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Contre le CPE, l’union autour des jeunes et cassure profonde, par M. Endeweld et M.Gregori.






Le Courrier, mardi 28 mars 2006.


Face à l’intransigeance de de Villepin, syndicats salariés et syndicats étudiants restent unis. Mais, après deux mois de mobilisations contre le « Contrat première embauche », l’arrivée en politique d’une nouvelle génération de jeunes « exaspérés » constitue un nouveau défi à relever pour le mouvement social et pour l’ensemble des forces de gauche.


Dans la crise politique que traverse la France, le seul mérite de Dominique de Villepin est peut-être d’avoir permis l’union sans faille des forces syndicales dans leur ensemble - syndicats de salariés et syndicats d’étudiants - autour des jeunes français - étudiants, lycéens et précaires -, mobilisés depuis deux mois contre la mise en place du CPE (Contrat première embauche, lire ci-contre). En effet, l’intransigeance dont fait preuve le premier ministre français depuis des semaines pour imposer sa loi sur « l’égalité des chances », dont fait partie le CPE, explique en grande partie la grande cohésion du mouvement social français dans cette nouvelle lutte.

Après la rencontre de vendredi dernier entre M. de Villepin et les cinq grandes confédérations syndicales, François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, s’en amusait : « Le premier ministre n’avait rien à nous dire, il nous donne rendez-vous après mardi et il nous demande en quelque sorte de bien réussir notre manif ! » Derrière l’ironie, cette déclaration est d’importance puisqu’elle marque l’engagement de la CFDT à débuter les négociations une fois seulement le retrait du CPE acquis. De son côté, le secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault, a expliqué ce week-end qu’il n’était pas la « bouée de sauvetage » du premier ministre. Ainsi, malgré les tentatives du gouvernement de diviser le mouvement, les deux principaux syndicats de salariés, la CGT et la CFDT, se rejoignent pour l’instant sur une même ligne, fait sans précédent depuis une vingtaine d’années. Benjamin Vételé, vice-président de l’Unef, l’un des principaux syndicats étudiants anti-CPE, s’en félicite : « Mardi ça devrait être une grande réussite ! Villepin est déjà parvenu à fédérer contre lui un large front du refus. »


En attendant, Dominique de Villepin joue la carte du pourrissement

La maladresse du premier ministre n’explique pas pour autant l’ampleur d’une mobilisation qui exprime d’abord une intense souffrance sociale chez les jeunes et les moins jeunes : « Pourquoi le CPE cristallise-il autant d’oppositions ? On n’est pas en face d’un conflit traditionnel, il exprime surtout une crise sociale profonde, la montée des exaspérations, la déconsidération de la classe politique. Après des années de rancoeur, le terreau était fertile, analyse René Valadon du syndicat Force Ouvrière, les salariés n’ont pas loupé cette occasion pour répondre au mépris du gouvernement durant l’année 2005. » Car, si les jeunes sont les premiers touchés, les syndicats sont bien conscients de la volonté du gouvernement de « réformer » l’ensemble du droit du travail vers plus de précarité, répondant ainsi aux attentes du patronat français. Reste que, sans la mobilisation massive des étudiants et des lycéens, les syndicats de salariés n’auraient pas pu affronter le gouvernement avec autant de vigueur.

En attendant, Dominique de Villepin joue la carte du pourrissement : « Le gouvernement fait un pas en avant, un pas en arrière. Nous avons aujourd’hui un vrai problème d’interlocuteur, on ne sait pas où va le gouvernement, on est un peu inquiet. Si rien ne change, on entretra dans une crise très importante », estime Benjamin Vételé. De son côté, Annick Coupé, porte-parole de l’Union syndicale Solidaires, remarque : « Le gouvernement opte pour la stratégie du pire. » A moins que le premier ministre n’espère sauver la face en fin de semaine avec une éventuelle annulation d’une ou plusieurs parties de la loi sur « l’égalité des chances » par le Conseil constitutionnel...

Face à la colère des jeunes, cette posture gouvernementale semble irresponsable. D’autant que le mouvement, qui s’est développé depuis bientôt deux mois au sein des universités et des lycées, est loin d’être uniquement suscité par les traditionnels syndicats étudiants. Car si l’Unef a joué, dès janvier, un rôle d’information sur le CPE, ce syndicat n’a pas réussi à lui seul à initier une mobilisation nationale de masse. Jean-Marie, étudiant à Rennes, raconte : « Moi, je suis syndiqué, mais dans le mouvement, je ne travaille pas pour mon syndicat. L’ampleur du mouvement a dépassé les organisations syndicales étudiantes. » En effet, des lieux habituellement peu réceptifs à la contestation sociale sont soudain animés d’un même désir de prise de parole, comme la Faculté de droit de Toulouse. Et la base du mouvement est d’abord constituée par de nombreuses coordinations étudiantes et lycéennes qui se sont créées en quelques jours.


Aujourd’hui, les étudiants ont véritablement conscience que leur combat est proprement politique en termes de choix de société.

A cette occasion, à travers les coordinations, de nombreux jeunes non syndiqués, et généralement méfiants à l’égard des organisations syndicales, se sont totalement investis dans la mobilisation. C’est le cas de Julien Vialard, membre de la coordination de Poitiers : « Les étudiants ont peur des étiquettes et de la récupération. Habituellement, les syndicats étudiants sont à côté de la plaque. Ils négocient pour tout le monde, alors qu’ils ne représentent pas grand-chose. Si les étudiants se mobilisent, on n’a pas le droit de les berner », explique-t-il. Bien sûr, au plan local, les syndicats étudiants participent également à ces coordinations. Et celles-ci travaillent main dans la main avec les salariés syndiqués qui leur apportent des moyens matériels. D’ailleurs, « il existe une véritable complémentarité entre organisations étudiantes et coordinations, analyse Lilian Mathieu, sociologue au CNRS, Il ne s’agit pas seulement d’une mobilisation "spontanée" qui serait désorganisée. Mais il y a une réelle méfiance des étudiants à l’égard des structures politiques, notamment à l’égard du PS. Dans les années 1980, ils s’affichaient comme apolitiques alors qu’aujourd’hui les étudiants ont véritablement conscience que leur combat est proprement politique en termes de choix de société : le néolibéralisme a été clairement identifié comme adversaire. »

Pour Clémentine Autain, adjointe au maire de Paris chargée de la jeunesse, et proche du PC, « la gauche doit répondre à cette jeunesse qui ne se sent pas représentée, en se recentrant sur des choix de société clairs. Dans les débats auxquels je participe, beaucoup de jeunes m’interpellent tout en étant méfiants à l’égard de ma fonction d’élue. »

A travers les assemblées générales, les étudiants élargissent ainsi leurs revendications à la précarité, à la privatisation de l’enseignement... « C’est la démocratie à tous les étages », souffle un étudiant de Toulouse. Des films sont projetés, des débats au long cours sont organisés sur l’avenir de l’éducation, la société de consommation... « On n’a pas un discours révolutionnaire, mais on essaye de trouver des alternatives, s’exclame Julien. On n’est pas là pour suivre le programme d’un tel ou d’un tel. On est un mouvement unitaire, mais derrière il n’y a pas une parole. L’essentiel est d’avancer, d’améliorer la situation des étudiants et des futurs travailleurs. » En réclamant, ce week-end, la démission du gouvernement, la coordination nationale exprime une nouvelle fois son exigence de démocratie.

D’ailleurs, l’intersyndicale elle-même ne s’y est pas trompée, en acceptant dernièrement une délégation de celle-ci : « C’est très positif, estime Annick Coupé, c’est quand même la première fois que ces organisations reconnaissent qu’il y a une coordination étudiante. » Mais les enjeux sont importants : « C’est une nouvelle génération en lutte et qui touche des questions de fond. L’ensemble des syndicats doit faire attention, d’une certaine manière l’avenir du syndicalisme se joue dans ce mouvement, analyse la syndicaliste, tout le monde comprend qu’on a intérêt à être ensemble. Pour le monde syndical c’est un vrai défi : soit il montre qu’il est capable de défendre des revendications, soit il se discrédite. »

Marc Endeweld



La cassure est profonde


Edito du mardi 28 Mars 2006, par Marco Gregori.


La France devrait vivre aujourd’hui au rythme de la grève. Pourtant qui aurait parié, il y a deux mois lorsque le premier ministre Dominique de Villepin annonçait la création du Contrat première embauche (CPE), que la contestation étudiante prendrait une telle ampleur ? Sûrement pas l’actuel locataire de Matignon, lui qui peine manifestement à comprendre pourquoi tout un peuple d’étudiants -entraînant dans son sillage les principales organisations syndicales et avec le soutien de très nombreux salariés- marque hic et nunc une opposition farouche à son plan, après plus de deux décennies de précarisation des conditions de travail en France.

Au fond, bon nombre d’étudiants ne sont-ils pas précaires lorsqu’ils vivent de petits boulots pour essayer de financer leurs études ? Même le Medef, la grande association patronale française, se demande désormais s’il est opportun de maintenir ce CPE, alors que le mécontentement ne fait que grandir. C’est dire si l’économie peut se passer de cette déréglementation ou, du moins, attendre le retour au calme pour en faire passer une autre. Certes, l’attitude intransigeante -psychorigide, disent certains- du premier ministre et ses fausses ouvertures au dialogue ont certainement envenimé le débat. Mais cela ne suffit de loin pas à tout expliquer. La cassure semble beaucoup plus profonde.

Pendant des années, la population en général et les moins de 25ans en particulier ont dû se contenter de promesses faites à la France d’en bas, ainsi que de discours politiques abscons sur la reprise économique créatrice d’emplois et sur les conditions cadres favorisant la croissance. Le tout illustré par de beaux graphiques et emballé de belles phrases apprises à l’ENA (Ecole nationale d’administration). Puis, la crise des banlieues a fait irruption l’automne passé. Après les premières images chocs ayant amené le gouvernement à décréter l’état d’urgence est venu le temps des analyses. Et l’on s’est assez vite aperçu que de nombreux jeunes dénonçaient leur ghettoïsation et s’insurgeaient contre une absence totale de perspective d’avenir.

Les étudiants et lycéens, qui, il y a un mois, ont entamé un bras de fer contre le gouvernement Villepin, sont porteurs de revendications similaires. Ils refusent de continuer à être, comme l’ont été leurs aînés, les simples faire-valoir du patronat et les porteurs d’eau des actionnaires. Alors les déclarations faites à nos confrères de l’Hebdo [1] par Azouz Begag, ministre délégué à la Promotion de l’égalité des chances, pour qui « les banlieues se font voler leur colère », sonnent comme une insulte et s’appuient sur un mensonge.

Insulte parce qu’elles supposent que les revendications des banlieusards seraient récupérées par des étudiants prétendument déjà trop gâtés. Mensonge parce qu’elles occultent sciemment le fait que les lycéens et étudiants des banlieues participent activement aux actions anti-CPE, et pas pour casser du flic ou des vitrines. Stratégie vieille comme le monde qui cherche à diviser ou, à défaut, isoler un mouvement dont l’unité affichée jusqu’à présent n’est pas le moindre de ses atouts.

Marco Gregori


- Source : Le Courrier www.lecourrier.ch

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A LIRE : Retrait du CPE/CNE = défense du CDI et reconquête d’un droit protecteur des salariés, par CGT - Inspecteurs du Travail.



CPE : L’enfermement et les impasses de M. de Villepin face à la France entière, par Gérard Filoche.

CPE : Dix arguments de M. de Villepin et dix réponses, par Gérard Filoche.

Galouzeau de Villepin, profession : Social Killer, par Antonio Molfese.


Témoignages Contrat Nouvelle Embauche.






















- Dessins : Christian Pigeon www.sudptt.fr


[123 mars 2006


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