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Parlons peu mais parlons bien !

Pierre Merle. Les mots à la con.

La honte m’habite : ce petit livre jubilatoire et fort utile m’a échappé lorsqu’il fut publié en 2005. L’auteur a écrit de nombreux ouvrages sur le vocabulaire français sous toutes ses coutures.

Qu’est-ce qu’un mot (ou une expression) à la con ? Pas un mot fautif, mais un mot dont on n’a pas besoin. Un mot vide de sens ou encore, dirais-je, qui a moins de sens mais qui est bien plus prétentieux qu’un mot préexistant, précis et qui ne se la joue pas. Pourquoi s’excite-t-on avec positionner alors que placer fait l’affaire, avec occulter alors que dissimuler convient fort bien, avec posture alors qu’attitude ne demande qu’à servir ? Pourquoi s’est-on laissé écœurer par convivial, utilisé à toutes les sauces, alors que l’on voulait dire sympathique, cordial, amical, chaleureux, voire ergonomique (ce fauteuil, ça le fait, il est convivial, et même sympa) ?

Le politiquement correct (qui est toujours de droite) frappe tant qu’il peut dans ce dérèglement de la langue française. Accompagner, c’est prendre pour compagnon. Un compagnon est celui avec qui on partage le pain. Tout cela est bien joli, mais que faisons-nous des « plans sociaux d’accompagnement » (allez, virez-moi tout ce beau monde et donnez-leur une aumône !), de l’accompagnant d’une personne en fin de vie, de l’accompagnement des détenus en fin de peine ? Tout cela relève de décisions que l’on qualifiera d’actes politiques forts, comme s’il en existait des faibles.

Pourquoi, il y a sept ou huit ans, au final a-t-il remplacé pour finir ou finalement ?

Les Allemands disent heute. Encore plus rapides, les Espagnols disent hoy. Nous disons aujourd’hui – qui est déjà redondant puisque hui vient de hodie (hoc die, ce jour) – mais ce n’est rien comparé à au jour d’aujourd’hui. Ce qui est un peu too much.

À présent, on n’annonce pas qu’on est titulaire d’une licence ou d’une maîtrise. On est bac + 3 ou bac + 4. Intéressant à deux titres : d’abord, presque tous les jeunes qui arrivent en terminale décrochent le bac. Ce dont ils ne sauraient faire trop de foin. Donc dire qu’on est bac + relève plus de l’état civil que du niveau de connaissances. Et puis + 3 ou + 4 peut signifier qu’on est titulaire d’un diplôme ou d’un grade de l’université française, ou alors qu’on a glandé pendant trois ou quatre ans après le bac. Bref, en utilisant cette expression à la con qui se veut technique, on reste dans le flou absolu. On n’informe pas, on communique.

Booster. Partout l’on booste, en toutes circonstances, en tout lieux. À l’origine, booster est un terme d’électricité signifiant survolteur. Nous sommes dans l’idée de donner plus de puissance. D’où les boosters (propulseurs) qui suralimentent les moteurs des fusées. Par extension, booster signifie piqûre de rappel pour un vaccin. Aujourd’hui, l’air de la mer booste notre appétit, on recherche des programmes pour booster l’audience et on espère qu’internet va booster l’économie française.

Autrefois, un sourcier qui trouvait de l’eau captait ce don de la terre. Hodie, capter signifie comprendre, mais aussi déchiffrer, analyser, pardon : décrypter, pour parler le jargon vide des journalistes. On capte si c’est clair, en d’autres termes si c’est vrai, évident, sûr. C’est clair est devenu une expression-culte, comme le dernier CD de tel chanteur resté plus de trois mois en tête des ventes. Au quatrième mois, ce produit, qui n’a pas son pareil dans son segment, deviendra mythique. Peut-être, mais dans le futur (in the future) ? Sera-t-il un classique que l’on pourra décontextualiser ? Certainement (pardon : définitivement), si les ventes enflent jusqu’à parvenir à un effet tsunami (au diable les 230 000 morts de 2004).

Le mot citoyen utilisé à toutes les sauces me semble dater du gouvernement de cohabitation Jospin au début des années 2 000, à une époque de confusion politique, idéologique et donc langagière ultime. L’entreprise devait être citoyenne, comme les voitures non polluantes. La gauche plurielle dut se ranger derrière le protestant qui se marrait intérieurement, sans électrons libres pouvant emblématiser une quelconque dissidence. Le résultat fut énorme. Le Pen devança Jospin à la présidentielle. Entre guillemets, si j’ose dire (une expression et une gestuelle idiotes qui nous viennent des StatesI quote), l’extémisme brun était à nos portes. Les bobos et les banlieues, qu’on n’avait pas trop vus jusqu’alors, descendirent dans la rue pour éradiquer (faire disparaître, détruire, anéantir ?) le mal. Il fallait recréer un espace pour la démocratie. Le Pen élu, c’en eût été fini de nos espaces de vie, de notre cocooning mérité. L’alternative était simple : escroc contre facho. Paradoxalement, l’escroc était politiquement, sinon éthiquement, correct. La victoire écrasante de Chirac fit sens. Les électeurs s’étaient déplacés en masse, chacun trouvant en ce dimanche frissonnant un moment, pardon une fenêtre d’opportunité (anglicisme doublé d’une inexactitude), pour aller aux urnes. Chirac put conclure (pardon : finaliser) sa campagne par un triomphe amer. Il n’avait même pas eu besoin de la gérer. Grosso modo (pardon : globalement) tout avait coulé de source. Son concept de quotas (pardon : d’immigration choisie) avait eu l’heur de plaire aux Français impactés par le chômage. Les électeurs de droite avaient oublié les incivilités (arrachage d’œil ou vol de cigarettes) incontournables des sauvageons chers à Chevènement, leur comportement envahissant (pardon : intrusifs).

La droite bien installée au pouvoir imposa au peuple des réformes pour lui apprendre la vie. Même les élèves furent concernés. Désormais, on leur délivra un livret de compétences, au lieu d’un bulletin trimestriel. Malheurs aux vaincus dont les compétences étaient ECA (en cours d’acquisition), à tous ces loosers (l’anglais écrit losers) bons pour les filiales low cost. Dans les classes, l’expression libre fut modérée (pour ne pas dire censurée). Les enseignants qui acceptèrent de plier s’inscrivirent dans la mouvance d’un nouveau positionnement. Les plus dociles furent récompensés par des promotions flatteuses, après avoir été short-listés, nominés par leurs supérieurs. Rien n’était vraiment (pardon : franchement) transparent. Des carrières furent plombées. Point barre ! Difficile de positiver. Chez nombre de victimes, la souffrance fut prégnante au point qu’il ne leur resta plus qu’à aller demander des calmants ou des euphorisants à leur pharmacien de proximité. Quelque part, c’était la cata. Face aux informations alarmistes qui remontaient, certains supérieurs hiérarchiques acceptèrent de revoir leur copie. Il ne leur fut pas facile de séparer le bon grain de l’ivraie, de segmenter leurs adjoints en bons et en mauvais, en malléables et en indociles. Ceux qui étaient proches de la retraite, les seniors, prirent leur mal en patience. Ils savaient que leur pension n’aurait rien de somptueux mais cela ne leur créait pas vraiment de souci. Y’avait pas de lézard  ! À la maison, ils seraient supportés par leur conjoint (ou par des travailleuses du sexe ?) qui leur ferait de bons petits plats, en évitant toutefois la surcharge pondérale. Mais que faire tendanciellement contre le système ?

Tout cela était trop. Hallucinant, même. Ubuesque. Il faudrait bien un jour zapper. Shunter cette vie devenue une zone de non-droit. On était dévastés.

Bernard GENSANE

http://bernard-gensane.over-blog.com

Paris : Mots &t Cie, 2005.

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