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Siné Hebdo, un nouveau-né borgne et ridé.

De Coluche : « Il n’y a que les Belges et les Suisses pour ne pas voir que leurs pays, c’est pareil. Franchement, ça valait pas le coup d’en faire deux ! »

Quand Philippe Val, écrasant du talon la tronche du professeur Choron, franchit un nouveau degré, ignominieux celui-là , dans son ascension du mont Trahison en collant sur le front de Siné l’étiquette « antisémite », nombreux furent ceux qui trouvèrent que trop, c’est trop.

Même Plantu, propre sur lui comme pas deux, y alla de son haut-le-coeur dans l’Express en croquant Val costumé en officier nazi, bras tendu, ranger levé.

Siné viré, nous fûmes ravis de sa riposte : la création de Siné Hebdo dont on supputait qu’il serait une sorte de Charlie Hebdo d’avant Val, féroce envers les cons, envers l’égoïsme des puissants et même (pourquoi pas ?) envers les islamophobes. Et traversé, comme le fut Charlie Hebdo, d’enivrants effluves aux senteurs inconnues.

26 numéros plus tard, la déception, diffuse, longtemps inavouable pour cause de solidarité, est là et bien là .

D’Hara-Kiri de Choron, de Charlie Hebdo de Cavanna, Siné Hebdo a gardé la dénonciation des gouvernants, de la police, de la Justice, des religions. Le Père Peinard, hebdomadaire anarchiste, en faisait tout autant, dès la fin du 19ème siècle. Siné Hebdo aurait dû naître en 1890.

D’Hara-Kiri de Choron, de Charlie Hebdo de Cavanna, Siné Hebdo a gardé plein de bites, de couilles, de seins et de gros mots. Hélas, ce qui choquait hier est de nos jours banal et seulement racoleur. Siné Hebdo aurait dû naître en 1960.

Hara-Kiri de Choron, Charlie Hebdo de Cavanna se vautrèrent dans la provocation iconoclaste contre un ordre moral arrivé à bout de souffle et, par là , contribuèrent au délaçage du corset de Marianne. Qu’en reste-t-il dans Siné Hebdo ? La provocation iconoclaste qui pédale à vide. Siné Hebdo, c’est le bac à sable où l’on s’ébaudit d’avoir dit prout-caca-boudin et zizi avec 40 ans de retard. Philippe Bouvard s’en régale, tressautant de rire, bouche fermée, joues gonflées. Siné Hebdo n’aurait jamais dû paraître sans avoir entendu parler de ce qu’il y avait de neuf dans mai 68.

Quand Cavanna déplore que, dans le Charlie Hebdo de Val, « L’humour est toléré, la bouche en cerise, le cul béant, des gros mots et des grosses bites tant que vous en voudrez, mais attention, politiquement correct », il pourrait étendre le constat à Siné Hebdo, simple poil à gratter du système, sévèrement concurrencé dans la gaudriole par « Les Grosses têtes » et dans l’audace par Stéphane Guillon et Didier Porte.

Le Charlie Hebdo de Cavanna avait créé un genre, innové sur le fond, inventé un style journalistique, débusqué des sujets d’indignation, déniché des idées inédites. Siné Hebdo vit sur le stock ancien. Imaginons un visionnaire réclamant l’instauration de la République quatre décennies après la décollation de Louis XVI, un notaire prônant l’usage du stylo-bille quand les plumes Sergent-major sont devenues antiquités, un Résistant criant « Vive Manouchian ! » le jour où François Mitterrand prend la main d’Helmut Kohl dans la sienne, une pacifiste appelant à l’armistice quand la paix est signée. Après lecture de certains articles de cet hebdo, on se retrouve instruit comme au sortir du « Café du Commerce » où un pochtron vient d’expliquer comment roder les soupapes de la Simca 1000.

La détestation des chasseurs et des corridas ? On aura du mal à trouver cela primordial en ces temps où des salariés mendient leurs repas aux Restaurants du coeur et couchent sous des cartons ou dans leur voiture tandis que les chômeurs sont traités de fainéants, les quadragénaires licenciés, les jeunes surexploités, la police déchaînée. Si l’on regarde au-dehors, on voit que pleuvent des bombes « intelligentes » sur des civils, sur des écoles, sur des ambulances et des hôpitaux, tandis que l’Afrique recrute des enfants soldats, que voguent toujours des prisons secrètes sur des navires affrétés par la CIA.
La dénonciation (obsessionnelle) d’une chose n’empêche pas celle d’une autre ? Oui, certes, et au prorata de l’horreur, si possible. Révérence gardée envers les bovins d’Estramadure et les gallinettes cendrées du Bouchonnois !

La boutique misogyne est partagée en parts égales entre les deux hebdos divorcés : une salope ici, une pute là , un vagin pour l’un, un trou avec des poils autour pour l’autre. Oui, on y redécouvre la provoc de feu Hara-Kiri. Ce n’est pas original, mais au moins, ça ose. Siné dessine sa « femme idéale » : une abrutie monstrueusement fessue et mamelue, juchée sur les hauts talons de ses cuissardes noires. Un « garage à bites ». C’est du second degré, on l’accepte donc en ces temps où les humoristes sont ligotés par les ligues bien-pensantes. L’imprimatur est donné par Isabelle Alonso, ex-« chienne de garde », vigilante pourfendeuse du sexisme et du machisme. On sait qu’elle ne tolèrerait pas de ce journal où elle écrit ce qu’elle condamnerait dans d’autres où elle n’écrit pas, sauf s’ils affichent leur diplôme de second degré.

Aujourd’hui, la vraie différence entre Charlie Hebdo et Siné Hebdo est marquée sur la question du sionisme et de l’Islam (et par l’éloge appuyé du pinard et des cuites dans Siné Hebdo).

Quels sont les points communs ? Un goût de la liberté tel qu’aucun de ces hebdos ne saurait se compromettre à relayer le moindre mouvement sociétal, encore moins en initier un, encore moins donner à voir ce qui s’amorce de positif dans le monde. Ajoutons des dessinateurs et chroniqueurs de talent dans les deux, le persiflage, le respect de leur chef.

Bref, la différence entre le Charlie Hebdo de Cavanna et le Charlie Hebdo de Val est plus grande qu’entre le Charlie Hebdo de Val et Siné Hebdo.


Il en résulte que la vraie bonne raison d’acheter Siné Hebdo, c’est de tailler des croupières à Charlie Hebdo, de jouer Siné contre Val, de participer à la vengeance du réprouvé, à un règlement de comptes privé en arguant de la dérive idéologique de Charlie Hebdo. Mais il y a pléthore d’autres titres qui devraient alors être tout autant honnis (pas vrai, Libé ?).

Par malheur, après avoir acheté Siné Hebdo, « en contre », on se retrouve en train de lire un Charlie Hebdo de Cavanna, amputé de quelques pages, celles des prémonitions, du repérage d’un frémissement du pays et du monde, celles des signes vers les jeunes pousses à ne pas piétiner, du refus du manichéisme politique ambiant et surtout, surtout, du rejet du bourrage de crâne médiatique.

Né le 10 septembre 2008, le bébé marche désormais sans son youpala. Ses parents et amis, les lecteurs, l’ont aidé à grandir l’ont nourri, absolvant ses erreurs de jeunesse. Mais l’heure est venue de se demander si le marmot a toutes ses cases.

Un doute survient à constater les lourdes autocomplaisances de l’hebdo de Siné.

Dans son N° 26, deux pages entières (couverture et page 7) et huit dessins sont consacrés à Siné, plus deux autocaricatures. Manquent l’autel et l’encens. Il paraît que Siné (« Ni dieu ni maître ! ») abhorre les génuflexions, conchie Staline et probablement le culte de la personnalité.

Quant à Guy Bedos, dont le talent n’a d’égal que la grosse tête, on s’afflige de le voir écrire à son retour du Québec où il nous révèle qu’il a fait « un tabac » : « Catherine Sinet […] me dit que je vous ai manqué. Dans certains courriers des lecteurs, il paraît qu’on me réclame. »

En page 2 du même numéro, dans sa longue rubrique où il se croque par deux fois, équipé de sa bouteille à oxygène, Siné écrit : « Je me demande pourquoi Jack Lang est le plus détestable ? 1- D’avoir accepté d’être l’émissaire particulier de l’homoncule ou, 2- d’avoir été serrer la paluche de l’abominable stalinien, frère du dictateur gâteux ? J’hésite… les deux me font gerber. »

Siné, il faut faire gaffe avec « homoncule » (petit homme, avorton) et « gâteux ». Sarkozy est plus grand que vous et vous avez l’âge intermédiaire entre Raúl et Fidel Castro. Vous aviez oublié ces détails ?

Autres figures qui feront gerber Siné, les chefs d’Etat suivants qui ont précédé Jack Lang à Cuba en ce début de l’année 2009 : Cristina Kirchner (Argentine), Michelle Bachelet (Chili), Rafael Correa (Equateur), Alvaro Colom (Guatemala), José Manuel Zelaya Rosales (Honduras), Leonel Fernández Reina (République dominicaine) et Hugo Chávez (Venezuela). Nous avions eu, quelques mois plus tôt : Evo Morales (Bolivie), Inácio Lula da Silva, (Brésil), René Préval (Haïti), Daniel Ortega (Nicaragua). Bien avant, Nelson Mandela, à peine élu président d’Afrique du Sud, se précipita à La Havane pour son premier voyage à l’étranger.

Tous ces méchants vomitifs étaient venus consulter des dirigeants d’une île où les basanés ne sont pas esclavagés et où, depuis 1959, et contrairement à ce qui se passa chez eux, la police et l’armée n’ont jamais tiré dans la foule, ni torturé les opposants, ni assassiné les dirigeants, ni mis en place une « démocratie » qui vend le pays au puissant voisin. De sorte que le jugement-couperet de Siné est intrinsèquement minable. Cuba, ni paradis ni enfer, dirigée par des hommes, pas par des anges, seule fourmi insolente que, de mémoire de latino-américain, un éléphant furieux n’a pas réussi à écrabouiller, seul pays du monde pourtant que l’armée des USA a le droit d’envahir sans prévenir le Congrès, mérite d’être jugée avec plus de nuances, moins de haine. A cause de l’ensemble de nos médias (Siné Hebdo compris), la France sera bientôt le dernier pays à avoir compris que, dans toute l’arrière-cour US, une aube se lève, un autre monde est en train d’éclore, grouillant d’idées, de projets, d’innovations, grâce à la longue résistance d’une île minuscule soumise à un blocus.

Pourquoi faut-il que Siné se fasse le vecteur d’une vision borgne de l’Amérique latine empruntée à la presse installée, nourrie des rafales de communiqués militants de Reporters sans frontières ?

Donc, rien de nouveau, là non plus. Charlie Hebdo de Val excellait dans ce job (à dire vrai, Wolinski et Charb se démarquent nettement de l’hallali médiatique borné contre Cuba).

Bref, comme disait Coluche « ça valait pas la peine d’en faire deux ».

Autrement dit, on peut vivre sans eux et découvrir tout aussi bien un monde en gestation.

Cependant, qui nous dit que Siné, plus démocrate à lui seul que Philippe Val et Robert Ménard réunis, ne va pas consulter ses collaborateurs (dont beaucoup sont estimables, vraiment) et ses lecteurs pour leur demander : « En quoi pourrait-on s’améliorer. Où est-ce qu’on merde ? Est-ce que ne seraient pas en cours, chez des métèques, des changements qui vont affecter la planète, bousculer l’ordre unipolaire, se répercuter chez nous, chargés d’une autre conception de la vie en société ? Changements qu’on ne voit pas poindre, occupés que nous sommes à concocter un Siné Hebdo prudemment antisioniste, mais résolument franchouillard, myope, sourdingue, acariâtre, viticole, sûr de lui et dominateur. En quoi fait-on réfléchir le lecteur sur ce qu’il ne sait pas déjà  ? En quoi contredit-on les antiennes médiatiques ? Quand avons-nous découvert et propulsé des idées sur l’avenir ? Hormis ce que virent Cavanna et son équipe il y a 40 ans, que voyons-nous que nous voudrions montrer ? ».

Qui nous dit ? Hein ? Qui nous dit ?

A l’approche de sa 81ème année, le grand Siné (1) pourrait enfin nous étonner pour de bon. C’est tout le mal qu’on lui souhaite parce que, et même si ce coup de gueule semble dire le contraire, on aimerait bien voir son hebdo trouver un second souffle, une inspiration, qui le propulseraient à 200 000 exemplaires, toutes fenêtres ouvertes sur « ailleurs » et sur « autre chose » », au grand dam du vaticinateur du 44, rue de Turbigo dont nous serions mortifiés de constater qu’il a pondu son clone inversé.

Validmir MARCIAC
Le Grand Soir
http://www.legrandsoir.info

(1) En raison de la modestie du titre de son hebdo, je n’ai pas pu faire moins que de citer 32 fois Siné dans cet article. Pub gratuite. De surcroît, il est précisé que tout ce qui précède est du deuxième degré (au minimum !). En tenir compte dans les commentaires.

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