Je suis heureuse que Lionel soit intervenu pour relativiser la prétendue supériorité des théories "cognitivistes".
Comme dans toutes le théories, il y a des directions de recherche et de réflexion à retenir, et d’autres à rejeter catégoriquement. N’oublions pas qu’une des applications aberrantes, pour ne pas dire criminelles, du courant cognitiviste dans sa version la plus américanisée, - est le fameux "livret de compétences" imposé aux enseignants par la droite la plus réactionnaire, ségrégative et psycho-rigide, et ses benoîtement continuateurs. Un adulte peut avoir ou non des "compétences" linguistiques ou des "compétences" professionnelles par rapport au milieu dans lequel il vit. Et encore, elles ne sont que relatives à des normes d’appréciation toujours sujettes à caution. Mais les enfants, les jeunes en général, qui n’ont pas achevé leur développement ni leur insertion sociale N’ONT PAS de "compétences", quelles qu’elles soient. Ils ont des tendances, des aptitudes fluides et multiformes, susceptibles de se développer dans différentes directions, suivant l’environnement, les stimulations, les rencontres et leur propre vie intérieure. La classification officielle des "compétences" est complètement ridicule. L’absence de telle ou telle des "compétences" répertoriées par des technocrates bornés (qui prétendent faire entrer de force enseignants et élèves dans des codes-barres, comme l’avait en son temps justement dénoncé LGS), peut cacher une aptitude créatrice, intuitive ou imaginative, bien plus importante pour l’avenir de l’enfant. L’acquisition de véritables connaissances (et non de micro-mécanismes définis par les dits technocrates) se fait par des voies souvent imprévues, avec des tours et des détours, des hauts et des bas sans lesquels, justement, rien n’est acquis. En outre, l’acquisition d’une connaissance n’est rien si l’on n’acquiert pas en même temps la faculté de la remettre éventuellement en question. On ne peut pas changer 1515 en 1516, mais - pourquoi ? Bref, vouloir trier "scientifiquement" les enfants dans le système éducatif, et pré-définir ainsi leur avenir, relève de la pire idéologie de ségrégation sociale.
C’est pourquoi je milite aussi en faveur du système de notation numérique traditionnel, qui requiert évidemment plus d’intelligence de la part de l’enseignant dans la conception et l’adaptation de son barème, que le vague classement en groupes A, B, etc. Une fois bien expliqué aux élèves et aux parents le principe absolu qu’un chiffre ne saurait en aucun cas définir une personne, ni la suivre dans sa vie, il est facile de comprendre qu’une mauvaise note individuelle peut toujours être rattrapée par une bonne, note que l’enseignant attribuera à bon escient en fonction des efforts et des progrès. Tandis que le classement dans des groupes hiérarchisés préfigure sinistrement une société "élitiste" où chacun aurait une place prédéfinie selon des critères de classement bien plus rigides que les fameuses "notes". En outre, le "livret de compétences" tend à tuer le véritable rapport pédagogique, qui doit être de toutes façons un rapport personnel entre l’enfant et l’enseignant. Sans cette subjectivité, qui fait partie des risques du métier, mais qui est le principal facteur éducatif, il n’y a pas de vie scolaire possible. C’est la croyance en la prétendue objectivité des critères de "compétences" qui laisse le plus de place à une subjectivité sournoise et viciée, ou, disons-le, à la paresse intellectuelle et au déni de responsabilité.