La rue ! il ne me reste plus que la rue pour marcher vraiment et faire trembler les cimentiers de tout bord ; oui, la rue pour un troisième tour durable contre ceux qui ont fait de la politique une rente en passant d’un parti à l’autre, en passant d’une alliance à l’autre et qui s’en sortent aujourd’hui avec un front sans rivage dont le mot d’ordre "En marche" n’indique aucun sens. En marche donc, mais en marche vers où ? "Avanti" disait le général italien à ses soldats qui, encore dans la tranchée, s’empressaient de lui répondre "bravo ! bravo ! bravo !" sachant, eux, que la direction indiquée était celle de la mort en quelques secondes. Quoi de plus naturel que de vouloir connaître où nous entraînera tel ou tel bulletin, vers quel mur, vers quel soleil et quoi de plus naturel que de demander à nos élus d’être enfin des délégués au service de nos aspirations les plus urgentes, celles de vivre des jours heureux, sans attendre qu’ils soient des sauveurs suprêmes.
Mais au lieu de cela, l’opportunisme bat son plein et la plupart des journalistes rassurés ne cessent de faire campagne pour le banquier en agitant l’épouvantail du désastre, de la chienlit disait le Général de Gaulle, puisqu’il est à la mode de le citer. Oui ça va mal disent-ils, même lorsque les cours de la bourse sont au beau fixe. Des injonctions qui pleuvent pour effrayer mais qui rassurent le CAC 40 ; des injonctions pour nous préparer encore mieux à nous soumettre à la loi du marché qui serait devenue une qualité supérieure de vie, un nouveau dogme en quête de la seule productivité, le plus froid des monstres froids, qui engendre une société où les riches sont de plus en plus riches et les démunis de plus en plus sans ressources. J’entends sur les ondes, je lis sur la plupart des journaux que les gens qui n’iront pas voter Emmanuel Macron seront disqualifiés. Par qui le seront-ils ? Y-aurait-il un tribunal noir pour séparer le bon grain de l’ivraie ?
Encore à contre-courant, Jean-Luc Mélenchon ne dira pas ce qu’il va faire tout en consultant ceux avec lesquels il a fait une percée lumineuse. Enfin, un autre son, une autre politique, une autre parole, un autre geste, un autre homme politique qui accompagne autant qu’il est accompagné. Cependant, cette manière d’être n’est pas du tout du goût de ceux qui participent au concert d’insultes qui suit cette déclaration : un vrai lynchage médiatique où tombent les masques des beaux parleurs d’écrans et d’antennes. Toujours les mêmes qui reviennent chaque jour, parfois plusieurs fois par jour, pour nous donner des modes d’emploi de la vie et surtout de la pensée. Par exemple, il est toujours question des charges patronales alors qu’en réalité il s’agit de cotisations sociales en vue d’une répartition des richesses. Ce mot mensonger répété est une forme de propagande contre l’essence du service public. Cela vient et revient tel un enchaînement du même sans bémol, ce qui me fait penser que la liberté d’expression, qui requiert la diversité des opinions, est en péril dans notre beau pays. Je ne sais le crédit qu’il faut lui apporter, mais le classement établi par Reporters sans frontière Pour la liberté de l’information place la France au 39ème rang, juste derrière L’organisation des Etats de la Caraïbe orientale. Le rapport précise "que le paysage médiatique français est largement constitué de groupes dont les propriétaires ont d’autres intérêts que leur attachement au journalisme. Cette situation entraîne des conflits qui font peser une menace sur l’indépendance éditoriale, et même sur la situation économique des médias".
Ce constat n’est pas une affaire nouvelle, le drame est plus profond. L’émission On est pas couché du service public en fait la preuve. Annoncée hors campagne politique, l’édition du samedi 29 avril se transforme en une série de témoignages à charge contre Jean-Luc Mélenchon. Affligeant, pitoyable, consternant, innommable, surtout venant d’un homme qui se dit amoureux des mots, de leur précision, de leur histoire. En effet, Yann Moix traite Jean-Luc Mélenchon de "dictateur carton-pâte". Au moins, la position du fondateur de la « France Insoumise » aura-t-elle eu le mérite de faire tomber les masques et de faire surgir la haine que suscitent ceux qui mettent en danger le confort de quelques gensdetélé hors-sol. Oui, comme des poulets en batterie qui ne voient jamais le jour et ne savent pas le goût d’un ver de terre, ils sont là, animateurs et journalistes hors-sol, chauffés aux lampes du studio, jamais le nez dehors à l’écoute de ceux qui souffrent, ceux-là mêmes, précisément sans avenir, qui sont prêts à passer un pacte avec le diable. Oui, sous mes yeux, Yann Moix s’est métamorphosé sur le plateau, surchauffé peut-être, en un Fouquier-Tinville ordinaire, l’occurrence la plus sombre, accusateur d’un tribunal réactionnaire pour lequel il n’y a d’autre issue que de faire tomber les têtes, celle de Jean-Luc Mélenchon surtout "qui aura des comptes à rendre". A ce moment précis de l’ignominie, j’ai eu froid dans le dos.
Pas facile la démocratie ! Mais soyons un peu voltairien, avec le souci récurrent de combattre pour que toute personne puisse exprimer ses idées, même si l’on est en désaccord total. Mettons tout en œuvre pour que règne le franc-parler. Cette parole libre qui, selon les grecs anciens, ne peut s’épanouir qu’avec le développement de la démocratie réelle.
Écoutez les témoignages collectés par France Inter dans le Tarn, avant le premier tour des présidentielles, hors des studios, dans la pratique de la conversation ordinaire aussi bien au bistrot, que sur le lieu de travail ou à la maison, au cœur des territoires où les suffrages pour Marine Le Pen ont été les plus élevés. Écoutez-les, car ils parlent vrai, la souffrance, le sentiment d’abandon jusqu’à se vivre comme des oubliés. Ils veulent protester et se faire voir ; ils votent Marine Le Pen, pas dupes de la ruée vers Emmanuel Macron de ceux qui les ont bernés.
Voyez et écoutez les paroles des ouvriers et des ouvrières de Whirpool face à Marine Le Pen et à Emmanuel Macron. Découvrez ou redécouvrez l’émission Envoyé Spécial du jeudi 27 avril où ces producteurs de richesses parlent de leur détresse et vont à la rencontre des ouvriers polonais qui vont hériter de la délocalisation. Vous y découvrirez des citoyens partageux ainsi qu’une solidarité ouvrière exemplaire entre le Français et le Polonais où chacun n’a aucune peine à comprendre l’autre. Vous y trouverez aussi une brillante leçon d’économie où le salaire du Polonais est deux fois moins élevé que celui du Français alors que, dans les magasins de la ville de Lódz les lave-linges sont vendus le même prix qu’en France. Qui peut nous dire que la rente n’est pas le nœud du problème ? Qui peut ne pas dire que l’ouvrier travaille pour enrichir le capital et non pas pour améliorer sa condition ?
Alors rien de surprenant d’entendre une ouvrière dire que Marine Le Pen, elle, s’est engagée à sauver l’usine et les emplois et qui répond, lorsque le journaliste lui demande si elle fait confiance à Marine Le Pen : "et vous, vous avez confiance en Macron ?". Elle peut se poser la question parce que, selon Emmanuel Macron, l’angle d’approche ne tient pas compte de ses aspirations, lui dont le mot d’ordre réel est "il faut s’adapter", et qui vient visiter les ouvriers pour leur faire une leçon de commerce qu’il termine par la proposition d’un imparable plan social "qui ne leur serait pas défavorable".
Quoi de nouveau dans cette vision de ce qui ne leur serait pas défavorable ? Rien ! C’est le prolongement, dans une phase d’accélération sans doute, des choix du Moi-Président. Un programme que beaucoup ont très tôt reconnu en rejoignant « En Marche ». Une véritable ruée vers l’or du marché et surtout vers la rente politique que ses professionnels de la chose ne veulent pas lâcher puisqu’ils en vivent plutôt bien. C’est le paradoxe d’Emmanuel Macron qui déclame du nouveau avec de l’ancien et des anciens prêts à tout pour vivre encore aux frais de la princesse.
Ô quelle belle clique ! aurait dit mon père.
Il y a donc un patron-Macron, tel un général d’armée mexicaine, avec sa flopée de chefs dont l’écart des couleurs laisse pantois. Il faut les entendre : Baroin se dit prêt à diriger un gouvernement de cohabitation, Jacques Attali a jugé comme "une anecdote", un détail quoi, les suppressions d’emplois à Whirpool et cerise sur le gâteau, Emmanuel Macron déclare "qu’il a pour priorité de rassurer le prochain gouvernement allemand sur notre capacité à réformer notre économie". Mais le plus pathétique vient du naufragé Jean-Louis Borloo qui, interrogé sur France Inter par une auditrice sur le TAFTA, répond qu’il n’est pas vraiment au courant de cette affaire. Les législatives s’annoncent goûteuses.
Oui, mon père tu as raison, quelle drôle de clique !
Mais alors, de quelle démocratie pouvons-nous honorer le nom ? Celle qui reconnaît la complexité du peuple et qui lui permet d’exprimer ses différences, ses partages, ses désaccords ? Celle qui met tout en œuvre pour assurer l’égalité des chances et des services ? Celle qui pencherait vers le commun du Conseil National de la Résistance (CNR) ou celle qui inclinerait vers le commun du CAC 40 ? A ce propos, permettez-moi de rappeler le discours du Général de Gaulle au Palais de Chaillot le 23 septembre 1944 qui insiste notamment sur les richesses qui désormais "seront réparties à l’avantage de tous", oui, à l’avantage de tous.
Antoine de Saint-Exupéry le dit autrement "Une démocratie doit être une fraternité ; sinon, c’est une imposture".
Guy Chapouillié
Mercredi 3 mai 2017