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Le Monde Diplomatique (juillet 2021)

Serge Halimi envisage une possible embellie pour la France : « Les dix prochains mois de la vie politique française seront-ils rythmés par une avalanche de faits divers susceptibles d’entretenir une panique sécuritaire et par des injonctions dramatiques à « faire barrage » à une extrême droite propulsée par ce climat de peur ? Un tel enchaînement n’est pas une fatalité. L’élection présidentielle de 2022 n’est plus écrite d’avance. Ses deux finalistes présumés, Mme Marine Le Pen et M. Emmanuel Macron, sortent en effet affaiblis des scrutins régionaux qui viennent de se conclure. Les gigantesques erreurs de pronostic des sondeurs devraient conduire à se défier de leurs prévisions dans les semaines qui viendront.

Certes, le taux d’abstention exceptionnel (66,72 % à l’issue du premier tour) vaut condamnation d’un découpage territorial arbitraire autant qu’incompréhensible. Mais la grève des électeurs exprime aussi le dégoût d’une campagne politique qui a pataugé dans les bas-fonds de la démagogie d’extrême droite au point de laisser penser que les grands enjeux du moment étaient la sécurité, la délinquance et l’immigration, trois domaines qui échappent par ailleurs largement à la compétence des régions. En dépit de ce conditionnement entretenu par les médias et propre à gonfler les voiles du Rassemblement national afin de pouvoir ensuite célébrer son adversaire du second tour au printemps prochain, le parti de Mme Le Pen perd plus de la moitié de ses suffrages par rapport au scrutin analogue précédent (2 743 000 voix, contre 6 019 000 en décembre 2015). Un tel résultat ne témoigne pas vraiment d’une poussée fasciste en France susceptible d’obliger chacun à venir se blottir comme une brebis apeurée autour du bon berger de l’Élysée.

Pour Benoît Bréville la forte abstention aux dernières élections signifie l’extraordinaire défiance des Français vis-à-vis de l’Europe : « Vos régions, on n’en veut pas ! »

En 2015, les nouvelles régions françaises sont apparues parées de toutes les vertus : plus efficaces et compétitives, moins coûteuses et bureaucratiques, elles devaient redonner sens à la politique locale. Las ! Elles auront fêté leur sixième anniversaire avec une abstention record, jamais observée sous la Ve République. Comment expliquer ce fiasco démocratique ?

Que reste-t-il du communisme en Chine, demande Jérôme Doyon : « Hier honnis, les capitalistes sont accueillis à bras ouverts au sein du Parti communiste chinois. À condition qu’ils respectent certaines conditions, et qu’ils fassent allégeance à une organisation qui, désormais, compte plus de cadres que d’ouvriers. Alors qu’il fête ses 100 ans, le Parti communiste chinois (PCC) est-il devenu capitaliste ? Quarante ans après les réformes de libéralisation économique lancées par Deng Xiaoping, plus de 800 millions de personnes sont sorties de la pauvreté, et l’État-parti est désormais à la tête de la deuxième économie mondiale — ou même la première si l’on calcule en parité de pouvoir d’achat —, avec 18 % du produit intérieur brut (PIB) global. L’introduction de l’économie de marché et l’accélération de la croissance sont allées de pair avec une augmentation exponentielle des inégalités : le coefficient de Gini, qui en mesure l’ampleur, a grimpé de quinze points entre 1990 et 2015 (dernier chiffre connu).

Mais si, mais si : selon Alain Deneault, les multinationales payeront (un peu) : « Trop timide ! Trop dépendant du bon vouloir de Washington ! Trop susceptible d’être balayé par une autre administration ! Les raisons de railler l’impôt universel sur les sociétés défendu par le président américain Joseph Biden ne manquent pas. En dépit de ses défauts, la mesure opère toutefois une bascule politique déterminante : elle prive les multinationales de la fiction qui les plaçait au-dessus des lois. »

Pour Laura-Ma Gaveriaux et Noé Hochet-Bredin, « Le Tigré est victime de la réconciliation entre l’Éthiopie et l’Érythrée

Repoussées depuis un an, les élections législatives éthiopiennes se sont déroulées le 21 juin dans tout le pays, sauf au Tigré. Depuis novembre 2020, cette région autonomiste est ravagée par une guerre d’une rare violence contre les civils. L’implication – d’abord tenue secrète – de troupes érythréennes dans les combats illustre le nouveau jeu politique et diplomatique d’Addis-Abeba. »

Selon Pierre Puchot, en Afrique su Nord, on informe à ses risques et périls : « Cible des autorités algériennes et marocaines, qui n’hésitent pas à instrumentaliser la justice pour les museler, les journalistes sont en première ligne dans la lutte pour la démocratisation de leurs pays. Au Maroc, deux procès illustrent cet affrontement. En Tunisie, malgré la révolution de janvier 2011 et la fin de la censure instaurée par l’ancien régime, le paysage médiatique peine à se structurer. »

Pourquoi le régime syrien a-t-il survécu, demande Adrien Cluzet : « En dix ans, le conflit qui a ravagé la Syrie a fait 500 000 morts et 12 millions de déplacés. Donné pour perdu au printemps 2011, le président Bachar Al-Assad a été sauvé par les interventions militaires de la Russie, de l’Iran et du Hezbollah libanais. Sa survie doit aussi beaucoup à la solidarité clanique au sein de sa communauté, les alaouites, et au contrôle absolu exercé par sa famille sur la société et l’État. »

Maëlle Mariette et Franck Poupeau se demandent s’ils faut, en Amérique latine, s’en prendre aux mines ou à l’État : « Confrontés à l’hostilité des conservateurs, les dirigeants latino-américains de gauche se sont également heurtés à une autre opposition : celle de militants et d’intellectuels se présentant comme « progressistes » qui leur reprochent de pérenniser le modèle économique d’antan. À commencer par la poursuite de l’exploitation des ressources naturelles : un extractivisme qui transformerait l’État en prédateur. »

Pour Daniel Finn, le Brexit a rapproché les deux Irlandes : « Des émeutes ont éclaté en Irlande du Nord au cours du printemps 2021, notamment dans les quartiers unionistes, fidèles à Londres. Depuis le vote en faveur du Brexit, en 2016, la nation nord-irlandaise se trouve au centre des négociations avec Bruxelles. Avec un grand vainqueur : le camp favorable à la réunification, dont les espoirs ont été ravivés par la rouerie du premier ministre Boris Johnson. »

Kristen R. Ghodsee revient sur le rôle joué par les « grands-mères rouges » du mouvement international des femmes : « En dépit d’une actualité éditoriale prolifique, l’histoire du féminisme a ses angles morts. La contribution des pays de l’ancien bloc de l’Est n’y est par exemple que rarement mentionnée. Pourtant, l’alliance que nouèrent leurs organisations de femmes avec celles des anciennes colonies du Sud a joué un rôle majeur dans les progrès de l’égalité entre les sexes dans le monde. Si vous êtes une femme qui vit et travaille en Occident aujourd’hui, vous ne connaissez certainement pas le nom des Bulgares Elena Lagadinova et Ana Dourcheva, ou des Zambiennes Lily Monze et Chibesa Kankasa, à qui vous devez pourtant une partie de vos droits. Si vous n’avez jamais entendu parler d’elles, c’est parce que les vainqueurs de la guerre froide ont gommé de leur récit les nombreuses contributions des femmes du bloc de l’Est et des pays du Sud au mouvement féministe international. Le triomphalisme de l’Occident après la disparition de l’Union soviétique a effacé des mémoires tout héritage positif associé à l’expérience socialiste. Celle-ci est désormais réduite à l’autoritarisme, aux files d’attente devant les boulangeries, au goulag, aux restrictions de voyages à l’étranger et à la police secrète. »

Le Monde Diplomatique (254)

Pour Jean-Arnault Dérens et Laurent Geslin, la gauche est une idée neuve dans les Balkans : « Depuis la fin de la Yougoslavie, le débat politique se réduisait dans les Balkans à un affrontement entre nationalistes et libéraux. Désormais, une gauche anticapitaliste émerge pour la défense des biens communs et contre des inégalités croissantes. La coalition de la gauche verte vient de remporter la mairie de Zagreb, tandis qu’une gauche souverainiste gouverne au Kosovo.

Selon Geneviève Clastres, les vacances pour tous sont une utopie qui s’éloigne : « Les confinements ont exacerbé le besoin de grand air, auquel répondent des offres commerciales abondantes pour une clientèle favorisée. Mais une part considérable de la population en reste exclue. Les dispositifs créés pour permettre le départ en vacances du plus grand nombre sont affaiblis, à l’image des activités sociales et culturelles des comités d’entreprise, rognées par l’espace marchand. Jusqu’à la Libération, les « œuvres sociales » des entreprises restaient à la discrétion des employeurs, dans un esprit paternaliste. La création des comités d’entreprise (CE), entre 1945 et 1946, a permis de confier à une instance élue par les travailleurs les actions sociales, sportives ou culturelles financées par une quote-part de la masse salariale dans les sociétés de plus de cinquante salariés. Mer, montagne, campagne : des millions de Français ont pu partir en vacances grâce à ces structures, favorisées au départ par la nationalisation des grandes entreprises. »

Laura Raim dénonce l’arnaque des entreprises responsables : « Régulièrement, l’idée revient : dresser le loup pour qu’il se comporte en chien de berger. En dépit des échecs systématiques, l’espoir renaît, chaque fois accompagné de nouvelles méthodes, plus efficaces. Ainsi de l’idée de créer des « entreprises à mission », supposées apaiser les antagonismes sur le lieu de travail et faire communier actionnaires, patrons et salariés dans la paix sociale. « Vous venez de déboulonner la statue de Milton Friedman ! » M. Emmanuel Faber n’est pas peu fier en ce 26 juin 2020. Lors de l’assemblée générale de Danone, les actionnaires ont voté à plus de 99 % l’adoption de la qualité d’« entreprise à mission », un statut créé par la loi Pacte — « plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises » — de 2019. Une première pour une société française cotée en Bourse, et un pied de nez à l’économiste américain préféré du patronat libéral. Dorénavant, la « raison d’être » du géant alimentaire ne serait plus seulement de faire du profit, mais aussi, et plus noblement, d’« améliorer la santé » ainsi que de « préserver la planète et renouveler ses ressources ». « Patron humaniste et atypique », comme aime à le décrire la presse des affaires, M. Faber ne se contente pas de contempler tous les jours dans son bureau la photographie d’un sans-abri prise par Lee Jeffries : il renonce aussi à sa retraite chapeau de 1,2 million d’euros par an. »

Serge Regourd explique pourquoi, désormais, tout est culturel : « Les acteurs politiques sont à peu près tous d’accord pour affirmer, avec une conviction émouvante, que la culture est fondamentale pour la démocratie. Il reste à définir en quoi, et comment. De la « démocratisation » à la « démocratie », de l’« exception » à la « diversité », le projet culturel s’est très fortement modifié depuis André Malraux, en particulier dans les rangs de la gauche. »

Pour Charles Perragin et Guillaume Renouard, les câbles sous-marins sont devenus une affaire d’État : « Le rêve libertarien d’un Internet régulé par les seules entreprises privées s’estompe. Longtemps impuissants face à un phénomène qu’ils ne comprenaient pas, les États regagnent le devant de la scène numérique. Et pèsent de plus en plus sur l’architecture physique du Net, enjeu de souveraineté et de pouvoir au XXIe siècle, comme les câbles télégraphiques dès le XIXe siècle. »

Pascal Corazza revient sur le trafic des œuvres d’art : « Au palmarès des trafics internationaux, le commerce illégal d’œuvres d’art arrive troisième, après celui de la drogue et celui des armes. Il reste prospère malgré la création d’unités d’enquêteurs spécialisés et la prise de conscience de ce qu’il représente pour les pays dépouillés. En Italie, il conjugue les pratiques d’escrocs très introduits et le blanchiment des œuvres par des experts. Qu’il s’agisse de la restitution des œuvres volées aux pays autrefois colonisés ou des pillages récents dans des zones en proie à l’instabilité, on connaît les enjeux, notamment politiques et symboliques, du trafic d’art. Mais ce négoce clandestin sait aussi opérer depuis des siècles en dehors de toute effusion de sang, à la faveur des failles de la légalité, en faisant jouer l’offre et la demande, pour des sommes considérables : « Le commerce illicite de biens culturels occupe le troisième rang des activités criminelles internationales, après le trafic de stupéfiants et d’armes », précise Le Courrier de l’Unesco du 9 octobre 2020. Le cas du pillage du patrimoine de l’Italie, riche de ses vestiges étrusques, grecs et romains, à destination principalement des États-Unis et de leurs cinq mille musées, pendant une soixantaine d’années, souligne l’importance financière de ce « commerce », son rôle dans la quête de prestige et les difficultés rencontrées par les représentants de la loi. »

Régis Debray a lu les mémoires de Daniel Cordier : « Une leçon de choses indispensable, à deux titres : une histoire particulière, celle des services secrets durant la guerre ; un enseignement d’intérêt général, des plus pratiques.

1943-1946. Jean Moulin, capturé, disparaît dans le noir. Daniel Cordier, son secrétaire, poursuit la lutte dans une certaine solitude. Suite et fin d’une espérance.

La période est cruciale. On frôle le divorce entre les « émigrés d’Alger » et les chefs de l’intérieur, entre les soldats à ciel ouvert et les mouvements clandestins à la peine — traqués, capturés et déportés par centaines. Il y a de la casse en métropole et du tiraillement. Pour la Résistance, c’est la minute de vérité. La disparition de Moulin, nombre de résistants la voient comme une émancipation par rapport à celui qui détenait seul, via de Gaulle à Londres, la clé des livraisons d’armes et les cordons de la bourse. Le risque alors : la défédération, et le chacun pour soi. La guerre dans la guerre, entre les deux rives d’un même fleuve.

C’est cette tension au bord du gouffre que nous restitue le deuxième tome d’Alias Caracalla, avec ses carnets intimes. »

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