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Grèce 2018 : on meurt d’austérité (et d’UE).

Alors qu’on continue à faire le compte désolant des victimes, parmi lesquelles figurent de très nombreux enfants, commence à se faire jour la responsabilité humaine d’un carnage, comme toujours, évitable. Et nous ne nous référons pas à la nature vraisemblablement criminelle des incendies qui ont dévasté la Grèce, mais à des responsabilités politiques bien précises qui partent d’Athènes pour arriver jusqu’à Bruxelles et aux principales capitales européennes.

Les pages de presque tous les quotidiens font inévitablement le lien entre la tragédie de ces dernières heures et, d’autre part, ce qui va se passer fin août, soit la sortie de la Grèce du troisième plan de renflouement (le "sauvetage" par les pays de l’Eurozone face à la menace de la banqueroute) et son retour sur les marchés internationaux : le jour où le "camarade" Tsipras remettra finalement sa cravate. Parmi les union-européistes enthousiastes, ne pouvait manquer de figurer (évidemment) La Repubblica, qui présente à ce propos un éditorial délirant et discrètement cynique d’Ettore Livini.

Selon ce journaliste, "aucune mise en scène, rédigée sur une table de travail, n’aurait pu inventer meilleur scénario, pour ressusciter, au moins pour 24 heures, l’esprit de solidarité sur lequel s’est construite l’Union.[...] Les incendies d’Athènes, au-delà du tragique bilan en vies humaines, pourraient maintenant convaincre même les Grecs que l’UE n’est pas seulement un club de comptables."

Et cela parce que "l’UE a répondu en un temps record : l’Italie a envoyé deux Canadair. D’autres avions-citernes ont été fournis par la Croatie, la France, l’Espagne, Chypre et le Portugal. L’Allemagne - qui, pour beaucoup de ceux qui habitent sous le Parthénon, est encore l’âme damnée de la Troïka - a mobilisé ses hélicoptères, comme la Lituanie et la Norvège. [...] Le Vieux Continent a laissé parler son coeur, retrouvant un morceau de son âme, et démontrant que, être européens, une bouffée d’oxygène en cette ère de souverainisme, c’est quelque chose de plus que de faire ses comptes, et d’atteindre les objectifs de Maastricht". On croit presque deviner que, pour La Repubblica, cela pourrait même être l’occasion pour les Grecs de dépasser leurs préjugés à l’égard des Nord-Européens.

Nous en sommes désormais à l’inversion totale entre sujet et objet, de même qu’à la suppression intentionnelle entre cause et effet. Hé oui, car ce carnage, de même que les nombreux désastres qui s’abattent de façon répétée sur nos pays, était, comme nous l’écrivions au début, évitable. Il suffirait de pouvoir investir dans l’entretien du territoire, il suffirait de pouvoir destiner des ressources à la prévention, il suffirait de pouvoir mettre un frein à la consommation du sol, toutes choses néanmoins que les règles économiques imposées justement par l’Union Européenne empêchent de faire. Et pour le confirmer, nous n’utilisons pas cette fois des raisonnements tirés des textes d’un économiste hétérodoxe ou en odeur de marxisme, ou d’un tract distribué dans la rue, mais d’un article (étrangement) publié, ce matin, par le Corriere della Sera, bref, pas vraiment un brûlot.

Premier Plan ; L’incendie grec.
Dans les coulisses,
de Federico Fubini Coupes dans la Protection civile, dans le paquet-austérité.
C’est ainsi qu’Athènes se présente en situation de fragilité sur la ligne d’arrivée
européenne.

Le trèsavisé Fubini écrit en effet :

"Face à des catastrophes comme celle d’hier en Attique, s’empresser de formuler des jugements et des verdicts de culpabilité n’a pas de sens. Mais, quand la fumée se sera dissipée, les faits connus susciteront sans doute des questions. La dernière coupe au Ministère de la Protection civile, dont dépendent les soldats du feu en Grèce, est arrivée avec le quatorzième paquet de mesures d’austérité au printemps de l’année dernière. Le secteur de la surveillance anti-incendie a alors perdu 34 millions d’euros, répartis entre personnel et moyens matériels. Il est difficile de dire si cet énième coup de ciseaux dans une infra-structure civile du pays explique, au moins en partie, ce que rapportent certains témoins de la zone la plus frappée par les flammes : pendant longtemps, on n’a vu aucune intervention, pas d’hélicoptères ou d’avions anti-incendie, aucun plan d’évacuation. Les soldats du feu sont arrivés bien après. En février 2017, des milliers d’entre eux avaient manifesté à Athènes parce que la fin des contrats à terme allait réduire leur nombre de 12 mille à 8 mille. Depuis lors, la moitié environ de ceux qui sont arrivés à échéance ont été reconduits. Mais hier, ce n’est pas la première occasion, c’est seulement la plus grave, où leurs équipes se trouvent sans moyens ni préparation pour gérer l’agression du feu autour d’Athènes. C’était déjà arrivé en juillet 2015 et de nouveau il y a onze mois. A ce moment-là justement, trois chercheurs grecs, sous la direction de Photis Chatzitheodoris, publiaient une étude sur les pompiers de leur pays dans une revue internationale d’alimentation. Résultats : 79% des membres des équipes anti-incendie sont en surpoids ou obèses, et deux sur trois avouaient être passés à des aliments moins sains à cause des coupes dans les salaires".

Ainsi donc, il faudrait bien réfléchir, avant de voir dans cette tragédie une occasion d’exalter le bon coeur de l’UE. Surtout s’agissant d’un pays où la "cure" imposée par la Troïka a brûlé un quart du PIB et réduit à une pauvreté extrême 21% de la population.

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C’est amusant comme le commun des mortels s’imagine que nous sommes sans cesse affairés à leur mettre des idées dans la tête, alors que c’est en empêchant certaines pensées d’y pénétrer que nous faisons le mieux notre travail.

C.S. Lewis, 1942

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