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Homme augmenté, homme dépossédé, homme superflu ?

Avec le « transhumanisme », avec les projets de GAFA (Google-Amazon-Facebook-Apple), on parle beaucoup, aujourd’hui, de « l’homme augmenté ». Augmenté par la puissance additionnelle de composants informatiques -et autres- pour lui assurer une durée de vie de plusieurs centaines d’années.

J’ai 63 ans, je ne vis pas aux États-Unis ; comme peut-être beaucoup d’autres de mes concitoyens, je me considère pourtant comme « augmenté ». Qu’en serait-il, quelles seraient mes capacités, mes conditions de vie, en effet, si tel n’était pas mon cas ?

Je suis « appareillé », entendez par-là que, mon audition étant déficiente, je porte un appareil dans chacune de mes oreilles. Appareil, soit-dit en passant, que j’ai pu faire prendre en charge, vu leur coût, par la bonne vieille Sécurité Sociale, dans le cadre de la médecine du travail. Je porte aussi des lunettes ; d’autres, « au plus près », plus élégant(e)s, portent des lentilles directement sur les pupilles de leurs yeux. Qui n’a pas un appareil dentaire ? « Plus bas », et « plus profond »…, qui ne s’est pas fait poser un/des stents, une pile ?… Qui n’est pas encore « augmenté » de broches métalliques, ou de prothèses artificielles, pour remplacer des articulations, ou autres éléments osseux défaillants ? Qui n’est pas équipé de je ne sais quoi, encore ?

Alors, de quoi parle-t-on avec l’homme « augmenté » ?

Dans le même temps, et en sens centrifuge, on assiste, à vitesse grand « V », à la dépossession, par dématérialisation, par disparition du vivant et de l’humain, de tout à la fois ce qui fait l’homme, tant dans son travail – les technologies numériques modifient le contenu de tous les métiers- (1) -– que dans sa relation à autrui. Que cette dernière s’inscrive dans la sphère publique ou privée ; et, plus grave encore, à l’exclusion de l’homme dans ses prises de décision et de responsabilité, confisquées qu’elles sont non plus par les machines (qu’il fallait casser, au début du siècle dernier parce qu’elles allaient voler le travail), mais par les systèmes informatiques qui se mettent en place avec leur propre logique. Que celles-ci soient artificielle, numérique, algorithmique…, ne change rien à l’affaire. Elles aboutissent toutes à exclure l’homme de l’univers dans lequel il les a introduites après les avoir créées.

Des réponses, des déjà vieux répondeurs téléphoniques automatisés (tapez un, tapez deux…) aux lecteurs optiques introduits dans les grands magasins pour y remplacer les caissières ; des sites de rencontres aux messages enregistrés envoyés régulièrement sur nos téléphones par des robots, des automates en place dans les services publics (ou ce qu’il en reste), les péages des autoroutes, mais aussi les gares et aéroports, aux dématérialisations en tous genre qui entraînent la disparition de l’écrit (2), donc du contrat… (que ce soit de la feuille de paye, du versement de prestations…) ; le changement, le bouleversement est, absolument, considérable dans nos vies. Je n’oublie pas l’explosion du commerce en ligne et tous ses effets collatéraux, dont la destruction du commerce -et ses circuits- traditionnels.

Et sans doute n’en sommes-nous encore qu’à ses prémisses.

Un reportage télévisé nous montrait tout ce que l’on a déjà pu « glisser » dans une « tablette » : la bibliothèque (3), la discothèque, la télévision et la radio, l’appareil photographique et la caméra, la presse, le cinéma, l’ordinateur et sa messagerie informatique, le contrôle à distance des objets connectés… La liste s’allonge chaque jour. Demain, non, déjà aujourd’hui, la billetterie pour les voyages en avion/en train sur les smartphones, la disparition « physique » de la monnaie (pièces, billets, chèques) et le paiement par présentation de l’écran du téléphone portable devant un autre écran.
L’humain aura-t-il encore sa place dans ce mouvement fou de dématérialisation ? (4)

Où celui-ci s’arrêtera-t-il et sous quelle impulsion ?

Qui entend encore cet intervenant d’un récent débat sur les ondes d’une grande radio lorsqu’il déclarait : « la plus grande marque de considération à offrir à un administré, c’est de mettre un autre humain en face de lui pour lui parler ».

Lui parler… Je veux parler, je veux qu’on continue à me parler, moi à qui on n’a pas appris à parler aux machines (5).

Jean-Marc Gardès

(1) Et la question que les producteurs salariés, comme les victimes et exclus du système ne devraient pas occulter ! Celle des gains de productivité permis par le numérique : comment se traduisent-ils ? A qui bénéficient-ils ?
Réduction et allègement de la charge de travail (cf. Chez Amazon), augmentation des revenus… ? Ou bien une nouvelle fois, dans ce même -décidément – « nouveau monde », sont-ils confisqués par les plus riches, GAFA en tête, les possesseurs de « l’outil de production » ?

(2) Verba volant, scripts manent. Les paroles s’envolent, les écrits restent. Et les écrans ?

(3) Je pense à un ami longtemps soigné pour un très grave cancer qui, pourtant non adepte des nouvelles technologies, dut se mettre à lire sur une liseuse électronique pour cause de confinement dans une chambre absolument stérile.

(4) L’homme superflu. Voir ce très bel essai de Patrick Vassort paru en 2012 aux éditions du Passager clandestin.

73 % des Français de plus de 12 ans ont un smartphone. Un résultat en hausse de 8 points en un an. Source : Baromètre du numérique 2017 (Crédoc).
Chamath Palihapitiya, un ancien dirigeant de Facebook, fait aujourd’hui repentance et alerte sur les risques de destruction du lien social. Il interdit à ses enfants « d’utiliser cette merde ». (Rapporté par Ensemble, le mensuel des adhérents de la CGT, janvier 2018).

(5) Welcome my son to the machine. Pink Floyd, 1975, sur l’album Wish you were here .


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Serge Halimi

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