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Le procès de Bradley Manning-Wikileaks : quels sont les principaux enjeux ? (The Guardian)

Après 1100 jours de captivité dans une prison militaire, Bradley Manning va enfin être jugé ce lundi, pour avoir fuité une mine de secrets d’Etat à WikiLeaks.

De quoi Manning est-il accusé ?

Le soldat américain fait face à 21 chefs d’accusation découlant de la fuite de centaines de milliers de fichiers numériques classifiés à WikiLeaks. La charge la plus grave est l’accusation d’« aide à l’ennemi » - à savoir, aider Al Qaida en rendant les câbles diplomatiques accessibles sur Internet – ce qui entraîne une peine de prison à perpétuité. De plus, il est accusé d’avoir occasionné « illégalement et sans motif » la publication des fichiers des renseignements américains sur Internet et fait face à 14 chefs d’accusation relatifs aux divers éléments des divulgations de WikiLeaks, ainsi qu’à 5 chefs d’accusation pour violation des règles informatiques militaires – qui s’élèvent à un possible peine maximale de plus de 150 ans dans une prison militaire.

Manning a-t-il reconnu être la source de WikiLeaks ?

Oui. Il a plaidé coupable d’avoir transmis des informations numériques à WikiLeaks entre le 1er novembre 2009 et le 27 mai 2010 – une période durant laquelle il travaillait comme un analyste des renseignements à la Base d’opérations Hammer à l’extérieur de Bagdad (Forward Operating Base Hammer), avec accès aux bases de données sécurisées du gouvernement américain contenant des informations classifiées. Les fuites comprenaient une vidéo, surnommée par WikiLeaks « Collateral Murder », qui montre l’attaque en 2007 à Bagdad d’un hélicoptère Apache au cours de laquelle des civils, dont deux journalistes de Reuters, ont été tués ; les journaux de guerre d’Afghanistan et d’Irak ; et 250000 câbles diplomatiques des ambassades américaines dans le monde. Les délits les moins graves auxquels Manning a plaidé coupable sont passibles d’une peine maximale de 20 ans.

Où se déroule le procès ?

Le procès débute ce matin à 9 heures au tribunal de Fort Mead, dans le Maryland. Manning sera accompagné par son équipe de trois avocats de la défense, dirigée par David Coombs, tandis que l’équipe de l’accusation forte de trois avocats, sera dirigée par le major Ashden Fein. Il n’y aura pas de jury, à la demande de Manning, ce qui place la colonelle Denise Lind, l’autorité qui préside, dans le rôle à la fois de juge et de jury. Environ 80 journalistes ont été autorisés à suivre les audiences alors que 270 ont été refoulés par manque de place.

Combien de temps durera le procès ?

Le gouvernement américain a prévu presque trois mois, les audiences du tribunal auront lieu du lundi au vendredi, avec des pauses occasionnelles obligatoires pour les employés civils de la défense en raison des compressions budgétaires fédérales. L’exceptionnelle longueur du procès s’explique par le fait que l’accusation a indiqué qu’elle a l’intention d’appeler 140 témoins à la barre avec l’objectif d’obtenir une condamnation irréfutable. L’accusation dévoilera ses témoins par liste de 25 au fur et à mesure du déroulement du procès.

Qu’est-ce que l’accusation devra prouver pour obtenir un verdict de culpabilité ?

Lind a publié des directives très claires sur ce que l’accusation devra prouver hors de tout doute raisonnable. Concernant l’ « aide à l’ennemi », l’accusation doit prouver que Manning a « sciemment donné des informations de renseignement à Al-Qaida, Al-Qaida dans la péninsule arabique » et un autre groupe terroriste qui n’a pas été identifié. Pour les autres chefs d’accusation, elle doit prouver que le soldat a divulgué des renseignements relatifs à la défense nationale et qu’il avait des raisons de croire qu’une fois divulgués, ils pourraient être utilisés au « détriment des Etats-Unis ou à l’avantage de n’importe quelle nation étrangère ».

Le procès aura-t-il lieu en public ?

Non. Cela a été l’une des pommes de discorde lors des longues audiences préliminaires entre les avocats de Manning et l’accusation. Ce procès qui touche aux secrets d’Etat a été mené à un niveau de secret sans précédent – avec des documents publics clés tels que les motions de l’accusation et les transcriptions des procédures judiciaires soigneusement cachées au public.

Le procès lui-même ne fera probablement pas exception à cette tendance. La juge a statué que 24 témoins de l’accusation, comprenant des ambassadeurs des Etats-Unis, des militaires de haut-rang et des chefs du renseignement, pourront témoigner partiellement à huis-clos. Manning sera présent lors de ces témoignages mais pas les journalistes ou les membres du public.

L’ironie s’ajoutant à l’ironie, la plupart des témoignages couverts par le huis-clos sont susceptibles de porter sur les documents classifiés qui ont déjà été publiquement diffusés par WikiLeaks. Michael Ratner du Centre Constitutionnel des droits (Center for Constitutional Rights - CCR) a déclaré :

« En fin de compte, ils ont déjà entendu beaucoup de témoignages à huis-clos pour pouvoir discuter de documents de WikiLeaks qui sont déjà dans le domaine public. C’est une raison complètement absurde de fermer des parties du procès ».

En outre, jusqu’à quatre témoins à charge seront autorisés à témoigner entièrement à huis-clos. Le tribunal se déplacera le temps de ce huis-clos dans un lieu inconnu où les témoins présenteront des preuves revêtues « d’un voile de confidentialité ».

Que va faire la défense au cours du procès ?

Comme dans un procès criminel civil, la défense sera autorisée à contre-interroger les témoins de l’accusation et ensuite appellera ses propres témoins. Le nombre de témoins de la défense n’est pas clairement défini mais nous connaissons certains noms. Ils comprennent le colonel Morris Davis, ancien procureur en chef de Guantanamo Bay, Yochai Benkler, professeur de droit de Harvard et l’ancien ambassadeur des Etats-Unis Peter Galbraith.

Qu’arrivera-t-il à la fin du procès ?

Etant donné que Manning a déjà plaidé coupable aux infractions les moins graves, il est probable que le procès s’achèvera par un verdict de culpabilité d’un certain degré – bien que la gravité dépendra de Lind quand elle en viendra à délivrer son verdict et ensuite la sentence. Pendant la phase de détermination de la peine, la défense sera en mesure de présenter un grand nombre de preuves qu’il aura été interdit de discuter avant le verdict – notamment le motif de Manning pour avoir lancé les fuites et son état d’esprit au moment où il l’a fait.

Un témoin de la défense susceptible d’être appelée au cours de cette étape, Lauren McNamara, a eu une conversation en ligne sur AOL avec Manning qui a duré de façon intermittente de février à août 2009, avant que le soldat ait contacté WikiLeaks. Elle a déclaré au Guardian que ses cyber-conversations avec le soldat lui avaient montré qu’il était sans malice ou dénué de sentiments anti-américains ou de toute volonté de nuire à quiconque :

« Il semblait être un mec bien adapté qui avait confiance dans l’armée malgré qu’il ait eu de mauvaises expériences et était dans une attitude plutôt positive ».

Lors des audiences préliminaires, la défense a discuté des problèmes émotionnels de Manning à FOB Hammer, y compris à propos de ses conflits sur son orientation sexuelle. Les avocats de la défense ont suggéré que le soldat n’a pas reçu l’attention nécessaire de la part de ses supérieurs – un argument qui pourrait ressurgir pour réduire la sentence. Il y avait aussi des questions soulevées quant à savoir si Manning aurait dû être envoyé ou non en mission en Irak.

Dans une déclaration que Manning a lue devant le tribunal, il a donné un aperçu de ses motivations pour avoir fuité les documents, ce qui est susceptible de jouer un rôle clé lors de la sentence, en cherchant à démontrer que ses intentions n’étaient pas de nuire aux Etats-Unis mais d’améliorer sa stature morale. Il a dit qu’au moment où il a transmis les documents il voulait « susciter un débat sur l’armée et notre politique étrangère en général » et que le public américain avait le droit de connaître « le véritable coût de la guerre ».

Manning aura-t-il le droit de faire appel à la fin du procès ?

L’une des principales différences entre un procès militaire et un procès civil est que dans le contexte militaire le droit de faire appel est bien plus limité. Dans une affaire criminelle civile, un prisonnier condamné peut faire appel jusqu’à la Cour suprême américaine, le plus haut niveau judiciaire du pays. Ce droit n’existe pas dans les procès militaires. Ici, la partie condamnée peut demander un examen de la cour d’appel pour les forces armées (Court of Appeals for the Armed Forces - CAAF) mais si elle rejette l’appel, il n’existe aucune voie équivalente à la Cour suprême américaine.

Eugene Fidell, un expert en justice militaire à la faculté de droit de Yale a souligné que même Khalid Sheikh Mohammed, le cerveau présumé des attentas du 11 septembre, a plus de droits d’appel que Bradley Manning. « S’il est reconnu coupable par une commission militaire à Guantánamo, Khalid Sheikh Mohammed obtiendra à coup sûr le droit à la Cour suprême américaine », dit-il. « Par contraste, si la Cour d’appel pour les forces armées (Court of Appeals for the Armed Forces - CAAF) rejette d’examiner le recours de Manning comme cela se produit dans la plupart des cas, il n’aura plus aucun recours ».

Ed Pilkington

à Fort Meade - lundi 3 juin 2013.

Traduction : Romane

EN COMPLEMENT

Assange dénonce le "procès-spectacle" de Bradley Manning

Le fondateur de WikiLeaks, l’Australien Julian Assange, réfugié à l’ambassade d’Equateur à Londres, a condamné mardi "le procès-spectacle" de Bradley Manning, le soldat américain accusé d’être à l’origine de la fuite, au profit du site internet, de 700.000 documents classifiés américains.

"Le procès en cour martiale du prisonnier politique le plus important de l’histoire moderne des Etats-Unis a enfin commencé", a déclaré Julian Assange dans un communiqué diffusé sur le site de WikiLeaks. Le cyber-militant australien dénonce le fait que le soldat américain, jugé depuis lundi sur la base militaire de Fort Meade, près de Washington, soit poursuivi, selon lui, pour "le crime de dire la vérité".

"Ce n’est pas de la justice. Ca ne peut en aucun cas être de la justice. Le verdict a été rendu il y a longtemps", a-t-il poursuivi. "Il est juste de qualifier ce qui arrive à Bradley Manning de procès-spectacle. C’est un exercice de relations publiques destiné à fournir au gouvernement (américain) un alibi pour la postérité. C’est un spectacle de vengeance inutile, une mise en garde théâtrale aux personnes ayant une conscience", écrit-il encore.

(...)

http://www.7sur7.be/7s7/fr/1505/Monde/article/detail/1645962/2013/06/0...

»» http://www.guardian.co.uk/world/2013/jun/03/bradley-manning-wikileaks-...
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