Pour bien me repérer dans l’espace et le temps, je cite les paroles d’un idéaliste algérien dégringolant du sommet d’un enseignement politique oublié « Quand je vois Bernard Henri Lévy aux côtés des Libyens à Benghazi, je me demande à quoi cela rime. Soyons conscients, nous sommes pour le changement mais nous refusons qu’il nous soit dicté de l’étranger. Je considère que la souveraineté nationale est une notion sacrée. C’est également ce que ressentent les personnes qui ont vécu le colonialisme, qui savent que l’indépendance ne peut pas être décrochée aussi facilement et qu’il est naturel de le défendre ». Cet algérien parle de notre indépendance et des actions de Bernard Henri Lévy chez les arabes. Entre le fixe et le mobile, il se cherche un repère perdu.
Perdu dans le tiers monde politique, il oublie le repère mobile. Il reconnait que le mobile est difficile à suivre quand une régente nommée péjorativement Marie Madeleine vous fait monter au sommet de l’échelle politique. Sur l’échelle, les idées de Friedrich von Hayek de l’ordre politique d’un peuple libre vous attirent vers la réalité que nous vivons dans le monde moderne « Les gouvernements sont devenus des institutions de bienfaisance exposés au chantage des intérêts organisés. Les hommes politiques cèdent d’autant plus volontiers que la distribution d’avantages permet d’acheter des partisans
Dans le monde des faux, le repère fixe n’est plus commode. Une fille de joie plus audacieuse que la précédente vous fait dégringoler du train du pouvoir. Le dégringolé revient à sa raison quand il descend du train. Sur le quai, il chante dans l’ivresse politique sa mauvaise expérience dans le train. Il discourt sur le quai « Cessez d’écouter ces faux leaders qui vous demandent de l’argent pour acheter un poste politique ou une faveur du système à prix fous ! Ne les écoutez pas s’ils vous disent que vous allez devenir facilement riches sous notre gouvernance. Ne les écoutez pas s’ils vous promettent que vos enfants réussiront au bac même s’ils ne méritent pas le succès. Si vous êtes sans logement, il ne faut pas les attendre. Ils vont certainement vous construire des châteaux en Espagne ! Ce sont des menteurs » Il discourt mais personne ne l’écoute. Après un long discours sur le quai, il arrive à la triste vérité « Quand on ne vous écoute pas, il vaut mieux se taire que de parler. Les gens du quai ne croient plus aux gens du train et les gens du train ne contrôlent plus le mouvement des gens sur le quai. Mon pays a changé et ses repères ne miroitent plus. Le temps efface le beau repère et conserve les traces du bon repère »
Pour aller au beau repère, vous devez prendre le boulevard de la confiance et suivre la rue de la vérité. Le beau repère se trouve sur l’impasse perpendiculaire au temple de la culture (école des beaux-arts) et médiane du palais d’été. Le beau repère n’est plus un bon repère comme il était dans le passé. Le temps impose ses lois et veut que chaque génération ait son repère
Le peuple algérien a célébré le cinquantième anniversaire de son indépendance dans l’allégresse et la joie. La fête terminée, les algériens reviennent à la routine et à leurs habitudes sur le quai d’espérance. Les gens du quai constatent que le train du changement est en retard. Il siffle, s’arrête dans toutes les gares mais les voyageurs ne descendent pas. L’attente sur le quai ne fait pas oublier les souvenirs amers du colonialisme sauvage quand le train traine des voyageurs qui n’ont aucune destination. Zouhir est sur le quai depuis 1990. L’espérance et sa patience le confortent et lui tiennent compagnie sur le quai. Il constate que les mêmes voyageurs occupent le train. Comme tous les gens du quai, Zouhir ne s’illusionne pas dans des choses importantes. Les choses importantes sont notre histoire et notre destination. Notre destination n’est pas encore claire.
Les gens du quai regardent, parlent, entendent et attendent. Les gens du train sont aveugles, sourds et muets. Ils sont en voyage éternel. Dans leur excursion, ils ne reconnaissent plus le beau repère. Zouhir nous dit « En réalité, il faut avoir plus de pitié que de haine envers les voyageurs sans destination qui ignorent le beau repère ». Le contrôleur du quai est un grand homme expérimenté dans les histoires des trains. Aujourd’hui, il reconnait que l’attente sur le quai porte atteinte au mouvement du train et donne une mauvaise image du quai. Il demande aux gens du quai de s’armer de volonté et de courage pour diagnostiquer la maladie et traiter la situation dans le train.
Les gens du quai dénoncent les gens du train et disent « Ces gens méprisent tout changement qui ramène l’espoir du soulagement longtemps attendu sur le quai. Ces gens sont entrés en plain-pied dans la civilisation du paraître et adorent la culture de l’avoir ».
En contraste, les gens du train ignorent les gens du quai et disent « Sur le quai, la culture de l’être gène le mouvement de notre train. Nous sommes conscients que la monotonie de notre train impose aux gens du quai un monde de (sous) culture spectacle sans cachet. Notre train avance dans le temps qui ruine les murs du beau repère »
Nous sommes le 5 juillet 2012. Je téléphone à Zouhir pour le saluer ; il ne me reconnait pas puisque tous les voyageurs sur le quai parlent le même langage. Sans hésiter il me dit « L’Algérien manque à sa justice dans le train, mais il ne manque ni à sa grandeur ni à sa dignité sur le quai ». Après cinq minutes de conversation, il me reconnait et me rappelle les belles paroles de Claude-Adrien Helvétius « Lorsqu’un vaisseau est surpris par de longs calmes, et que la famine a, d’une voix impérieuse, commandé de tirer au sort la victime infortunée qui doit servir de pâture à ses compagnons, on l’égorge sans remords : ce vaisseau est l’emblème de chaque nation ; tout devient légitime et même vertueux pour le salut public ».
Honnête et fidèle à son pinceau, Zouhir vivote sur le quai et attend l’heure où le train retrouvera les rails qu’ils le mèneront vers une gare qui respecte les correspondances.
La mère de Zouhir n’est pas chinoise. Elle est de Barouaguia. Son père n’est pas italien. Il est de Médéa. Zouhir est noble puisque son arrière-grand-père est Sidi Ahmed Ben Mansour. Sidi Ahmed Ben Mansour est l’oncle maternel de Sidi Abderrahmane Athaalibi le gardien d’Alger. Zouhir a fait l’école coloniale et se rappelle de l’histoire des melons. Les melons, sur cent il y a un de bon. A l’école française des colons, nous étions tous des melons.
Après l’indépendance, Zouhir a fait l’école supérieure des beaux-arts d’Alger entre 1963-1968. Ses professeurs étaient Racim, Isiakham, Mesli et le fameux peintre et professeur de dessin Chevallier, l’ex maire d’El Biar. Il était décorateur « designer » dans un coin où les hommes se respectent par le rang, l’ordre et la discipline. De 1969 à 1985 ce coin était son lieu de travail. Dans un autre lieu nommé la palmeraie, Zouhir a laissé ses souvenirs. Il refuse de les raconter sur le quai. Selon les informations officieuses sur le quai, la palmeraie est devenue une garderie. Les petits enfants de cette garderie ignorent l’ex-habitant de cet endroit. Dans cette palmeraie, Zouhir a connu des hommes et se souvient de leur courage et de leur élégance de style. Dépassant l’âge de la retraite, il attend sur le quai l’arrivée du bon train. Il vit sans salaire. Il respecte toujours les hommes qu’il a connus dans sa vie professionnelle même si Mr. Louh refusait de lui accorder sa retraite. Aujourd’hui, il le dit à haute voix « J’ai connu l’habitant de la palmeraie. Dieu merci ! Nous sommes indépendants. Ma liberté vaut plus que ce monde. Je me rappelle des paroles de l’occupant de la palmeraie et je les chante avec fierté sur le quai de la dignité « nous avons besoin d’hommes ya rab el karim ». Les gens du quai pensent que la palmeraie de Zouhir est imaginaire. Je crois aux paroles de Zouhir. La palmeraie est une réalité puisque l’artiste Zouhir la fréquentait.
Voici comment Zouhir raconte l’histoire de notre indépendance sur un quai qui borne une méditerranée agitée depuis des siècles par les conflits de civilisations. Il pense que c’est par la logique et la raison qu’il faut convaincre. Le mensonge, les supplices et les mauvais tours n’instruisent pas les gens du quai. Ils les abêtissent. Les voyageurs qui ont le zèle de l’histoire falsifiée essayent par tous les moyens d’imposer leurs idées sur l’indépendance du quai. Ils charment les tendres par de faux documents et font pitié aux gens qui détiennent leurs secrets. Les enfants d’Algérie et les enfants de la France sont partagés entre l’amour et la haine. Ils veulent reconnaitre la vérité. La France divulgue la moitié du mensonge et cache la moitié de la vérité. L’Algérie dévoile une moitié de la vérité et parle timidement du demi-mensonge qui couvre l’entière réalité.
Oublions les deux moitiés apocryphes et oeuvrons pour lier les deux moitiés de l’histoire reconnues par les deux peuples. Ainsi se reconstruit la vérité. Il continue et cite un passage de la lettre du président français François Hollande adressée au président algérien Abdelaziz Bouteflika à l’occasion du 5 Juillet. Dans ce message, la question de la mémoire et du droit de vérité sont bien dits « Français et Algériens partagent une même responsabilité, celle de dire la vérité. Ils le doivent à leurs aînés mais aussi à leur jeunesse ».
Pour Zouhir, avoir raison c’est être sur le quai et avoir tort c’est être dans le train. Il le dit à la manière d’un artiste, entre le vrai et l’erreur, les enfants des deux rives de la méditerranée cherchent le tangible. Ils veulent savoir la réalité. Une réalité qui efface la haine et fait oublier la vengeance. Nos enfants sont conscients de l’histoire de leur pays et savent que leurs grands-pères étaient des hommes de mérite sur le quai de dignité. Zouhir reconnait ce mérite et l’exprime avec foi et satisfaction « Combien d’hommes extraordinaires et qui avaient de très beaux génies, un grand courage et une remarquable intrépidité sont morts sans que personne en ait parlé ! Combien vivent encore dont on ne parle point et dont on ne parlera jamais. La vie des hommes sincères est simple et n’est en aucun cas comparable à celle des voyageurs qui occupent les fauteuils du train ».
Quand la raison reconnait la politique sincère, l’imagination et le rêve sont mis au service de la réalité du quai. La réalité fait bon repère. Les gens du quai ne veulent plus entendre parler des querelles personnelles dans les compartiments qui composent le train. Les querelles de clans et de lobbies empêchent le train de se diriger vers sa destination. Les zizanies de la politique infantile déboussolent le train. Les jeunes sur le quai attendent le train de changement et cherchent la correspondance qui mène au beau repère.
Sur le quai nous avons discuté de beaucoup de choses, même de notre ami Kada. L’histoire de Kada de Baba Ali n’est pas une histoire de guerre. C’est une histoire des années soixante-dix, quand le métro d’Alger était papier dans les tiroirs.
Nous avons connu Kada lorsqu’il était administrateur à Baba Ali. Notre traversée de la méditerrané sur le fameux paquebot El Djazair est une grande aventure. Très fiers de notre liberté, de notre jeunesse et de notre bateau nous avons parlé un peu de tout. Nous avons parlé de l’Algérie française. A bord de ce bateau qui sillonnait la mer comme une charrue sans boeufs, nous apercevons notre professeur. Un professeur de race française et coopérant technique en Algérie. La syllabe De devant son nom voulait tout dire. Il contemplait avec émotion la baie d’Alger la blanche. Après un long silence, il respire profondément et dit « Vous avez un très beau pays. La baie d’Alger comme un quart de lune reflète le soleil et éclaire le monde par sa révolution. Je vous préviens pour que vous ne soyez pas déçus par la paysage de l’autre rive de la méditerranée. Marseille va vous accueillir. Ses murailles grisâtres et la mer sombre noircie par les huiles de navires vont surement vous choquer. Le poste portuaire de Marseille est connu par le racisme de ses policiers pied-noirs qui ne gardent que les mauvais souvenirs de votre pays. Ils oublient que la réalité de votre lutte pour la liberté était une chose légale. Marseille va vous saluer et faire revivre en vous les moeurs françaises qui ombraient l’Algérie dans le passé colonial.
Zouhir conclue la conversation par les paroles de Guy de Maupassant. Le sillon de l’Arabe n’est point ce beau sillon profond et droit du laboureur européen, une sorte de feston qui se promène capricieusement à fleur de terre, autour des touffes de jujubiers. Zouhir sourit et dit « les gens du quai savent que le prétexte pour l’invasion de l’Algérie était une facture impayée de plus de 100 navires chargés de blé algérien pour la France de Robespierre. La France ne voulait pas payer sa dette. Je ne crois plus aux paroles des hommes de culture comme Guy de Maupassant. Ce blé venait des sillons tordus et peu profonds que les gens du quai ont tracés avant la période coloniale. Zouhir regarde à gauche puis à droite. L’attente continue et Zouhir espère voir le train arriver pour prendre la bonne correspondance.
Dr. Chaalal
chaalal@scientistcom
Le quotidien Oran