Beaucoup de gens ont l’impression - savent- qu’ils ont été grugés, lors de guerres précédentes. Mais ils se disent, j’ai été grugé les fois précédentes, mais la fois prochaine on ne m’aura plus…
Anne Morelli, historienne
Propagande de guerre propagande de paix(documentaire Béatrice Pignède - 2004)
Le conflit syrien et son traitement médiatique en France
Une fois n’est pas coutume, le traitement journalistique de la guerre en Syrie –sur laquelle est actuellement focalisée l’attention politico-médiatique [1]- remet une nouvelle fois au cœur du débat la place de l’information et le rôle des médias dans les conflits modernes.
Faut-il rappeler une énième fois qu’à notre ère de la société de l’information, les médias dominants sont plus que jamais utilisés comme dispositifs d’influence géopolitique, servant à modeler et préparer les opinions publiques selon les objectifs stratégiques des grandes puissances ? [2]
Si les médias internationaux des État (dont le but est de contribuer à former les opinions étrangères) s’inscrivent sans aucun doute parmi l’ensemble des instruments de « diplomatie publique » (terme inventé pour fournir une alternative à l’appellation négativement connotée de propagande) dont usent les gouvernements [3] [4], ils peuvent facilement compter sur le système médiatique dominant national [5] pour propager la mise en récit officielle à suivre, dûment accompagnée des éléments de langage adéquats et s’appuyant bien évidemment sur les mécanismes émotionnels habituels qui n’ont plus besoin de prouver leur efficacité.
Rôle central des agences de presse, concentrations et uniformisation des médias [6], ’circulation circulaire de l’information’[7], cloisonnement idéologique souvent inconscient de la part de la grande majorité des acteurs médiatiques, déplorable absence de rigueur et de professionnalisme journalistique, influence du politique dans le traitement de l’information, suivisme quasi-aveugle du discours officiel, impératifs de rentabilité et prépondérance de la recherche du profit maximal, guerre pour les parts de marché (revente du « temps de cerveau disponible »), intérêts croisés entre certains groupes médiatiques et le complexe militaro-industriel français [8]… nombreuses sont les tares qui expliquent la ’situation médiatique’ que nous vivons.
Le constat n’en est pas moins affligeant.
Avec le traitement médiatique du conflit syrien et sa couverture schizophrène, amnésique, orwellienne et hypocrite, nous avons atteint de nouveaux sommets dans l’art de la désinformation, la manipulation et la propagande.[9] Difficile de trouver d’autres mots tant les faits sont accablants.
En effet, une simplification manichéenne à outrance a voulu ramener l’analyse médiatique d’une guerre diablement complexe (au vue de la quantité d’acteurs tant internes qu’externes participant au conflit) à une lutte du bien (« les rebelles modérés ») contre le mal (le « régime du dictateur Bachar el-Assad »), et ceci dans un contexte plus global de nouvelle guerre froide entre les Etats-Unis et la Russie. [10] Autant dire une dangereuse partie d’échec géostratégique dans laquelle la France sert grossièrement de fou (ou servilement de pion) aux intérêts hégémoniques de la première puissance mondiale, dont le bras armé -l’OTAN- se montre chaque fois plus agressif [11].
Sur cet échiquier, le climat anti-russe entretenu par les médias dominants français [12] a en grande partie biaisé les analyses journalistiques au sujet du conflit syrien, imposant un point de vue et un discours atlantiste dans la grande majorité des salles de rédaction. Mis à part quelques notables exceptions (comme l’émission de France 2 Un œil sur la Planète - Syrie : le grand aveuglement [13]), les médias dominants n’ont eu de cesse d’alimenter la propagande anti-Bachar, renforçant la ligne politique du gouvernement français. [14]
Tout point de vue divergent du discours politico-médiatique officiel a été taxé soit de conspirationniste, soit de « pro-Poutine » [15], surtout suite au début de l’intervention militaire russe (octobre 2015). Le paroxysme du manichéisme et de la désinformation a été atteint durant les dernières semaines de la bataille d’Alep (qui a pris fin le 22 décembre 2016).
Morceaux choisis du côté des médias dominants, avec une dépêche AFP/article, un éditorial et un article d’opinion :
- « Syrie : la fin de la bataille d’Alep laisse craindre un massacre » [16], un article de 1500 mots dans lequel il ne sera pas fait mention une seule fois des groupes islamistes ou djihadistes prenant part aux combats face à l’armée loyaliste, laquelle est soutenue de son côté « par la Russie et les combattants du Hezbollah ». Non, il n’y a sur place -d’après cet article- que des « rebelles » ou des « insurgés ». Et bien entendu les civils, massacrés par les forces de Bachar al-Assad. Dans cet article, François Hollande ainsi que l’opposition anti-Bachar ont le droit à la parole afin de dénoncer « cette répétition de massacres à Alep dont la population est la cible » pour le Président français, « les forces du régime qui sont des lions contre les civils désarmés » pour le coordonnateur général du Haut Comité de l’opposition syrienne.
- L’Editorial du Monde du 13 décembre [17] vaut son pesant d’or. Une nouvelle fois, du côté des « rebelles », nous notons l’absence totale de référence à un quelconque groupe extrémiste ou étranger. Par contre, la description est plus précise dès qu’il s’agit de décrire l’adversaire : « Le principal fief de la rébellion était (…) en passe de tomber sous les coups de boutoir des avions russes et syriens, le déluge d’obus de l’armée ainsi que les assauts des multiples milices chiites – des Libanais du Hezbollah aux Afghans en passant par les Irakiens – encadrées par des officiers iraniens et russes. » Et de conclure sur de sombres présages : « La chute d’Alep (…) va être suivie d’une épuration politico-confessionnelle du type de celles observées dans les années 1990 en ex-Yougoslavie. Déjà, on parle de camps de regroupement pour les femmes et les enfants, et de disparitions en masse des hommes de moins de 40 ans. » Épuration, camps, disparitions de masse.. L’avenir nous dira si ces prophéties étaient fondées, mais force est de constater que jusqu’à aujourd’hui rien de cela ne s’est encore produit.
- « La chute d’Alep, c’est la victoire de la propagande complotiste » [18], titre Le Monde pour cet article d’opinion - assez effarant - dans lequel une historienne, chercheuse et enseignante à l’Institut de pédagogie de Bruxelles présente Alep comme le triomphe « de la propagande et de la confusion », puisqu’au « moment où les civils d’Alep-Est, massacrés à grande échelle par les pouvoirs de Damas et Moscou, tentent de fuir les bombardements aveugles, une narration d’inversion des réalités semble à certains égards l’emporter. » L’auteure s’aventure à dénoncer le manque de « rapport aux faits ajusté » véhiculés par les points de vues divergents, s’en prenant au « récit alternatif », aux « narrations de substitution » (de substitution à La Vérité, c’est-à-dire le discours politico-médiatique occidental officiel ?) qui représenteraient un danger car forcément faux puisque fruits de la « propagande d’acteurs extra-occidentaux », se servant de relais « intérieurs » et mettant en péril « nos libertés, nos droits, nos vies »… Tout un programme.
Tous médias confondus (télévision, radio, papier, internet, etc.), les mêmes vieilles ficelles de la propagande de guerre (diabolisation de l’ennemi, informations tronquées, manque de contextualisation, partialité, etc.) ont accompli leurs rôles auprès d’une grande partie de l’opinion publique, avec toutefois une place de plus en plus importante accordée aux réseaux sociaux [19] – plus spécifiquement Twitter et Facebook – pour diffuser rapidement et massivement les infos-récits jouant très fortement sur la corde émotionnelle [20] et favorisant donc les réactions viscérales, maintenant les esprits bien éloignés de la raison.
En définitive, connaître la vérité ne nous a pas été facilité par les mass-médias, et comme dans l’allégorie de la caverne de Platon, l’accès à une perception plus proche de la réalité n’aura été possible que pour les personnes parvenant à s’extraire du carcan médiatique dominant. Encore une fois, il a fallu se diriger vers les médias alternatifs [21] pour trouver une diversité de sources et de points de vue permettant une compréhension plus pertinente de la situation [22], ce qui a fait défaut chez l’énorme majorité des journalistes qui sont restés enfermés dans la bulle de leurs propres certitudes.
UN SEAU D’EAU FROIDE EN DIRECT SUR LCI… OU L’EXCEPTION QUI CONFIRME LA RÈGLE
Alors qu’en général les voix dissonantes sont noyées dans le flot du discours dominant, il arrive parfois – et même assez rarement pour le souligner, c’est le but de cet article – que les arguments allant à contre-courant du récit officiel soient à ce point aveuglants que même le plus docile des chiens de garde, le plus infaillible des éditocrates [24], le plus expérimenté des journalistes de plateau-télé, se voit obligé – oh crime absolu – de se remettre en question. Ou plutôt de remettre en question la version des choses auquel il avait été soumis et dont il avait participé à la diffusion à grande échelle.
Stupéfaction déconcertée, ahurissement et sûrement quelques gouttes de sueur, c’est le très jouissif spectacle que nous a offert Yves Calvi durant son émission 24 heures en Question diffusée en direct sur la chaîne LCI le 15 décembre 2016 dernier et ayant pour titre Alep : seule au monde [25].
En effet, ce soir-là, alors que la bataille d’Alep concentre toute l’attention médiatique et ne se résume, pour les médias dominants, qu’au bombardement de la ville et au massacre des civils par les troupes de Bachar al-Assad appuyées par l’aviation russe, Yves Calvi (mais cela aurait pu arriver à n’importe quel autre éditocrate, puisqu’ils sont de par nature interchangeables) se voit magnifiquement mis en difficulté journalistique quand tous ses invités sur le plateau, du début à la fin de l’émission, coïncident pour le mettre en porte-à-faux quant à ses convictions au sujet de la situation dans la ville syrienne.
Un grand seau d’eau glacée en direct pour un représentant du discours dominant dont l’ignorance sur le sujet qu’il est censé maîtriser est mise en évidence à la face du monde, une belle claque pour ce porte-voix de la vérité-officielle pour qui le monde paraît s’écrouler tout autour quand ses 4 invités lui jettent la vérité au visage : ses certitudes étaient erronées, les médias ont menti, il y a eu manipulation... Et nous devinons qu’il sait, en son for intérieur, qu’il porte une grande responsabilité, en tant que rouage actif du système.
Ses interrogations dubitatives proférées à voix haute traduisent un désarroi mal maîtrisé et nous, spectateurs, assistons alors à un moment de télévision presque historique : Calvi est obligé d’avaler la pilule rouge de Morphéus et, comme le personnage du film The Truman Show, il assiste à la chute du décor médiatique de la grande supercherie formant la bulle – et le monde – qui l’entoure. 26]
Moments choisis de cette émission qui restera dans les mémoires, du moins nous l’espérons dans celle d’Yves Calvi qui aura peut-être compris pourquoi tant de citoyens se montrent de plus en plus défiants face aux médias.
Les invités de l’émission :
– Frédéric Pons, journaliste, écrivain, spécialiste de géopolitique, professeur à Saint-Cyr et auteur de ’Poutine’ ;
– Isabelle de Gaulmyn, rédactrice en chef adjointe au journal La Croix ;
– Frédéric Pichon, professeur de géopolitique, spécialiste de la Syrie et chercheur associé à l’université François Rabelais de Tours, auteur de Syrie, pourquoi l’Occident s’est trompé aux éditions du Rocher ;
– et le général Vincent Desportes, professeur de stratégie à Sciences Po et HEC, a dirigé l’école de guerre et auteur de ’La Dernière Bataille de France’ chez Galimard.
1er extrait : « un peu de vrai et beaucoup d’intoxication et de désinformation sur ce qui s’est passé »
En guise d’introduction, Yves Calvi plante son décor : les nombreuses images traumatisantes, la destruction de la ville d’Alep, la préoccupation des français (et comment ne pas se préoccuper avec le battage médiatique incessant depuis de nombreux mois !?)… mais tout de suite son premier invité, Frédéric Pons, remet les choses en place : « On a assisté en tout cas en occident, en France, aux Etats-Unis en Europe à un déluge de mots extrêmement forts… on a parlé de génocide, massacres à grande échelle, il y a un peu de vrai et beaucoup d’intoxication, beaucoup de désinformation sur ce qui s’est passé… (…) [mais] il y a des précisions qui n’ont pas été données... »
Yves Calvi Insiste sur la force des images, « traumatisantes, touchantes, il est normal de ressentir de l’émotion... (…) On va tuer des gens dans les hôpitaux ! ». Frédéric Pons lui répond alors par des mots que les éditocrates n’ont pas l’habitude de se voir jeter à la figure : « intoxication, manipulation »… « On sait aujourd’hui que certaines images ont été manipulées par la propagande islamiste … Nos médias ne l’ont pas dit… » S’en suit un réquisitoire de l’Observatoire syrien des droits de l’homme... Quel culot cet invité, remettre en question une des principales sources des médias dominants depuis le début du conflit !
2nd extrait : « il n’y a pas les bons d’un côté et les mauvais de l’autre »
La parole est ensuite donnée à la rédactrice en chef adjointe de La Croix, qui ne fait pas seulement confirmer les dires de l’intervenant antérieur, se permettant aussi de donner une petite leçon d’objectivité et de professionnalisme au journalisme français : suivi du conflit depuis le début avec des sources sur place, compréhension de la complexité de la situation dont il serait incorrect de vouloir réduire à « les bons d’un côté et les mauvais de l’autre », silence médiatique lorsqu’Alep ouest était bombardée par les rebelles, et chute du mythe de la « révolution », auquel on a voulu donner une connotation trop romantique en France.
Et puis l’Arabie Saoudite commence à être mentionnée, ou plutôt son soutien à des gens « qui n’étaient pas forcement de grands démocrates... »
3ème extrait : « On a éteint la Tour Eiffel pour les djihadistes ! »
Attention ça fait mal : ici Frédéric Pichon explique qu’en réalité les derniers combats menés dans la ville se font contre des rebelles… qui sont en fait des djihadistes. C’est donc pour des djihadistes que la Tour Eiffel a été éteinte symboliquement la veille. Une vérité qui apparaît « très violente » aux yeux de Calvi, « après ce que l’on a cru percevoir pendant des semaines » mais « qui ne me semble pas pouvoir être mis en doute ».
Il s’accroche ce bon vieux Calvi, c’est tellement dur d’ouvrir les yeux et d’accepter que l’on a été trompé !
4ème extrait : « Ces djihadistes sont les mêmes que la France combat à Mossoul »
En 30 secondes, le général Vincent Desportes met Yves Calvi face à une réalité : les rebelles d’Alep sont des djihadistes, d’ailleurs ce sont les mêmes que la France combat avec ses rafales à Mossoul !
5ème extrait : « La presse française été suiviste par rapport à la diplomatie française »
Attention, il est ici question du traitement du conflit par les médias français. Parti pris anti-Bachar, suivisme de la diplomatie française, manque d’objectivité… Isabelle de Gaulmyn remet – gentiment – les pendules à l’heure.
6ème extrait : « Les médias dominants ont pris parti contre Assad, ils se sont mis des œillères »
Frédéric Pons : « Les médias dominants ont d’emblée pris le parti du camp rebelle contre Assad », ils « se sont mis des œillères et se sont interdit d’aller chercher d’autres sources d’informations que celles données par les djihadistes, (…) des gens qui sont nos ennemis (…) et des experts en désinformation. L’adage est bien connu, dans une guerre la première victime c’est la vérité ».
7ème extrait : « Sur la question du traitement médiatique … il y a eu des exagérations »
Dans cet extrait Yves Calvi sort une perle : voyant que les analyses de ses invités ne vont pas du tout dans le sens de ce qu’il s’attendait à entendre, il prévient sur son plateau : « Je voudrai juste qu’on ne fasse pas la première émission révisionniste de l’histoire récente en Syrie » !
Suite à cela, Frédéric Pichon précise assez paternellement que le système médiatique a en fait simplement été une « victime technique » du conflit, à cause de son incapacité à se rendre sur place.
8ème extrait : Mais qui sont les rebelles ?
Dans cet extrait, Yves Calvi se fait répéter par le général Desportes qu’en réalité, ceux qui étaient appelés « les rebelles » sont « globalement » nos adversaires, des djihadistes d’Al Nosra, de la mouvance d’Al Qaïda.
9ème extrait : Une analyse qui a seulement 5 ans de retard !
Dans cet extrait Yves Calvi s’entend dire que les djihadistes d’Alep – que combattent les troupes syriennes au côté des forces russes - sont les mêmes qui ont frappé la France au Bataclan, à Charlie Hebdo, à Nice. Quant à la « Révolution syrienne », il apprend qu’elle a en fait pris fin dès les derniers mois de 2011, suite à quoi des groupes islamistes soutenus par l’Arabie Saoudite et le Qatar sont venus se greffer au conflit.
En tout ce sont près de 5 ans de retard que le journaliste rattrape en l’espace de quelques minutes !
10ème extrait : Calvi verse dans le complotisme !
Cet extrait de 7 minutes comprend un reportage sur la guerre contre l’Etat Islamique, avec des focus sur les batailles de Raqqa, de Mossoul et de Palmyre. Et au sujet de cette dernière ville deux points de vue sont exposés dans le reportage : d’un côté, « Si Bashar Al assad avait voulu livrer des armes à l’Etat Islamique il n’aurait pu mieux s’y prendre ». De son côté, « L’Etat-major Russe fait porter la responsabilité de cette déroute aux Américains. » Et le porte-parole du Ministère russe de la défense de déclarer : « A propos de la situation à Palmyre l’EI a pu redéployer ses forces pour reprendre la ville car les Etats-Unis et la Coalition Internationale ont totalement suspendu leurs activités militaires contre eux à Raqqa depuis le printemps dernier ».
Les reporters n’iront pas plus loin dans le reportage, mais pour Calvi, tout est clair comme de l’eau de roche : « On s’arrête sur la situation à Palmyre, la phrase clé de ce reportage c’est : « Si Bashar Al assad avait voulu livrer des armes à l’Etat Islamique il ne se s’y serait pas pris autrement », qu’est-ce que vous en pensez ? »
Frédéric Pons : « Ce qui compte c’est que les colonnes islamistes sur ces terrains dégagés ont pu progresser (…) alors que la maîtrise du ciel par les avions et les drones est totalement sous le contrôle des américains ou de la coalition internationale. Comment se fait-il que, comme en 2015 quand les Islamistes avaient déjà pris Palmyre, que leurs convois n’aient pas été détectés, que l’on ait laissé faire, il y a une grande interrogation et pour ma part je n’ai pas la réponse. » (…)
Quoi ? Les américains et la coalition internationale auraient donc une part de responsabilité dans la reprise de Palmyre ?
Yves Calvi : « On peut imaginer que certains rêvent que l’on retrouve Palmyre en ruine pour remobiliser contre les rebelles, et retourner encore une fois de plus l’opinion ? Enfin je veux dire tout est possible… »
Frédéric Pichon : « Ça s’appelle du complotisme ça ! ».
Moment culte.
L’émission se termine.
Un grand merci aux invités, nos félicitations à Yves Calvi qui a inventé l’eau chaude en direct et pour notre plus grand bonheur.
Une semaine après... ’roulage dans la farine et falsification complète de la réalité’
Pourtant, il faudra encore une semaine pour qu’Yves Calvi découvre définitivement le pot aux roses, dans la même émission [27] mais en recevant cette fois le Directeur du Centre Français de Recherche sur le Renseignement, Eric Denécé.
Après lui avoir rappelé le double jeu de notre allié l’Arabie saoudite, qui combat le terrorisme tout en le finançant, Eric Denécé détricote la vision du monde de Calvi, non sans provoquer sa stupeur : « Vous comprenez que c’est incompréhensible pour la plupart de ceux qui nous écoutent, c’est à la fois énorme, monstrueux, contradictoire et difficile à accepter », s’inquiète-t-il.
Et Denécé de remuer le couteau dans la plaie : A Alep, « on est à mon sens sur une falsification de l’information qui est énorme », explique l’ancien officier et ex-professeur au collège interarmées, « La population française de plus en plus en prend conscience, [même si] nos élites et nos gouvernants restent bloqués. »
« On se fait rouler dans la farine avec Alep ? », s’exclame alors Yves Calvi ! Et le spécialiste du renseignement de lui confirmer sobrement : « On se fait rouler dans la farine avec Alep » !
Extrait :
Conclusion : la mort d’un système ?
Qu’est ce qui est le plus triste dans toute cette histoire ? La nullité journalistique de nos éditocrates ? [28] Comprendre qu’ils sont sincères dans leur incompréhension de la réalité et en fait les premières victimes d’un système médiatique dominant dont l’efficacité repose justement sur cette capacité à s’auto-conforter dans le mensonge et la supercherie, trompant ainsi encore plus efficacement les autres ? Comment lutter face à un monstre de cette nature ?
Plus que jamais, la critique et la refonte de l’espace médiatique représentent un combat politique et social central, nécessaire, idéologique dans la mesure où l’information – qui mérite une place de premier plan en tant que bien commun dans toute société démocratique - ne peut être considérée comme une simple marchandise aux mains du privé. Étant à la base de ce qui devient notre vision du monde, les enjeux de l’information sont bien trop importants pour qu’on se permette de les traiter à la légère. Qui plus est pour un pays comme la France, membre du cercle restreint des grandes puissances de ce monde, siégeant au Conseil de Sécurité de l’ONU, détenteur de l’arme atomique et d’une force de projection militaire quasi-globale.
Aujourd’hui pour la Syrie, et demain, pour quel conflit serons-nous « roulés dans la farine » ?
Alors que nous entrons officiellement dans l’ère de la poste-vérité – dans laquelle les faits comptent moins que l’émotion ’alimentée par la montée en puissance des réseaux sociaux en tant que source d’information et la méfiance croissante vis-à-vis des faits présentés par l’establishment’ [29] - et que les « fake news » affolent de plus en plus ordre établi [30], la remise en question et l’autocritique des médias dominants est tout aussi pathétique [31] qu’effrayante : dénonçant la paille dans l’œil du voisin sans voir la fiole contenant de l’anthrax dans le sien, le système oublie facilement qu’il a été le vecteur d’intoxications massives ayant provoqué des millions de morts. [32] Il en porte historiquement le fardeau, et le sang.
Comme le rappelle le journaliste Pierre Rimbert, l’hypocrisie du système médiatique n’a pas de limites :
« C’est entendu : avant l’entrée en campagne de M. Trump, la démocratie et la vérité triomphaient. Certes, les médias vivaient grâce à la publicité qui promet le bien-être aux buveurs de Coca-Cola, et relayaient les « actualités » fabriquées par des agences de communication. Mais les « fausses nouvelles » s’appelaient « informations », puisqu’elles étaient publiées de bonne foi par des journalistes professionnels.
Ceux qui trompaient la Terre entière en décembre 1989 avec les faux charniers de Timişoara, en Roumanie ; ceux qui diffusaient sans vérification, en octobre 1990, la fable des soldats irakiens détruisant des couveuses à la maternité de Koweït afin de préparer l’opinion à une intervention militaire ; ceux qui révélaient à la « une » du Monde (8 et 10 avril 1999) le plan « Fer à cheval » manigancé par les Serbes pour liquider les Kosovars — une invention des services secrets allemands destinée à légitimer les bombardements sur Belgrade. Sans oublier les éminences du New York Times, du Washington Post ou du Wall Street Journal qui relayèrent en 2003 les preuves imaginaires de la présence d’armes de destruction massive en Irak pour ouvrir la voie à la guerre. » [33]
Et peu à peu, année après année, c’est le nombre de citoyens perdant totalement la confiance en ces éditocrates qui va en augmentant. Mais comment pourrait-il en être autrement ? Et certains observateurs avisés d’annoncer :
« Un système qui, le lendemain de l’élection de Donald Trump, fait commenter l’événement par Christine Ockrent – sur France Culture… – et le surlendemain par BHL interviewé par Aphatie, n’est pas seulement aussi absurde qu’un problème qui voudrait donner des solutions : c’est un système mort. » [34]
Alors, s’il est vraiment mort, puisqu’il apparaît clairement que « les leçons des erreurs passées » n’ont toujours pas été tirées [35], fatalement surgit le besoin pressant de se poser la question : qu’attend-t-on pour refermer le cercueil ?
Luis Alberto Reygada - Le Grand Soir.
@la_reygada – la.reygada@gmail.com