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Horizons de Colombie (II)

Potosi, Semence de résistance communautaire.

Avec les communautés indigènes et les communautés paysannes, des quartiers des villes Colombiennes résistent aussi à la pression de l’État ultra-capitaliste et au dénie de l’histoire ancestrale du Pays. Dans le quartier de Ciudad Bolivar, connu pour ses violences policières, ses disparitions de jeunes et sa problématique de pauvreté, vit et se développe le projet alternatif d’un commerce juste et d’une production d’aliments ancestraux, pour l’indépendance alimentaire, la lutte pour la récupération de la mémoire et le combat contre la fatalité voulue par l’oligarchie.

Là -haut sur la colline de Potosi, au Sud de la capitale, les rues sont de terre et de pierre, les orages semblent gronder à quelques mètres seulement de vos oreilles, et d’un regard on embrasse l’horizon de Ciudad Bolivar, ce quartier fameux, tristesse du Libertador, qui concentrent les problèmes d’un pays submergé par les déplacements forcés, d’un pays meurtri par une oligarchie hautaine et lointaine, d’un pays soumis aux diktats des pensées et des armes paramilitaires. Ici, dans les collines oubliées, 76% des familles vivent sous le seuil de pauvreté. Mais les gens vivent quand même. Les gens de Ciudad Bolivar, ce quartier de un million d’habitants qui n’existait presque pas il y a vingt ans, est un patchwork des souffrances de la Colombie, une évidence de la guerre, la guerre des armes et la guerre économique. Les anciens se félicitent de l’eau courante et de l’électricité, des bus qui passent enfin, et même des quelques services publiques, une cantine communautaire par ici, une école par-là , des jardins d’enfants sans jardin, et puis le silence. Parce que Potosi reste un quartier ennemi de l’État, avec sa gigantesque base militaire cachée derrière la colline, avec ses paramilitaires qui font la loi et gribouillent les portes des leaders communautaires de leur sale sigle : AUC. On vous dira, plus bas dans la ville, là où l’on croit les journaux, que les paramilitaires n’existent plus puisque l’État les a démantelé et gracieusement remercié. On vous dira que l’armée et les paramilitaires ce n’est pas la même chose. Pourtant le mois dernier de nombreux jeunes disparaissaient encore, évidemment (évidence macabre) retrouvés à plusieurs centaines de kilomètres déguisés en guérilleros (habitude macabre). Cette fois cela n’est pas passé, l’armée est mise en cause, des généraux et des soldats sont accusés. Exception, pour beaucoup espoir d’une brèche dans la sainte impunité de l’alliance parapolitique-narcotrafique. Les familles de Potosi pleurent leur morts, la société bien pensante s’étonne, et le gouvernement parle de moutons noirs. Affaire à suivre pour ceux qui sont si loin de tout cela, pour ceux d’en bas qui croit les journaux.

Mais Potosi ce n’est pas que cela, la Colombie cela n’est pas que ces lâches armés jusqu’au dents, ces militaires bêtes et saouls, ni ses politicards corrompus jusqu’au narcotrafique, ni ces bourgeois qui vendent chaque bout de terre aux puissances étrangères. Non, Potosi c’est le contraste d’une communauté qui vit et s’organise, qui s’inquiète plus de retrouver son histoire et sa culture ancestrale que de se prostituer aux théories capitalises importées. A Potosi, descendu du bus qui s’essouffle dans la cote, il faut marcher encore un peu, grimper encore vers cette colline qui semble la dernière, celle qui semble embrassée le ciel, celle qui domine toute la ville, il faut passer devant ce jardin d’enfants, les saluer et les voir chuchoter devant l’étranger de passage, il faut sourire avec eux une fois faites les présentations, et alors, l’autre Potosi est prête pour la découverte.

Alegria de vivir, c’est le nom du jardin d’enfant édifié en pente, avec salle d’étude, jeux de plein air et une cuisine. Du jardin d’enfant on passe au jardin vert, le potager et verger accrochés à la pente. Luz Dary Ayala, une des leaders de la communauté est notre guide au travers des fruits et légumes, des bacs à humus où grandissent les lombrics, des digues de bois qui retiennent la terre. Parce que ici tout est naturel, sans aucun recours aux produits chimiques, et tant pis si les escargots voraces dévorent les feuilles de salades. Ce n’est pas de l’agriculture biologique, non, c’est de la culture ancestrale. Le projet « Delicias del Sur », initié par la communauté et par le collège libre ICES (Institut Cerros del Sur), est de promouvoir une alimentation saine, de retrouver la tradition des anciens, d’approcher l’autosuffisance alimentaire pour la communauté et en priorité les enfants, tout en développant des alternatives au commerce, comme le troc et l’échange de savoir. La quinoa, cette céréale ancestrale oubliée au profit des produits d’importation comme le blé et le riz, est l’un des aliments sains sur lequel la corporation base son activité. Cette plante traditionnelle andine est un concentré de vitamine et de protéine, et la chocoquinoa, une de ses multiples variantes, devrait être un aliment de base pour les enfants. C’est un travail patient de récupération des valeurs indiennes, le tri et la protection des semences et la recherche de terre pour développer les jardins dans tout le quartier. Au-delà de ces principes, ce projet permet de fédérer la communauté, populations déplacées par la guerre et les grandes multinationales, principalement d’origine paysanne, qui souffre d’être enfermée dans le béton d’une ville qui les rejette, les cloue à la pauvreté et les criminalise. Le projet de commerce, si loin des illuminations gouvernementales et de ses plans capitalistes, rentre en conflit permanent avec les implantations de grandes surfaces voulues par l’État et la privatisation des circuits de distribution alimentaire. Ceux qui croient les journaux devraient le savoir, la Colombie de ces 15 dernières années est la championne du néo-libéralisme sauvage, et ce n’est pas une image. C’est dans ce quartier de la ville que j’ai vu pour la première fois dans la capitale sur la porte des leaders de la communauté ce sigle des paramilitaires, ce sigle qui n’a rien à envier à la croix gammée : AUC. Demain cette infamie sera une vérité et les monstres paieront, aujourd’hui c’est une gangrène sans contrôle sous la protection des pontes du gouvernement. Malgré cela Potosi s’organise donc, au travers de ce projet vaste basé sur le renforcement de la communauté au travers de l’autosuffisance alimentaire et la mise en valeurs de sa mémoire ancestrale. Un peu plus haut que le jardin, un grand bâtiment bleu est posé, presque, cette fois, au sommet de la colline. C’est le dernier bâtiment, derrière c’est la nature. Ce bâtiment bleu c’est le collège ICES, un projet, encore de la communauté, de plus de 23 ans, qui débuta alors comme une simple cabane où recevoir les enfants et développer le soutien scolaire et l’entraide communautaire. Aujourd’hui c’est un vaste ensemble pouvant accueillir 1000 personnes, un espace libre, sans porte, auto-géré, ouvert à toute la communauté. Salle de classe, salle informatique, laboratoire biologique, salle de danse, de réunion...et bien sur, à coté du terrain de jeu, un jardin sous serre. C’est de là qu’est venu le projet Deliscosa del sur, et avec les leaders de la communauté, principalement des femmes, le projet vit et se développe : formation des gens à la comptabilité, à l’économie directe, au technique ancestrale de culture, à la biologie, etc,etc.... Lorsque je demande pourquoi il n’utilise pas la colline qui surplombe le collège, on me répond que cette colline et celles qui sont derrières sont propriétés de multinationales et que bientôt elles seront éventrées pour extraire du ciment...du ciment contre des fruits et des légumes. Un professeur passe. On parle rapidement des disparus du mois dernier, rapidement parce qu’un cours l’attend. Les jeunes jouent au ballon. Les jeunes de Potosi parlent et écoutent, ce ne sont pas les monstres décrits par ceux d’en bas, ceux qui croit les journaux, même si les petits de cinq ans parlent déjà comme des adolescents. Ici la vie est dure et l’espoir tout aussi tenace. Là on vit, on s’organise et on rêve à de grande chose, de grand projet, un avenir germé dans le respect du passé et dans les souffrances du présent, comme le rappel à l’entrée du collège le buste de Evaristo Bernato Castellanos, leader communautaire et instigateur de ce collège libre, assassiné en 1991.

La corporation vit des moments difficiles. Bien sur l’État ne subventionne pas ce projet qui contrarie ces plans économiques. Il manque un local pour travailler la quinoa, pour des questions d’hygiène cela ne peut se faire dans la cuisine du jardin d’enfants. Il manque des volontaires, dans ce quartier décimé par la pauvreté et le chômage, où beaucoup de mères de famille élèvent seules leurs enfants, il est difficile de s’investir dans une activité qui n’assure pas un salaire minimum. Il faut également des lieux de stockage, non pas que la production soit une obsession de Delicias del sur, mais c’est bien grâce à leur produit, leur mode de fabrication et les liens de solidarité et fraternité qui l’entoure que l’indépendance non seulement alimentaire mais aussi culturelle prendra son envol. Pour cela aussi existe le projet de construire un marché, lieu d’échange, de troc et de partage du savoir, de l’histoire de la culture, de l’histoire de la Colombie, celle qui ne s’apprend pas dans les journaux ni dans les livres de l’éducation nationale. Pour cela aussi il faut souligner le travail de grande valeurs de toute ces communautés, des associations comme Humanidad Vigente, association d’accompagnement juridique qui se bat et défend les victimes de violations des droits de l’Homme à travers tout le pays, qui soutiennent ce projet, s’éloignant un peu de l’image triste de cette colline, là -haut sur les hauteurs de Ciudad Bolivar.

Avant de quitter Potosi, c’est impossible de ne pas boire le café noir offert par Luz Daria. Parce que les colombiens sont comme cela, si loin des clichés de ma lointaine Europe. Au mur de son salon il y ce tableau de Delacroix, La Liberté guidant le Peuple. La Colombie est une terre de partage, ces habitants coupés du monde par la propagande sont curieux de l’ailleurs. On me demande, comme souvent, si la pauvreté existe dans mon pays. Je regarde cette Liberté passée, ce rêve de Liberté, et un peu honteux j’avoue. Bien sur, il y a des problèmes, des déplacés économiques des pays pauvres du sud qui embrasent, parfois, les cités populaires, des sans maisons perdus dans la ville intransigeante... mais rien de pareil, rien de semblable, rien de systématique... et j’avoue aussi ma responsabilité collective, le coeur gonflé de cette balade à Potosi, que le mal vient aussi de mon pays, de ses multinationales sans âmes, ses banques capitalistes, ses contracteurs de paramilitaires et ses penseurs du saccage, qui ici, à Potosi se payent comptant. La Colombie est ainsi, comme le monde d’aujourd’hui, couleurs et noirceur, tristesse et espérance. Et s’ils n’ont pas besoin des étrangers pour récupérer leur mémoire volée, s’organiser et organiser leur futur, les multinationales étrangères elles n’ont plus n’ont pas le droit, cette fois non, de venir saccager ce projet du nouveau millénaire, et rappelez vous, occidentaux révoltés et révolutionnaires, qui si vous vous pensez trop loin de la Colombie pour agir, rappelez-vous que vous êtes surement plus près du siège de ces multinationales qui pillent ce beau et fier pays, de ces multinationales qui payent les paramilitaires pour assassiner la jeunesse et les leader sociaux, alors si la rage positive vous donne des envies de lutte, vous savez ce qu’il vous reste à faire, un jour ainsi vous serez reçu avec toute l’hospitalité colombienne, là -haut sur la colline de Potosi, pour partager avec toute la communauté des galettes de quinoa et un jus de mora du jardin Alegria de Vivir.

Archibald EMOREJ

Novembre 2008.

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