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Les Le Pen, père et fille

A la mémoire d’Henri Alleg, directeur d’Alger républicain, auteur de La Question, membre du comité de parrainage du PRCF.

Ne dit-on pas que les chiens ne font pas des chats ?

Ce dicton se confirme quand on entend la « Marine » rebondir sur les traces de son père, en affirmant péremptoirement : « Quand la pendule fait Tic ...Tac... Il est permis de torturer une personne afin de lui faire avouer un « crime ... qu’elle n’a peut être pas commis !

Décidément vouloir torturer des humains est une maladie familiale. Le père n’a-t-il pas préconisé et peut être même participé à la torture des « Bougnoules » comme ses semblables surnommaient alors les Algériens qui se battaient pour l’indépendance de leur pays ?

Dans notre propre pays, des milliers de Résistants torturés ont prouvé qu’il est excessivement difficile de faire avouer des gens de conviction sous la torture et que le mot torture est lui même antinomique de dignité pour celui qui la pratique.

Souvenons-nous d’ailleurs que, dès avant la Révolution française, la France des Lumières avait arraché à Louis XVI l’abolition de la question suite, notamment, aux campagnes de Voltaire à propos de l’Affaire Calas. Cela permet de mesurer le degré de régression historique auquel veulent nous amener, non seulement les Le Pen et ceux qui les promeuvent, mais le monde capitaliste dans son entier : n’oublions pas que le point de départ de tout le scandaleux « débat » actuel sur le « bon » ou le « mauvais usage » de la torture part du « Patriot Act » étasunien, de l’usage systématique de la torture pratiqué à Guantanamo par les EU (alors que Cuba socialiste, dont les EU occupent contre son gré une parcelle de territoire, n’a jamais pratiqué la torture) et de l’aveu qui vient d’être fait par les services d’Obama que ces procédés dignes des nazis ont été systématiquement utilisés par la CIA, prétendument défenseur du « monde libre ».

Afin de démontrer que la torture, quelle qu’elle soit, ne peut pas faire avouer des hommes ou des femmes, quand ils sont convaincus de se battre pour une cause juste, je vais commencer par relater certains événements survenus à mon père et à mon frère, tous deux résistants communistes de la première heure. Notre premier déraillement date de décembre 1940 et visait un train de marchandises en partance pour l’Allemagne en gare de Frejus-Plage (Var).

Le 12 mai 1943, ils sont arrêtés à Saint-Raphaël par les carabiniers des troupes d’occupation italiennes. Ils étaient soupçonnés « avec justes raisons d’ailleurs... » d’avoir déposé des bombes contre l’armée occupante.

Refusant d’avouer quoi que ce soit, ils furent tous deux affreusement torturés.

A mon frère, les carabiniers lui firent avaler une bouteille de pétrole ; devant son mutisme, ils lui enfilèrent dans la bouche un kilo de sel ; comme rien n’y faisait, ils lui appliquèrent le supplice du casque, un engin qui enserre la tête et finit par faire éclater tout le cuir chevelu. Devant une pareille souffrance il perdit connaissance et resta six heures dans le coma. En reprenant vie et afin d’éviter que les tortures ne recommencent, il simula la folie. Il ne parlait plus, il faisait ses besoins sur lui, il fallait le tenir debout pour le faire marcher, sinon il tombait.

Plusieurs médecins et psychiatres l’auscultèrent et tous arrivèrent à la même conclusion : « Il ne redeviendrait plus jamais normal ! ».

Après une période d’enfermement à Saint-Raphaël, mon père et mon frère furent tous deux emmenés aux prisons nouvelles à Nice.

En septembre 1943 après la capitulation des armées italiennes, ce furent les Allemands qui occupèrent la prison et en novembre 1943 ils déportèrent tous les internés des prisons nouvelles en direction de l’Allemagne et des camps de la mort.

Arrivés à Dijon, avec l’aide des cheminots ils réussirent tous deux à s’évader et à rejoindre la Creuse où se trouvait le reste de la famille.

Mon père, âgé de 53 ans, fut intégré dans un maquis FTPF commandé par Jean-Baptiste Virviale.

En ce qui concerne mon frère, (30 ans) bien que vivant en France depuis son plus jeune âge, il n’avait pu, à cause de son militantisme, obtenir sa naturalisation.

En conséquence, parce qu’il était toujours italien, L’Etat-major régional des FTPF de la région limousine lui demanda s’il voulait bien accepter de rejoindre les FTP-MOI à Lyon.

Bien que marié et père de deux enfants, début janvier 1944 il se retrouva dans les rangs de Carmagnole, unité d’élite des FTP-MOI.

Peu de temps après je suis allé le rejoindre.

Maintenant, après la Résistance des miens, je souhaite démontrer que la conviction d’avoir raison dans le combat qu’ils mènent, permet à des femmes et à des hommes, de supporter l’insupportable et de se sublimer à leur insu.

Voici quelques exemples :

Le 3 juillet 1944, je participais avec d’autres camarades à l’attaque du garage Gambetta, Avenue Félix Faure à Lyon. Garage dans lequel était parqués plusieurs dizaines de véhicules allemands.

Dénoncés alors que nous commencions à mettre des explosifs dans les moteurs des véhicules, des gardes mobiles et des soldats allemands arrivèrent devant le garage et ouvrirent immédiatement le feu contre les portes derrière lesquelles nous nous trouvions.

Surpris par cette attaque impromptue, nous n’avions qu’une seule possibilité de nous sortir de ce guêpier, c’était de grimper le long d’une poutre afin de rejoindre une fenêtre qui donnait sur l’arrière du garage et de sauter du premier étage dans la rue.

Mais une de nos combattante, Jeanine Sontag (très belle jeune fille de 19 ans) se tordit la cheville et malgré tous nos efforts pour la tirer de là nous n’y parvinrent pas et c’est elle qui nous supplia de partir sinon nous risquions tous de nous faire prendre.

Jeanine, arrêtée, fut emmenée à la Gestapo. Comme elle refusait de dénoncer ses camarades, afin de la faire parler, les tortionnaires lui lacérèrent les seins avec un rasoir et comme elle ne parlait toujours pas, ils lui ébouillantèrent les jambes, mais rien n’y a fit, pas un seul mot, pas un seul nom risquant de mettre en cause un de ses camarades ne fut prononcé. Devant son mutisme elle fut enfermée à la prison Montluc. Elle y resta cloitrée jusqu’au 20 août 1944.

Ce jour là avec 120 autres compagnons d’infortune elle fut emmenée et massacrée à Saint-Genis-Laval. (Et le mot massacré est faible).

Mais Jeanine n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.

Cinquante-deux de mes camarades, combattants des bataillons Carmagnole et Liberté, FTP-MOI de la région Rhône-Alpes, sont morts sous la torture. Pour certains nous n’avons jamais retrouvé leur corps, ni même connu leur véritable nom.

Pourtant devant les supplices endurés, pas un seul n’a plié sous la torture. Leurs tortionnaires n’ont jamais réussi à leur arracher un seul nom.

Pour certains, ils n’ont même pas réussi à leur faire avouer leur propre nom, ce fut entre autre, le cas de notre ami Etienne Golberger.

Arrêté et torturé par la police française il refusa de donner son véritable nom car il risquait de mettre en danger les membres de sa famille. Il fut exécuté par la police française. Le monument érigé pour rendre hommage aux Résistants fusillés en ce lieu, porte toujours le nom de Daloz qui était son nom de guerre et non pas celui d’Etienne Golberger.

Mais la même chose s’est produite pour Joseph Epstein, Commandant en chef de tous les FTPF et de tous les FTP-MOI de la région Parisienne. Celui que l’Etat-major national des FTPF et des FTP-MOI désignait comme le plus grand officier de la Résistance armée française. Malgré des mois de torture, par crainte de faire retrouver son épouse et son fils et de porter atteinte à ses camarades, il n’a jamais avoué son véritable nom.

Fusillé au Mont Valérien le 11 avril 1944, il fut enterré au cimetière d’Ivry. Pendant de nombreuses années sa tombe a porté le non d’Estaing. Ce n’est que bien des années plus tard et à la suite de nombreuses démarches de ses camarades auprès du Ministère des Anciens Combattants, que son véritable nom fut enfin inscrit sur sa tombe.

Je ne viens d’évoquer ici que quelques cas sur des milliers et des milliers de Résistants qui ont fini leur vie sous la torture. Mais, avant de conclure cetarticle, je ne veux pas oublier de citer le nom de Jean Moulin, qui malgré le temps passé demeure pour les Français une des grandes figures de résistants morts sous la torture sans avoir parlé, le grand inspirateur avec le communiste Pierre Villon du lumineux programme du Conseil National de la Résistance, toujours aussi digne d’inspirer nos résistances d’aujourd’hui et nos conquêtes de demain.

Après avoir moi-même essuyé « les caresses » de la milice et de la Gestapo, je considère que celles ou ceux qui ont encore l’audace d’essayer d’expliquer publiquement que, par moment, la torture devrait pouvoir être utilisée, se rendent coupable d’apologie de crime contre l’humanité et que pour cela ils devraient être poursuivis devant les tribunaux, car après ce que les résistants ont enduré sans jamais rien avouer, il est scandaleux de prétendre que, sous la torture, des hommes sont prêts à trahir leur famille, leur cause ou leurs amis.

Condamner ceux qui prétendent justifier la torture ne serait que justice et une manifestation de respect à l’égard de celles et de ceux qui ont connu l’enfer de leur vivant.

En réalité, l’objectif inavoué de ceux qui remettent dans le débat public une question réglée dans son principe depuis le XVIIIe siècle savent parfaitement que la torture n’a pas d’intérêt militaire ou « patriotique » réel ; bien au contraire, elle ne fait que démoraliser l’armée qui utilise ces moyens ignobles et dresser contre elle encore plus fort tous ceux qui sympathisent avec les victimes des tortionnaires.

Le véritable but de ceux qui relancent ce misérable « débat », symptomatique de nos temps contre-révolutionnaires, où des dirigeants occidentaux vont jusqu’à soutenir des gouvernements pronazis en Ukraine ou dans les Pays baltes, c’est d’habituer les peuples à l’idée que les idéaux progressistes, révolutionnaires et antifascistes sont morts et enterrés, qu’à nouveau « tout devient possible » pour les maîtres impérialistes du monde qui détruisent le progrès social, la souveraineté des nations et l’héritage même de la Résistance, de la Révolution française et des Lumières. Avec à l’arrivée, l’accoutumance généralisée à la fascisation des esprits et à la préparation, sous le nom de « choc des civilisations », d’une troisième guerre mondiale visant à un nouveau partage du monde.

Plus que jamais, résistons, car elle est de plus en plus vivace la Bête immonde qui surgit à nouveau du ventre fécond de l’exploitation capitaliste, de l’oppression impérialiste et de la contre-révolution.

Léon Landini,

résistant, torturé par les sbires de Klaus Barbie
Officier de la Légion d’Honneur.
Médaille de la Résistance
Grand Mutilé de Guerre suite aux tortures endurées par la Gestapo pendant mon internement à la prison Montluc à Lyon.
Président de l’Amicale des Anciens Francs-Tireurs et partisans de la Main-d’Œuvre-Immigrée (FTP-MOI) des bataillons Carmagnole et Liberté.

Léon Landini est Président du Pôle de Renaissance Communiste en France – PRCF

 http://www.initiative-communiste.fr/articles/prcf/contre-la-torture-et-le-fascisme-les-le-pen-pere-et-fille-par-leon-lan
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COMMENTAIRES  

06/03/2015 07:24 par reymans

Magnifique texte, conclusion terrible et limpide
Comment en est on arrivés à ne plus écouter des personnes comme vous, dignes de respect, d’écoute, qui ne font que tenter de transmettre une véritable expérience de vie, au sens propre et noble du terme ?
A-t-on vraiment à ce point perdu tout repère, tout sens moral, tout sens critique, toute faculté à se reposer ne serait-ce que sur l’histoire et les combats qui furent menés, pourquoi, comment et avec quelles conséquences ?
Je suis pourtant de la génération d’apres 68, et je m’éveille probablement à la conscience politique bien tard...
Mais en lisant ce genre de texte, je me rends compte à quel point on a perdu pied, on s’est noyés dans des frivolités, on s’est laissés achetés par tout un système qui nous a retourné le cerveau
J’aimerais pouvoir être optimiste car j’ai tjs eu confiance en l’être humain
Mais rien, ou si peu, ne m’incite à y croire encore
Ca ne m’empechera pas de me battre pour ma propre conscience d’abord, et celle des futures générations ensuite
Mais que c’est dur de voir un tel écart entre ce que furent nos ancetres résistants, et ce que nous devenons nous memes.
Un fossé abyssal nous sépare

03/09/2015 20:07 par Subversive

Merci Mr Landini de votre témoignage ô combien douloureux que je viens de recevoir. Quand Mme LePen avait lancé cette polémique, j’avais été horrifiée face aux résultats d’un sondage demandant si la torture pouvait se justifier. 83% ont répondu oui et ont ajouté des commentaires nauséabonds. Je suis une enfant de l’après-guerre (1947) et j’ai vécu avec les images et récits traumatiques de cette guerre. J’ai vécu au Brésil pendant la dictature de la junte militaire qui s’inspirait des méthodes nazies et j’ai moi-même été arrêtée. Etant française, ils n’ont pas osé me torturer mais m’ont fait assister aux séances sur mes amis. Voir une l’une d’elles - qui ne savait rien - avec les ongles arrachés à vif, les tétons des seins arrachés à la pince coupante, perdre la raison en voyant son bébé se faire torturer sous ses yeux et cris, hante encore mes nuits et mes jours. Voir...non j’arrête, c’est trop atroce.

Vous avez raison de rappeler les actes du père Lepen. Un de mes collègues de travail (un gars bien de droite) s’est retrouvé dans son bataillon en Algérie. Il me disait combien ce type l’écoeurait, combien il était haï par ses collègues qui lui donnaient le surnom de "tortionnaire" "boucher" etc. Il m’affirmait que JMLP était toujours demandeur pour "s’amuser sur les bougnouls" et je le crois car à la télé, en direct, quand un journaliste lui a rappelé son passé, il a répondu "je les torturais, oui mais je les enterrais face à La Mecque". Plus cynique, tu meurs !

Certes, actuellement le fantôme d’une 3ème guerre mondiale nous guette avec d’un côtés des barbares fanatiques de l’état islamique qui engendre des intégrismes de toutes religions et de l’autre la montée des idées pro-nazies. Les indignés que nous sommes se retrouvent entre deux pôles pas toujours facile d’y voir clair. J’entends des voisins, des amis, des politiques se plaindre des immigrés qui fuient la guerre, en clamant "qu’on doit penser aux français d’abord" ou "désolés pour les syriens c’est leur problème", alors filoutement, je leur dresse un scénario catastrophe dans lequel ils seraient pourchassés et propose d’organiser des charters vers le Brésil pour sauver leur vie et là, ils trouvent cela "super". Egoïsme quand tu nous tiens ! Quand notre devise commencera t’elle par le mot Fraternité ? Nous avons besoin de gens comme vous qui racontent encore et encore l’indicible.

04/09/2015 04:01 par Le Fou d'ubu

Comment ais-je failli passer à côté d’un tel article !!! Comment peut-on après ces rappels douloureux, imaginer que quelques perdus soient encore favorables à ce qu’il faut bien appeler "la question" chère aux inquisiteurs. Mais si malheureusement cette famille dégénérée entraine encore dans son sillage tout ce qui reste d’incultes dans notre pays, il y a plus grave. L’américanisation des esprits depuis le 11/9 arrive à maturité pour bon nombre de petits et grands bourgeois effrayés même par leur ombre. Ne voulant à aucun prix céder leur confort relatif, la fascisation des esprits est la plus sournoise qui soit et gagne aussi les ’instruits" ...
Désolé Monsieur malgré l’immense RESPECT que je vous dois, le fascisme à de beaux jours devant lui et votre sacrifice ainsi que celui de vos camarades sont en train de redevenir vains ...
D’ailleurs, certains "camarades révolutionaires" appellent toujours à dialoguer avec ceux ( troika) qui soutiennent (par ailleurs) les néo-nazis ukrainien ... Ils appellent ça la "raison" ou le pragmatisme, je ne sais plus ... en tout cas un sophisme de trop ... ou bien ils sont communistes comme pape François ...

04/09/2015 08:34 par Calame Julia

Il me semble que l’on n’a jamais vraiment mesuré la grandeur des résistants, résistantes.
Car s’il était .... (je ne trouve même pas de mot) pour qualifier le comportement des bottes nazies, ceux et celles
qui se trouvaient à l’air libre, exposés à tous les risques qu’il n’est pas nécessaire de développer ici, ne pouvaient
compter que sur eux -seuls et ensemble- ce qui n’est pas une mince histoire.
Comment alors ne pas avoir en tête une chose et une seule : plus jamais ça ! et donc se libérer l’esprit
pour concevoir les choses de manière à ce que l’Histoire ne puisse se répéter ? Supporter la dégradation de
son corps en lieu de donner une parole reste pour moi le summum de la grandeur humaine...
Pour avoir pris la mesure exacte de la bassesse organisée de l’occupant.

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