12 commentaires

CHILI : les raisons d’un succès

Gabriel Boric, le candidat de la coalition antilibérale, l’emporte triomphalement avec 55,87 % des voix au second tour de la présidentielle. L’ampleur de la victoire est une surprise, surtout après le premier tour qui avait vu le candidat d’extrême-droite, Kast, arrivé en tête avec 28% des voix contre Gabriel Boric second avec 26 %.

Troisième rejet du pinochetisme

Mais la victoire elle-même n’est pas totalement une surprise. Il faut la replacer dans le contexte de l’explosion sociale d’octobre 2019 qui a « réveillé » le Chili. Depuis il ne s’est pas rendormi et il l’a manifesté déjà par deux fois dans les urnes. D’abord en octobre 2020, quand, avec une majorité de 80 %, les chiliens ont réclamé une Constitution démocratiquement élaboré. Ensuite en mai 2021, quand ils ont envoyé une majorité progressiste à la Convention Constituante. En même temps avaient eu lieu les élections municipales qui avaient vu la gauche gagner de nombreuses villes dont la symbolique capitale Santiago par une jeune femme communiste. Dans ces différentes élections, on avait aussi assisté à une forte progression du Parti Communiste. En même temps la droite reculait et le centre gauche qui a gouverné le pays en alternance avec la droite depuis 1990 s’effondrait.

Cette victoire présidentielle est une surprise par son ampleur mais se situe dans la continuité des deux votes précédents. Pour la troisième fois, l’héritage de Pinochet, son système ultralibéral et sa Constitution, sont totalement rejetés.

Forte participation

Depuis 2012, le vote n’est plus obligatoire au Chili. Et la participation à toutes les élections s’est effondrée. Aucune élection n’avait vu plus 50% d’électeurs se déplacer. Sauf une : il y avait eu près de 51% de votants au référendum pour une nouvelle constitution. Cette fois, elle atteint 55,65%, record absolu depuis 2012. L’explosion sociale et ses conséquences repolitisent le pays peu à peu. Il y a encore de la marge : 44% des chiliens ne se sont toujours pas déplacés. Il faudra que l’organisation future des élections soient faites pour que les citoyens puissent voter plus facilement : démultiplier les lieux de votes (trop peu nombreux), réorganiser les listes électorales pour que chacun puisse voter près de chez lui, imposer des transports publics en nombre suffisant.
Par rapport au premier tour de la présidentielle, ce sont 1 250 000 chiliens supplémentaires qui sont allés voter. La participation entre les deux tours est passé de 47 à 56%. Cette mobilisation ne s’est pas faite toute seule. Entre les deux tours a été lancée l’opération « un million de portes pour Boric ». A savoir, il a été appelé à réaliser un gigantesque porte-à-porte dans tout le Chili et de visiter un million de foyers. Ce travail de proximité a payé.

L’extrême-droite ne rassemble pas

A droite le candidat d’extrême-droite n’a pas su rassembler. Les trois candidats de droite recueillaient 3 760 000 voix au premier tour. Kast au second en perd 110 000 : il n’obtient que 3 650 000 voix ! C’est comme si tous les électeurs nouveaux plus les 110 000 de droite ayant refusé Kast s’étaient toutes portées sur Gabriel Boric. Les choses ne sont pas aussi mécaniques. Il y a parmi les nouveaux électeurs des partisans de Kast : ce qui veut dire que les pertes de Kast par rapport à ceux qui ont voté à droite au premier tour sont encore plus importantes. Il n’est pas encore possible de mesurer exactement ce transfert de voix. Avec la contre-performance de Kast, on va probablement assister à une série de règlement de compte au sein de la droite.

Qu’est-ce qui a motivé ainsi les électeurs ?

Avec Kast, il y a eu la peur d’un retour des hommes du passé qui n’ont rien appris et ne veulent rien apprendre. Que tout reste figé comme si de rien n’était. Depuis deux ans, le Chili ne cesse de proclamer sa soif de changement, dans les rues et dans les urnes. Il n’était pas possible de gommer tout ça.

La peur a joué un rôle. Des deux côtés. La peur du communisme, du Venezuela et de Cuba qui ont été le fil conducteur de la campagne de Kast n’a pas pris. Ou pas assez. Mais il y avait aussi une peur de gauche : la peur que tout reste bloqué comme avant et qu’il n’y ait aucun espoir. La peur que les sadiques tortionnaires de la dictature de Pinochet ne soient amnistiés. En ce second tour, l’espérance a battu la peur.
En votant Boric, les chiliens sauvent l’élaboration d’une nouvelle Constitution. Si Kast avait été élu, les travaux de la Convention Constituante auraient été rendus encore plus difficiles. Le résultat du vote fin 2022 sur la nouvelle Constitution n’était pas acquis. Il ne l’est toujours pas mais la Présidence du Chili sera un allié de poids pour la mise en place d’une nouvelle Constitution.

Depuis l’explosion sociale, aucune revendication massivement portée par les Chiliens n’a reçu de réponses : l’exigence d’un système de retraite autre que celui par capitalisation individuelle, la demande d’une école et d’une université gratuites et de qualité, des salaires plus élevés, la répartition de l’eau, etc. Tout est resté en l’état. C’est ce à quoi va devoir s’attaquer le gouvernement de Boric à partir de mars 2022 : le mur des inégalités sociales.

Le vote des chiliens ce 19 décembre n’a pas été seulement un vote antifasciste : c’est aussi un vote de continuité dans la demande de changements profonds qui s’est imposée depuis octobre 2019.

CHILI, lundi 20 décembre 2021

Print Friendly and PDF

COMMENTAIRES  

07/01/2022 12:47 par Yannis

L’Amérique latine est un grand espoir pour l’avenir. Parce que la profonde dynamique d’émancipation, suite à la colonisation européenne, aux dictatures militaires et coups tordus étasuniens, ne s’est jamais tarie.

Chili, Mexique, des exemple à suivre pour la France, plus en phase que le chavisme ou Cuba, le Venezuela, avec les préoccupations des Français et Françaises.

Pourquoi le Mexique intéreresse si peu LGS, et la Chine plus coercitive et centralisée, tant dernièrement ??

Mystères révolutionnaires.

En attendant les sociétés mexicaines, chiliennes, argentines se maintiennent et avancent pendant que celles européennes, latines, sombrent dans le totalitarisme et les joies de la dénonciation et collaboration.

07/01/2022 14:31 par Georges

Votre analyse est pertinente, néanmoins il n’y a pas lieu de se réjouir d’une participation de 56% même si c’est la plus élevée.
Il reste beaucoup à faire pour que participe la masse des plus précarisés. Pour cela, un grand chambardement dans le système de l’éducation s’impose. Les jeunes apprennent à consommer mais pas à produire, le niveau d’éducation est dramatiquement bas dans un pays où tout s’achète, y compris les diplômes à des "universités" qui fleurissent à tous les coins de rue.
Il me semble que le vote devrait être obligatoire, ce qui obligerait sans doute les gens à s’intéresser davantage à la politique, surtout dans les milieux défavorisés.
L’élection de Boric constitue un grand espoir mais ma crainte est que la déception soit à la mesure des espoirs car les forces de droite sont à l’œuvre dès à présent pour influencer les éventuels appuis qu’il pourrait recevoir. Le PS et ses alliés me paraissent être le prochain caillou dans la chaussure du président...... à suivre....

09/01/2022 15:44 par Ellilou

à Yannis
"...Chili, Mexique, des exemple à suivre pour la France, plus en phase que le chavisme ou Cuba, le Venezuela, ..."
Si je peux me permettre en matière de santé publique, une vraie pas un le truc pourri et gangrené de corruption et d’arrangements entre amis que nous avons ici, nous aurions beaucoup de leçons à recevoir de ces deux pays qui, malgré l’étrangement, le blocus, les coups bas et autres opérations plus ou moins discrètes et secrètes, s’occupent bien mieux de leur population face au coronavirus (et à bien d’autres maladies) que "nos" prétendus dirigeants :-)

09/01/2022 20:12 par Xiao Pignouf

@Yannis

Pourquoi le Mexique intéreresse si peu LGS, et la Chine plus coercitive et centralisée, tant dernièrement ??

Je te souffle la réponse, mais ne me remercie pas : peut-être parce que contrairement à la Chine, le Mexique n’est pas accusé à tort de génocide...

10/01/2022 11:10 par Assimbonanga

@Yannis : les joies de la dénonciation ?
C’est sûr que vous êtes un expert en la manière, quoi que à mots couverts et assez salement. Vous avez deux versants. Un jour le grand humaniste universaliste, l’instant d’après prêt à traiter vos contradicteurs, insulte suprême et vite faite sur le gaz de... macronistes !

Tout ce que je peux dire pour rester positive, c’est que macroniste est devenu une insulte du langage courant ! Je voudrais que ceux et celles qui la profèrent se rendent compte que c’est infamant et très blessant. C’est bien joli de tenir des grands discours sur le papier mais ils perdent toute valeur dès l’instant où vous vous montrez aussi irrespectueux à l’égard des autres.

10/01/2022 13:54 par Georges Rodi

> Yannis

Très franchement, au moment de quitter la France, j’ai beaucoup hésité entre la Chine et l’Amérique du sud.
Je me sentais plus attiré par les populations d’AmS, leur culture, la musique...

Pas le Mexique...
Non pas que j’ai quoi que ce soit contre le peuple mexicain, mais c’est beaucoup trop la chasse gardée des US : réserve de main d’oeuvre à bas-coût et de toutes les entreprises illégales que les américains peuvent cultiver et se payer dans ce pays...

Des pays comme le Chili, le Pérou, l’Argentine et tant d’autres peuvent espérer un peu plus d’indépendance grâce à la Chine qui devient leur principal partenaire économique, tout en les laissant libre de se gouverner à leur guise.
Tout ce que je leur souhaite, c’est de voir les US les laisser vivre.

Je pense que l’intérêt porté à la Chine vient du fait qu’émerge enfin une opposition crédible à la domination américaine.
Les médias, les politiques, les experts ne parlent plus que de ça.
Même lorsqu’ils s’adressent à la Russie, les Américains mettent en avant l’erreur que ferait Poutine en s’alliant avec la Chine...

10/01/2022 17:03 par le vrai juan

@ Yannis il y a une chanson de Carlos Santana qui s’ intitule let the children play , pourquoi ce titre ? à Cuba aucun enfant ne travaille , la santé des enfants est particulièrement suivi , ce qui n’est malheureusement pas le cas au Mexique et dans la plupart des pays de l’Amérique Latine , alors je vous pose la question que devient un enfant qui n’apprends pas à lire et à écrire , qui se retrouve sans soins lorsqu’il est malade , pour moi cette question n’est pas discutable
le cosmétique appliqué ne changera pas la société pour autant , la seule voie est la disparition de la société capitalisme par une société socialiste , puis par une société Marxiste Léniniste qui n’a pas encore vu le jour

11/01/2022 13:09 par Yannis

Détrompez-vous G. Rodi, le Mexique est si près des USA et si loin de Dieu (quoique ce critère soit difficile à évaluer) que sa population a développé d’excellents anticorps à la globalisation néocolonisation étasunienne.

Certes pas les milieux d’affaires, rivés à la bourse de NY ou Chicago, ou aux milieux politiques us.

La grande mode chez les "authentiques" révolutionnaires, c’est le Chiapas et les zadistes. C’est du grand spectacle pour les occidentaux, indépendamment du fait que les populations du sud du Mexique sont particulièrement maltraitées par le gouvernement central et les cartels.

Mais au moins ici tout finit par se voir, tout finit par se dire, tandis que l’Europe vit à nouveau dans l’obscurité de la psyché, conditionnelment des masses, malgré tous ses joujous technologiques.

La Liberté m’appartient à personne mais le sentiment de liberté et le respect des droits humains (en général et au niveau du gouvernement de centre-gauche d’AMLO) sont assurément plus fort au Mexique qu’en France, actuellement.

11/01/2022 14:44 par Georges Rodi

> Yannis

Si tel est le cas, je suis content -pour le peuple mexicain- de m’être trompé :)

11/01/2022 14:46 par le vrai juan

@Yannis pourquoi vous ne répondez à la question que je vous ai posée , des enfants travaillent au Mexique et dans tant de pays d’Amérique Latine ne vont pas l’école , ça ne vous fait rien visiblement , vous surfez entre le Chiapas et les régions du Mexique ? , à travers des théories gauchistes , certes l’arrivée de AMLO représente des changements politique , mais en aucune façon il est impossible de faire un transfert de ce qui se passe au Mexique en Europe et en particulier en France , ce n’est ni la même région , ni les mêmes histoires

11/01/2022 20:07 par Yannis

Encore une accusation gratuite. Que répondre à cela ? Évidemment que je préfère que les enfants aillent à l’école. Et le Mexique n’est pas un pays parfait, qu’y puis-je ?

Sinon Juan, permettez-moi de vous poser aussi des questions.

Vous vivez en France ?

Cela me vous fait ríen que tous petits de maternelle, enfants, écoliers, lycéens, étudianst soient maltraités depuis 2 ans ?

Que les suicides et cas psy montent en flêche dans les nouvelles générations ?

11/01/2022 22:17 par le vrai juan

à Yannis vous voulez parlez de la 6éme puissance économique , ce n’est plus l’Amérique Latine , rien à voir , je parle des enfants qui travaillent dur en Amérique Latine pour à peine survivre , l’enfant qui travaille se déconstruit au lieu de se construire , rien à voir avec les enfants en France

(Commentaires désactivés)
 Twitter        
 Contact |   Faire un don
logo
« Informer n'est pas une liberté pour la presse mais un devoir »
© CopyLeft :
Diffusion du contenu autorisée et même encouragée.
Merci de mentionner les sources.