils ne sont qu’un joker pour harceler les rouges, qui ne sont pas des personnes mais des ennemis de la civilisation, et qui doivent être combattus sans quartier. Copiez ce que nous faisons à Guantánamo et à Abu Ghraib : ni prisonniers de guerre, ni détenus, ni jugés. Ne vous laissez pas intimider par le vacarme des organisations des droits humains. Si vous n’en avez pas les moyens en Bolivie, nous pouvons vous louer un pavillon à Guantánamo. Souvenez-vous que nos terroristes nous les protégeons et nous les appelons « les combattants pour la liberté ».


9- « Gouvernez avec les marchés. » Ne vous laissez pas tromper par les communistes, qui ont dénaturé la pensée de Lincoln. Celui-ci n’a jamais dit que la démocratie c’était « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». La traduction correcte c’est « le gouvernement des marchés, par les marchés et pour les marchés ». Rappelez-vous que seul le libre marché garantira la grandeur et la prospérité de tous les boliviens. C’est la faute des démocrates qui retardèrent la « sélection naturelle » des marchés si nous avons 40 millions de pauvres. N’essayez pas de gouverner contre les vents de la globalisation. Le FMI, la BM et le BID vous aideront, comme ils l’ont déjà fait pour l’Argentine.


10- "Semez la démocratie." Suivez notre exemple. Si vous voyez qu’un de vos voisins stimule des politiques qui pourraient affecter la sécurité nationale bolivienne, ne restez pas les bras croisés. Envoyez vos agents pour y organiser, financer et déchaîner l’opposition qui, dans ces pays dominés par la gauche, est souvent faible et impuissante : accusez le gouvernement de faire partie de l’axe du mal, bloquez son économie, incitez à la réalisation de sabotages et d’attentats terroristes, empêchez que les boliviens visitent ce pays, dénoncez-le d’être en connivence avec Saddam, Bin Laden et les narcos, et préparez une proposition de « changement de régime » pour libérer le pays de ses oppresseurs. Ne vous souciez pas de votre image internationale : Vargas Llosa et les « parfaits crétins latino-américains » mettront rapidement leurs plumes au service de votre cause, nous les payons pour ça.

Atilio Borón, Página 12.

 Source : www.rebelion.org/noticia.php ?id=25281




[ La « guerre de l’eau » d’abord, et la « guerre du gaz » maintenant - qui est la vraie raison du conflit - font de la Bolivie un des pays les plus existants au monde. Un pays très moderne et d’avant-garde. Parce que c’est là que se joue la partie entre la mondialisation néo-libérale et la mondialisation des droits et des ressources humaines. ]
La guerre juste d’un pays à l’avant-garde, par Maurizio Matteuzzi.


Bolivie, 22 janvier : Les mineurs et les paysans escorteront le nouveau président.

Bolivie : « Les cocaleros au pouvoir... » selon le Monde, par Gérard Filoche.


Bolivie, 18 décembre : Evo Morales premier Président Indien ? L’Amérique Latine dit "No mas", par Jason Miller.

Bolivie, Notre Victoire, par Graciela Ramà­rez.

Une nouvelle vague révolutionnaire traverse la Bolivie, par Jorge Martin, + chronologie de la crise bolivienne.



 Dessin : Luciano Daniele


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