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Le Menu : beaucoup de gastronomie et, à la fin, c’est le hamburger qui gagne.

Depuis les années 1970 et La Grande Bouffe, la production cinématographique est jalonnée de films culinaires. Cette année, sont sortis presque en même temps, Ariaferma et son détenu cuisinier, et Le Menu, de Mark Mylod. Comparer le rôle de la nourriture, de la bonne ou la grande cuisine au cinéma, de ce côté-ci de l’Atlantique, et de l’autre, permet d’opposer ces deux types de sociétés et de cultures. Dans les films européens, la cuisine tient un rôle soit civilisateur, soit de dénonciation ; dans le film étasunien Le Menu, elle sert de prétexte pour montrer et valider ce qu’il y a de pire dans l’homme.

Dans Le Festin de Babette de Gabriel Axel, (1987), la nourriture fruste et monotone des villageois danois (toujours du hareng), associée à l’austérité du luthéranisme, ce qui les rend amers et acrimonieux, est opposée aux merveilles de la gastronomie française ; en une soirée, le dîner du chef français Babette œuvre ce que les filles dévouées du pasteur n’avaient pas obtenu en des dizaines d’années : le festin devient une agape au sens chrétien (un repas de communion), les cœurs s’ouvrent et chaque convive trouve l’harmonie avec soi, avec les autres, avec Dieu et la nature.
Le film Chère Martha, de Sandra Nettelbeck (2001) oppose, lui, la grande cuisine française de Martha, sophistiquée et guindée, à la cuisine familiale italienne. Martha croit bien faire en proposant à sa nièce orpheline et anorexique ses plats les plus raffinés ; mais c’est la cuisine simple et chaleureuse de son compagnon italien qui fera retrouver la joie de vivre à la fillette (« pasta y alegria », a résumé un critique).
Dans Ariaferma, enfin, les barquettes repas, cuisinées industriellement, insipides, provoquent la révolte, tandis que la pasta familiale réjouit les cœurs comme les papilles, et réunit les hommes dans une culture commune qui les a nourris depuis l’enfance.

Dans La Grande Bouffe (1973), la nourriture assume un rôle tragique, mais c’est qu’elle devient le symbole du consumérisme qui nous étouffe, et sert à dénoncer la vacuité de nos vies, la perte de sens dans notre société et notre culture. Elle joue le même rôle de révélateur dans le roman de Vazquez Montalban, Le Quintette de Buenos Aires (1997) où un groupe d’amis de la haute société se réunissent dans un restaurant prestigieux pour une soirée de dégustation raffinée – qui va se transformer en un festin de cannibales, mettant à nu la vraie nature des convives, jouisseurs grossiers et acteurs ou profiteurs de la dictature des généraux : les cadavres vont s’accumuler dans la chambre froide, et, malgré les efforts du Chef, qui veut malgré tout mener à bien son dîner, les convives vont finir, comme dans Sans filtre, par se vomir les uns sur les autres.

Dans Le Menu, on peut retrouver certains des éléments de ces deux dernières œuvres, mais les piques contre le grand bourgeois, homme d’affaires ou politicien, contre la critique gastronomique, ou l’acteur has been ne peuvent pas passer pour une analyse critique de la société. Certes, c’est une satire de la cuisine moléculaire, qui, avec ses plats artistement décorés (une montagne d’accessoires surmontés d’une unique noix de saint-jacques), ses concepts (des condiments et sauces qui n’accompagnent rien), affame ses convives. Mais que lui oppose-t-on ? L’honnête simplicité du hamburger !

Dans une séquence surprenante, les images de la préparation par le Chef d’un cheeseburger se confondent avec celles qu’on a vues, une heure avant, au cours du tunnel de pub, et qui faisaient la promotion de hamburgers réalisés avec des ingrédients français (sauf qu’ici, on insiste sur le fait qu’ils sont étasuniens). Et ce cheeseburger devient l’équivalent du rosebud d’Orson Welles. En effet, en pénétrant, grâce à une clé dérobée, dans la maison du Chef, nouveau Barbe-Bleue, l’héroïne voit, non pas des cadavres de femmes, mais des photos de jeunesse du Chef, qui lui apprennent qu’il a commencé en travaillant pour MacDonald, et qu’alors, n’étant pas blasé, il travaillait avec amour et fierté. C’est ce qui l’incite à affronter le Chef au cours d’une véritable séance de psychanalyse sauvage, ou plutôt d’hypnotisme, certainement le passage le plus réussi du film. Ce n’est pas qu’on y croie davantage qu’aux autres péripéties, mais celle-ci est plus originale et futée.
Mais cela ne change rien à la situation : le Chef comme ses employés sont de vrais zombies inaccessibles à tout sentiment humain ; autour de la gastronomie, le Chef a organisé une secte fanatique, dont les membres lui obéissent comme des automates. Et le film culminera dans un paroxysme de violence, dont émergera seul l’innocent cheeseburger.

On est tenté de lire ce film comme une parabole : la gastronomie est présentée comme un art européen, le Chef fou est un ex-Yougoslave. Pour régénérer cette Europe décadente et ses admirateurs complices, pas d’autre solution que la destruction. Le cheeseburger salvateur et triomphant, avec ses couleurs flashy, illumine dans la nuit le chemin d’un nouvel ordre, débarrassé de la culture, et totalement voué à l’american way of life.

Wim Wenders, dans Alice dans les villes, remarquait que les images, aux EU, ne vous laissent jamais tranquille : elles ont toujours quelque chose à vous vendre ou à vous prouver. Le Menu en est un bon exemple : il veut à la fois nous vendre des hamburgers (quel astucieux placement de produit !) et nous convaincre qu’il n’y a rien de meilleur qu’un hamburger. Et ce produit est présenté par une ravissante et fragile jeune femme (Anya Taylor Joy, la délicieuse Emma du film homonyme d’Autumn de Wild, d’après le roman de Jane Austin) pour nous faire oublier que la nourriture étasunienne produit une société d’obèses ; par contre, en le mangeant seule et sur le pouce, elle rappelle les remarques de Jean Baudrillard dans Amérique (en 1986) sur la solitude des New Yorkais : « c’est la scène au monde la plus triste, plus triste que la misère, plus triste que celui qui mendie est l’homme qui mange seul en public ».

Loin donc de dénoncer, Le Menu est un hymne à la nourriture étasunienne, contre la prétention et les absurdes raffinements de la gastronomie européenne, essentiellement française (le vocabulaire culinaire comporte de nombreux termes français), mais aussi contre toute cuisine généreuse. Si on applique les critères de Lévi-Strauss, le hamburger relève du cru (une élaboration et une cuisson minimales) et donc de la barbarie ; loin d’adoucir les mœurs ou d’inviter à la convivialité, il est associé à une vision darwinienne de la société (une lutte perpétuelle où seuls les plus forts et les plus malins survivent).

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