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Démystifier la centralisation jacobine

Centralisation jacobine, centralisme jacobin, Etat jacobin. Expressions péjoratives souvent jetées à la face des personnes voulant renforcer l’autorité centrale, le pouvoir de l’Etat. Ces expressions font référence à la Révolution française de 1789. Lourdes de sens, lourdement fausses.

Journalistes et politiciens tartinent des feuillets entiers avec cette idée reçue de l’Etat jacobin. Expression souvent amère dans la bouche et la plume de ceux qui l’énoncent et l’écrivent. Amère et fausse, historiquement fausse. Sous cette expression se cache la dénonciation d’une centralisation excessive (renforcement du pouvoir central, de l’Etat au détriment des collectivités territoriales), héritière de la Révolution française. Ou plus précisément d’une partie de la Révolution, l’an II (1793-1794) des montagnards radicaux qui auraient centralisé à tout va. Ces fameux jacobins, centralisateurs pathologiques. Or si les débats sur l’efficacité ou non d’une centralisation sont légitimes, l’expression d’Etat jacobin pèche par ses présupposés historiques. La Révolution de 1789, du point de vue de son administration, n’a pas rimé avec centralisation mais intérêt de la nation. Peu importe la période considérée, surtout avant l’avènement du Directoire (1795). La centralisation souvent surestimée avant 1795, a été le fruit en grande partie des circonstances. Malgré tout, l’expression s’enracine et fait tache d’huile dans les médias. Ce début de mois de juin en atteste. Le Figaro (1er juin 2016), La Tribune (2 juin 2016), La Dépêche (2 juin 2016) ont chacun relayé cette expression opportune alors que s’achève le congrès des maires tenu entre le 31 mai et le 2 juin 2016.

Michel Biard a dirigé la rédaction d’un livre référence et collectif « La Révolution française, une histoire toujours vivante ». Une oeuvre préfacée par le spécialiste de la période Michel Vovelle et ouverte aux contributions d’éminents historiens tels Pierre Serna, Marcel Dorigny, Bernard Gainot, Jean-Clément Martin, Jean-Pierre Jessenne et d’autres. Michel Biard est l’auteur d’un chapitre synthétique sur cette supposée centralisation administrative attribuée aux révolutionnaires de l’an II (1793-1794). Dès avant la période incriminée, les Constituants de 1791, en majorité désireux de réformer la Monarchie mais non l’abolir, opèrent un nouveau maillage territorial et créent les départements, districts, cantons et communes. Il s’agit, selon l’historien, de « rationaliser les subdivisions administratives et de remplacer l’esprit de province par l’unité nationale ». Et désarmer le roi, Louis XVI. Rien à voir avec une hypothétique décentralisation qui se serait achevée de manière sanglante par la substitution d’une faction révolutionnaire par une autre (les montagnards remplacent les girondins à partir de juin 1793).

Ainsi que le note Michel Biard, dans chaque département est installé un « procureur général syndic », élu parmi les citoyens locaux et censé représenter le pouvoir exécutif central (le roi et ses ministres). Ce procureur, chargé de veiller à l’application des lois, assiste aux réunions et dispose d’une voix consultative. Par la force de son élection (citoyenne), sa portée morale est retentissante. D’autant que les modalités du vote aboutissent à l’élection d’un notable. D’une personne réputée. La nouvelle institution s’installe dans une ambiance survoltée. Les événements de l’été 1792 (les sans culottes qui s’emparent du palais des Tuileries le 10 août et réussissent à faire jeter le roi en prison, par exemple) font naître des dysfonctionnements de première ampleur. Des administrateurs de département se révèlent hostiles au renversement de Louis XVI. « Le 15 août, explique Michel Biard, pour avoir improuvé le décret qui suspend les pouvoirs du roi, le procureur général syndic et quatorze administrateurs du département des Ardennes, ainsi que le maire de Sedan, sont arrêtés sur ordre de l’Assemblée législative ». Un exemple comme tant d’autres, dans le flux des secousses qui perturbent le pays. C’est ce constat de dysfonctionnements qui mobilise l’Assemblée législative puis la Convention nationale autour du thème de la centralisation. Une centralisation réfléchie dans l’urgence. Qui prend ensuite l’habit des « représentants du peuple en mission ».

Les « représentants du peuple en mission » forment une institution provisoire exigée par les circonstances et les difficultés, en cette période troublée, à assurer la communication administrative. Ils se transmuent en véritable institution après la chute des girondins en 1793, soupçonnés – en grande partie à tort – d’être fédéralistes et traitres à la cause révolutionnaire. Néanmoins, l’institution n’a jamais été comprise autrement que sous l’angle du provisoire, de la nécessité circonstancielle. Pas question qu’elle survive à la fin des troubles. D’après Michel Biard imprégné des travaux cités en fin de chapitre, ces « représentants du peuple en mission » se sont comportés comme des « intermédiaires entre pouvoir central et pouvoirs locaux, entre pouvoirs et citoyens ».

Directoire et Consulat, adeptes de la centralisation ?

La Constitution de l’an III (1795) fonde un nouveau régime, en pleine vague révolutionnaire, le Directoire. Certains montagnards de l’an II évacués, place à une centralisation en germe. Avec les commissaires centraux, collés à chaque administration de département. Néanmoins, il n’y a toujours pas lieu d’exagérer la centralisation. Le commissaire central, nommé par le pouvoir exécutif et aux prérogatives plutôt réduites, a en face de lui des administrateurs départementaux élus.

La palme revient au Consulat (1799) avec la création des préfets, le 17 février 1800. Nommés directement par Napoléon Bonaparte, premier Consul. Le problème désormais, c’est que face à ces préfets, les autorités locales disparaissent. Pas tout puissants non plus, les préfets symbolisent malgré tout une réelle centralisation, cette fois-ci.

Florian Maroto

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