Le " forfait jour" pour tous.


13 octobre 2005


Aux ordonnances De Villepin, s’ajoute la loi Dutreil sur les PME-TPE : passée inaperçue, mais votée le 16 juillet 2005, c’est une attaque supplémentaire contre la durée légale du travail fixée à 35 h et contre la durée maxima fixée à 48 h, dans le sens de " l’opt out " (hors normes) britannique qui permet de travailler au-delà , et de la directive européenne en discussion qui veut porter l’horaire de travail hebdomadaire à 78 h.

Qu’est-ce que le forfait-jour ? Une invention intolérable (et que nous avons été nombreux à dénoncer à l’époque) de Martine Aubry, qui permettait aux cadres " autonomes " de déroger à tout calcul des horaires à la journée, pour en revenir à un calcul annuel. A cause du forfait-jour vous n’aviez plus de limite journalière (la durée maxima du travail était de 10 h) ni hebdomadaire (la durée d’ordre public maxima était de 48 h). Il ne reste que la contrainte de 11 h de repos quotidien (introduite dans le Code en 1999 et confirmée par directive européenne mais attention le temps de trajet fait partie de ces 11 h).

Le forfait-jour peut donc amener des " cadres " à travailler 13 h par jour (24 h - 11 h de repos quotidien). Ce, pendant 6 jours consécutifs (un repos après 6 jours reste d’ordre public, donc obligatoire, mais sachant que ces 6 jours se comptent à la semaine cela veut dire 12 jours de suite de travail, puis deux jours de repos). Le salarié étant subordonné, seul l’employeur est maître de ces horaires. Si on calcule en absolu, vous pouvez être poussés à travailler 2380 h dans l’année au lieu de 1607 h, durée légale actuelle (inclus le lundi de Pentecôte), et comme on ne compte plus les horaires, qu’il s’agit d’un forfait, il n’y a pas d’heures supplémentaires décomptées, majorées.

Certes, il y a des conditions restrictives en théorie : l’usage du forfait jour dans une entreprise relève obligatoirement d’un accord signé avec un syndicat, ensuite, il ne s’applique qu’aux cadres " dont on ne peut pas prédéterminer l’horaire ". En fait ça ne devrait donc pas exister, car on peut quasiment " prédéterminer " l’horaire de tout salarié (on sait à quelle heure s’ouvre et se ferme un portable, un ordinateur, se signe un contrat, etc...) mais les patrons font mine de dire que les cadres sont " autonomes " !

Les recours existent mais ils sont difficiles : s’il est établi que le " forfait-jour " sert à outrepasser les droits du salarié, à faire des heures supplémentaires abusives, il peut être imposé à l’employeur de recalculer et de majorer les heures supplémentaires au-dessus de 1607 heures. Mais comment arriver à un tel décompte avec un " forfait " ? Quels instruments de contrôle ? Il faut faire un procès. Mais QUI a les moyens de le faire... sans se faire virer, ou mal voir ? En fait le salarié cadre sous forfait jour est livré à l’arbitraire en matière d"horaires.

Ce " forfait jour " remettait en cause la " journée de 10 heures " (conquise au début du 20° siècle) et il remettait même en cause la première législation en matière de durée du travail datant de Philippe Le Bel qui avait interdit aux seigneurs de faire travailler les paysans avant le lever et après le coucher du soleil.

Depuis 2002, Fillon, Larcher, l’Ump ne cessent d’étendre le forfait jour de Martine Aubry : alors qu’il était limité aux cadres dits " autonomes ", il a été étendu à tous les cadres, même ceux dont l’horaire était calculé et prédéterminé depuis longtemps... Ensuite, il a été étendu par M. Fillon aux " salariés itinérants " ce qui fait beaucoup : les commerciaux, les Vrp, les agents d’entretien (informatique, électro ménager, etc.) les livreurs, les déménageurs, etc.

Et voilà qu’un député intégriste libéral, a, en plein été, d’un amendement subreptice, à l’Assemblée nationale, avec l’aval de son groupe Ump, de M. Dutreil et du gouvernement, enlevé le mot " itinérant " après le mot salarié : donc le forfait-jour peut s’appliquer dorénavant à TOUS les salariés.

Ce qui est un recul considérable en matière de durée du travail, puisqu’il peut nous ramener avant le milieu du 19° siècle, quand les travailleurs se battaient pour la journée de 12 h puis de 10 h (début 20° siècle) puis de 8 h (Front populaire).

Gérard Filoche, Inspecteur du Travail, pour D&S www.democratie-socialisme.org


Villepin fait don du travail aux employeurs, par Paule Masson.

Offres d’emploi non pourvues : une manipulation pour faire culpabiliser les chômeurs, par Fanny Doumayrou.

Les attaques contre le Code du Travail au coeur de l’offensive du patronat et du gouvernement contre les salarié·e·s, par Denis Seillat et Gérard Villa.


« Lettre ouverte à ceux qui veulent un contrôle plus strict des chômeurs », par Karine Vaxelaire.

On ne change pas un budget qui fait gagner les riches. Sans oublier le reste ... par Michel Husson.

35 h, RTT, CET, Code du travail : le gouvernement gave le MEDEF, par Gérard Filoche.



COMMENTAIRES  

27/10/2005 10:31 par Le Monolecte

Une autre disposition de la loi Dutreil est passée encore plus inaperçue, puiqu’il m’a fallut un temps fou et des exemples concrets pour tomber dessus.

Il s’agit de la fin de la présomption de salariat déguisé. Je m’explique.

L’une des techniques du patronat qui n’a pas envie de se prendre la tête avec les contrats de travail et tout ça, consiste à externaliser ses propres salariés en les vidant et en leur proposant de les prendre comme fournisseurs ou sous-traitants, une fois leur activité d’indépendants déclarée. Une bonne affaire, puisqu’au lieu d’un contrat de travail qui renvoie au code du même nom, les deux parties ne sont plus liées que par un contrat de droit privé, un truc sans garantie de salaire ou d’horaires... Et à charge pour l’indépendant de payer ses cotisations sociales, ses frais, son matériel.

Il y a quelques années, on avait entré dans le droit du travail la notion de salariat déguisé pour des "indépendants" travaillant pour un seul donneur d’ordre et se trouvant de fait en position de dépendance et de subordination, ce qui est constitutif de l’état de salarié. Du coup, l’Urssaf ou l’inspection du travail pouvait requalifier l’indépendant en salarié et le rétablir dans ses droits (et accessoirement récupérer les précieuses cotisations sociales induement détournées).

Dutreil, pour libérer les travailleurs indépendants de la rétiscence des patrons à faire appel à leurs services a donc reporté le devoir de la preuve sur l’indépendant floué et supprimé cette idée de présomption de salariat déguisé en cas d’employeur unique.

Maintenant, des témoignages se multiplient dans certains milieu professionnels d’abus d’entreprise, particulièrement sur de jeunes embauchés. Ainsi, un graphiste débutant s’est entendu dire par un employeur potentiel qu’il n’avait pas envie de se fatiguer avec des contrats de travail complexes et qu’il le prenait dans son entreprise dès que son immatriculation INSEE serait effective. A charge pour le jeune d’acheter son matériel (un ordinateur plutôt puissant et coûteux ainsi que les logiciels professionnels extrêmement coûteux dont le "client" lui a fourni la liste). Ensuite, il devra bosser dans les locaux de l’entreprise, selon les horaires de l’entreprise et que pour l’entreprise...

Une autre graphiste indépendante, travaillant exclusivement pour une seule boîte, se voit surchargée de travail (une bonne chose), ce qui l’empêche de prospecter pour trouver d’autres clients. De la même manière, elle "loue" un emplacement dans les locaux de son "client", et doit, régulièrement et sur ordre, mettre à jour ses logiciels à ses frais. Dernièrement, son client a décidé unilatéralement de réduire le montant des prestations facturées par cette indépendante... qui se retrouve bien coincée et à sa merci !

Le Monolecte

22/05/2008 11:56 par Anonyme

Je retrouve complètement ma propre situation dans ces exemples décris....
Malheureusement (après avis d’avocat), je ne dispose pas de preuves suffisantes pour un recours...Mais deux autres personnes travaillant pour la même société sont impliquées de manière plus criante et démontrable dans une situation limpide de salariat déguisé (un seul "client", horaires lourds obligatoires, obligation de travailler dans les locaux de la société, salaires fixes ! (etc), congés payés (!)....alors que les deux "employés indépendants" en question, enregistrés à l’Agessa, paient touts deux leurs cotisations (+ repas et transport).
Y a t-il un moyen de faire une dénonciation concernant de ce "client" malhonnête, auprès de l’Urssaf, ou autre organisme ; je manque d’information....Merci pour votre aide.

Aurélia.

aureliah@voila.fr

05/07/2008 01:30 par Anonyme

Bonjour,

Je me reconnais également dans les cas cités. Je suis actuellement en train d’assigner le groupe (mon ancien employeur) en justice. Je vous tiendrais au courant de l’évolution de la procédure. Je ne pensais pas que mon cas puisse etre aussi repandu !

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