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Le rôle des Républicains espagnols dans la libération de Paris

Luis Royo-Ibanez : "Je fonce sur Paris..."

Les cérémonies du 65 ème anniversaire de la libération de Paris auront lieu le 25 août prochain sur le parvis de l’Hôtel de Ville de la capitale. Le rôle des républicains espagnols sera-t-il évoqué ? J’ai rencontré le survivant espagnol de la division Leclerc, Luis Royo-Ibanez peu avant sa mort à Cachan dans le Val-de-Marne.

Il était membre de la 9 ème compagnie qui participa à la libération de Paris à bord d’un Half-Track baptisé " Madrid ", en mémoire des combats contre les troupes franquistes près de la capitale espagnole. Ce Catalan engagé à l’âge de dix-sept ans dans l’armée républicaine raconte son parcours, de Madrid à Agde dans l’Hérault, de Marseille à Oran, du Maroc au pays de Galles, de Omaha Beach à Paris, jusqu’à sa blessure dans les Vosges. Ses camarades de combats, le général Leclerc, sa joie d’entrer dans Paris, le défilé sur les Champs-Élysées, les femmes tondues, les FFI. Voici son témoignage.

Q. Vous êtes un des premiers soldats de la division Leclerc qui ont participé à la libération de Paris. Après tant d’années, à quoi pensez-vous d’abord ?

Luis Royo-Ibanez. D’abord ? A mes dix camarades du Half-Track " Madrid " que je conduisais. Ils ont tous disparu. Je pense à mon chef de section Moreno, à ces dix Espagnols vaincus par les franquistes soutenus par les nazis et les fascistes italiens. Lorsque l’ordre nous a été donné par Leclerc de " foncer sur Paris ", nous étions ivres de joie et de bonheur. Nous allions participer, aux premières loges, à la libération de Paris, nous allions chasser les Allemands et surtout prendre notre revanche sur ceux qui avaient assassiné la République espagnole que nous défendions à l’époque avec des tromblons datant de la guerre 1914-1918. En débarquant en France, en combattant dans l’Orne, en pénétrant dans la capitale de la France, nous disposions d’un armement américain moderne. Je pense à mon Half-Track " Madrid ", à sa vitesse, à sa puissance de feu. Nous étions déterminés, bien armés et entraînés, bien commandés, bien guidés par les FFI. Les Allemands n’avaient, cette fois, qu’à bien se tenir.

Q. Vous avez débarqué à Omaha Beach le 1er août 1944. Saviez-vous que l’objectif était Paris ?

Luis Royo-Ibanez. Absolument pas. Nous avons combattu d’abord dans l’Orne, où a eu lieu la première rencontre avec la résistance chargée de nous renseigner. C’est un FFI espagnol qui nous a ouvert le chemin jusqu’à Alençon puis à Écouche. Dans cette ville nous avons libéré des aviateurs américains et nous avons eu nos premiers morts. Il a fallu attendre la relève (des Polonais) avant d’entendre l’ordre : " Objectif Paris ". Une des chenilles de mon Half-Track avait été touchée pendant les combats. Nous avons effectué une réparation de fortune avant de parcourir en une journée environ 200 kilomètres, pour une première halte près d’Arpajon. Pendant une inspection, Leclerc a repéré l’état de la chenille et nous a dit : " Il faut réparer. " Nous étions si pressés que nous lui avons répondu : " Elle a tenu deux cents kilomètres, elle tiendra jusqu’à Paris. " Le général a haussé le ton. Trois heures après et avec une chenille neuve, direction Antony. Les habitants sortaient des maisons, surtout les femmes, nous félicitaient, nous embrassaient alors même que les Allemands bombardaient toujours le coin. C’était bien agréable, très agréable, mais dangereux.

Q. Comment s’est déroulée votre entrée dans Paris ?

Luis Royo-Ibanez. Par la porte d’Orléans, et toujours guidés par les FFI car nous ne disposions d’aucun plan et ne connaissions pas la route. Avec un premier objectif : l’école militaire. Là , nous avons été accueillis par des tirs nourris provenant des maisons entourant les Invalides. Ce n’étaient pas les Allemands mais la milice française. Une fois cette poche éliminée, nous avons reçu l’ordre de rejoindre l’Hôtel de Ville, toujours en compagnie des FFI. Il y avait beaucoup de monde. Le Half-Track " Madrid " a pris position devant la porte centrale. Imaginez notre joie et notre fierté. Pourtant, un événement nous a choqués. Plusieurs individus ont entraîné des femmes pour les tondre sur la place. Un spectacle insupportable, qui en rappelait d’autres : les troupes franquistes pratiquaient de la même manière en Espagne. Nous les avons dispersés en leur disant : " Vous voulez en découdre ? Alors prenez les armes, partez sur le front, combattez les Allemands et laissez ces femmes tranquilles. " Ils ont quitté les lieux. Je sais qu’ils ont continué un peu plus loin leur sinistre besogne. Nous avons demandé à nos officiers d’informer Leclerc.

Q. Vous affirmez avoir été " bien commandés ". Quel souvenir gardez-vous du général Leclerc, un aristocrate qui disait de vous : " Je commande une troupe de rouges, mais quel courage. " ?

Luis Royo-Ibanez. Leclerc n’était pas un général français. C’était un véritable général républicain espagnol, comme ceux qui nous commandaient pendant la guerre contre les franquistes. Je vous explique. Leclerc était intelligent, courageux et d’une grande simplicité. Il exigeait et obtenait une discipline rigoureuse avant et pendant les combats. Après, il redevenait un homme parmi les autres, une attitude peu courante chez les officiers supérieurs français. Nous avions pour Leclerc un immense respect et beaucoup d’affection.

Q. Après la libération de Paris, vous avez poursuivi le combat.

Luis Royo-Ibanez. J’ai participé au premier défilé sur les Champs-Élysées. Puis nous avons pris la route de Troyes, Chaumont, Vittel. J’ai été blessé un peu plus tard dans les Vosges. Après avoir été soigné sur place, j’ai été rapatrié par avion à Oxford avant de revenir en convalescence en France, à l’hôpital de Saint-Germain. J’ai été démobilisé en 1945. Je croyais, à l’époque, que Franco et Madrid seraient nos prochains objectifs. Vous savez ce qu’il est advenu.

Q. C’est en Espagne que vous avez combattu pour la première fois. Comment avez-vous rejoint plus tard la division Leclerc ?

Luis Royo-Ibanez. En 1938, à dix-sept ans, je me suis engagé dans l’armée républicaine. J’ai été blessé à la jambe et à la joue au cours de la célèbre bataille de l’Ebre. Puis j’ai participé à la relève des Brigades internationales à Tortosa. En février 1939, j’ai pris la route de l’exil, comme des dizaines de milliers d’autres, en franchissant à pied les Pyrénées sous la neige et le froid pour finir parqué pendant plusieurs mois dans une baraque avec 250 autres Espagnols, à Agde, dans l’Hérault. Des cousins ont réussi à me faire sortir. J’ai travaillé dans les vignes et, un certain 18 juin 1940, j’ai entendu l’appel du général de Gaulle. Ce jour-là , mes cousines cherchaient une station diffusant la musique à la mode lorsque nous sommes tombés, par hasard, sur Radio Londres. A l’époque, deux possibilités s’offraient à moi : le travail en Allemagne ou le retour forcé en Espagne avec au mieux la prison, au pire l’exécution. J’ai alors choisi de m’engager dans la Légion, à Marseille. Avec quinze autres Espagnols, nous avons été expédiés à Oran puis au Maroc avec une seule idée en tête : rejoindre les alliés. Plus tard, lorsque l’occasion s’est présentée, j’ai déserté pour rejoindre Leclerc. Un voyage de deux mille kilomètres à pied, en camion, en chameau. J’étais jeune et costaud ! Le souvenir de mes copains du Half-Track " Madrid ", depuis soixante ans, ne m’a jamais quitté. J’aimerais leur dire : combien nous étions heureux de libérer Paris, de vaincre les nazis ! Combien nous étions malheureux que le combat s’arrête aux portes des Pyrénées, permettant ainsi à Franco de se maintenir au pouvoir pendant plus de trente ans ! J’aimerais leur dire aussi : notre rôle dans les combats de la Libération a été passé, presque, sous silence.

José Fort

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