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Parcoursup : une horreur néo-libérale

Il m’a été donné récemment d’assister en visio-conférence à un conseil de classe dans un très bon lycée de France, la classe étant elle-même une terminale scientifique d’un excellent niveau.

Pour la nième fois, je pus entendre, de la part du corps professoral, des récriminations parfaitement fondées contre Parcoursup. Parcoursup remplaça l’application APB (Admission Post Bac) à laquelle il avait pu être reproché dans certains cas le tirage au sort des candidats.

Le baccalauréat fut longtemps un grade universitaire d’État, le premier d’une suite pouvant déboucher sur le doctorat. Jusqu’au début du XXe siècle, l’examen des candidats était effectué uniquement par des professeurs des facultés de lettres et sciences. Un titulaire du baccalauréat avait, de plein droit, accès à l’établissement universitaire de son choix. Des restrictions furent apportées avec, par exemple, les quotas en médecine et le respect plus ou moins contraignant de la carte scolaire.

Le banquier éborgneur et sa bande ont contribué à bouleverser ce système. De grade national permettant l’accès à l’enseignement supérieur, le bac est devenu un certificat de fin d’études avec, comme pour le Covid, des variants d’une académie à l’autre, d’un lycée à l’autre. La philosophie du banquier étant d’empêcher les élèves, leurs parents, les équipes pédagogiques d’avoir la main sur le passage dans l’enseignement supérieur.

Vous me direz : mais qui a donc cette main ? Des algorithmes dont les secrets de fabrication ne sortent pas des officines du ministère de l’Éducation nationale.

Dans cette opacité, l’injustice est banalisée. La plupart des élèves de l’excellente classe dont je suivais le conseil n’ont obtenu que des “ résultats décevants et déstabilisants ”, selon l’expression du professeur principal, désemparé. En particulier, la meilleure élève de la classe (18,5/20 de moyenne au troisième trimestre, plus de 18/20 les deux premiers trimestres, mieux que le banquier en classe de terminale) n’a reçu à ce jour aucune proposition d’admission correspondant à ses préférences. Il faut dire que cette brillante élève avait postulé pour des classes préparatoires dans deux lycées prestigieux de la région. Elle est pour l’instant sur liste d’attente, dans une position peu favorable. Ce que font les parents qui en ont les moyens – financiers et autres –, c’est inscrire comme internes leurs enfants dans des lycées de renom à partir de la classe de terminale, voire de seconde. Ces enfants font alors partie du vivier de ces établissements qui ne souhaitent pas recruter de manière exogamique.

Á l’instant T où se déroulait ce conseil, des centaines d’élèves de l’Académie n’avaient pas reçu d’affectation. Certains devront attendre septembre après des vacances inquiètes.

Bref, ce système est anxiogène et déstabilisant, pour les élèves comme pour les enseignants qui ne savent pas dans quelle perspective travailler. L’une des rubriques de la page d’accueil de Parcoursup est “ Á chacun sa solution ”, sous-titrée “ 1jeune1solution ”. Dans la jungle du banquier éborgneur, chaque jeune se retrouve seul avec l’illusion qu’une solution personnalisée l’attend.

Dans les années qui viennent, si ce système perdure (on a vu que, lorsque la “ gauche ” revient au pouvoir, elle ne remet pas vraiment en cause les “ réformes ” de la droite), des établissements de plus en plus nombreux sortiront de Parcoursup pour échapper aux algorithmes.

Le banquier éborgneur peut mieux faire. Je ne serais pas étonné qu’il ait en tête le 11-Plus, cet examen passé encore de nos jours dans de nombreux comtés d’Angleterre à la fin de l’enseignement primaire, qui met en transe des centaines de milliers de familles tous les ans car il permet l’accès aux lycées (grammar schools).

Parcoursup, apprentissage de la vie, c’est-à-dire de l’arbitraire, dans notre monde néo-libéral.

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COMMENTAIRES  

05/06/2021 16:03 par Assimbonanga

Le monde néo-libéral, on s’y habitue. Ça rentre dans les mœurs. Les gens ne s’étonnent même plus. Lorsque le prix d’un billet de train en Ouigo est indécelable, variable, aléatoire, plus personne ne se révolte. Tout au plus trouve-t-on cela "compliqué", "incompréhensible". Alors que c’est INJUSTE et INÉGALITAIRE. Mais comme plus personne ne croit à la devise républicaine française, LIBERTÉ ÉGALITÉ FRATERNITÉ, kess kon s’en fout ? Chacun espère pouvoir faire un bon coup pour lui-même, pour sa pomme.
Idem la scolarité.

06/06/2021 09:26 par chb

Merci, Bernard, pour ce coup d’oeil par le trou de la serrure.
L’algorithme, évidemment objectif et donc juste, supplante les enseignants et la société démocratique. Pas question de transparence : serait-ce en fait Microsoft qui pilote le tri ? De parcours superglu en solutions impasses, l’ordinateur accompagne l’exclusion et organise à la place d’acteurs trop humains un tri par le fric, la naissance, et par les desiderata du capital. Le slogan supplétif ’1jeune1solution’, à l’image de celui de Pôlemploi, promet la broyeuse aux hors-profil. Alors est-ce Microsoft qui supersède au futur des jeunes ?
Le processus avait été expérimenté avec l’orientation automatisée en fin de collège, qui a les mêmes défauts et continue de déstabiliser les lycées, notamment dans les filières techniques grignotées par le tout-apprentissage patronal. Les journées portes ouvertes d’antan permettaient un contact élèves-familles-profs, les équipes pédagogiques avaient la main sur la constitution de groupes classes : c’était le bon temps ? Grâce à la réforme austéritaire, des filières de formation publique sont asséchées bien qu’utiles, et fermées : économies et délocalisations pour demain.
Parcours Sup, c’est aussi parcours supprimés !

06/06/2021 12:38 par irae

Parcours sup excellente technique destinée à améliorer et faciliter la reproduction de classe. Nos impôts qui déjà financent les études des privilégiés des grandes écoles seront encore mieux fléchés pour que réussissent toujours les fils à papa même si, comme on peut le constater, ils ne sont pas forcément les meilleurs, ni au départ, ni à l’arrivée.
Et cerise sur le gâteau toujours plus exclure les gueux des études et qu’ils restent surtout à leur place.

06/06/2021 16:48 par barbe

Le régime aime faire des strike.
La stratégie du choc veut qu’on subisse un assaut tous azimuts ; ainsi le petit peuple des travailleurs est-il sidéré, avant d’être knock out.
Dernier événement en date dans le monde de l’éducation :
http://www.appep.net/baccalaureat-il-est-encore-temps-darreter-la-mascarade/

07/06/2021 10:13 par Toff de Aix

Billet (hélas) très descriptif de la situation actuelle. Le paradigme néo libéral postule le chacun pour soi, le tous contre tous, et in fine, la jungle, la vraie. Comme dans d’autres secteurs hérités des conquis du CNR, tous les filets de sécurité historiques de notre état social sont détruits les uns après les autres, ou en passe de l’être. Il s’agit bien d’un projet global de "société", je mets le mot entre guillemets car, comme le disait la vieille bique idole de Macron, Margaret qui aujourd’hui nourrit les pissenlits par la racine (et, souhaitons le même si nous ne sommes pas croyants, se fait quotidiennement rôtir en enfer par Belzébuth en personne), donc, comme le disait cette vieille pourriture de Thatcher -et elle y croyait, comme le banquier, dur comme fer - : "il n’y a pas de société, ça n’existe pas"
"There is no such thing as society" dans le texte..

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