RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher

"Jésus, bénis Georges Bush, je t’en prie !".





Il manifesto, Lancaster (Ohio), 1er novembre 2006.


Il faut lever les bras le long du buste, avec les paumes ouvertes vers le haut et vers l’extérieur, à la hauteur des oreilles. Les yeux doivent être clos dans un ravissement extatique, et le corps, debout, onduler avec légèreté, pendant que vous chantez sur le rythme d’une musique douce : « Je ne veux pas rester silencieux, je ne veux pas me taire, sur toute la terre faisons un bruit joyeux pour le Seigneur, Alléluia, alléluia » ; ou bien : « Parce que ton sang peut effacer toute tâche, oh Agneau de Dieu, je viens, je viens » ; ou encore : « Dieu, fais de nous la génération qui te regarde en face, oh Dieu de Jacob ».

C’est neuf heures du matin, un dimanche, et 500 fidèles environ remplissent la moitié de la salle, grand cinéma, avec scène, balcon et podium où 50 choristes entonnent des hymnes et, dans le fond - genre retable- un grand écran sur lequel défilent les paroles de la chanson (comme ça les fidèles aussi peuvent chanter) et, quand le pasteur fera son sermon, où défileront aussi des films gérés par PowerPoint.

Dans l’atrium adjacent, divers banquets proposent de s’inscrire à l’Académie chrétienne, à participer aux prochains « événements ». Des tracts invitent à voter pour les candidats républicains aux élections. La grande Fairfield Christian Church se trouve face à l’immense mall (centre commercial) River Valley de la petite ville de Lancaster, dans le centre de l’Ohio, à 35 Km au sud-est de Colombus, la capitale de l’état : c’est curieux comme ce qu’on appelle les megachurches sont toujours dans les malls ou à côté : en théorie, les chrétiens fondamentalistes devraient exécrer la consommation. Le grand, massif, édifice à deux étages est peint en rouge brique avec des panneaux blancs sur lesquels se détachent des croix de plâtre. A l’intérieur, au rez-de-chaussée, le grand amphithéâtre de l’église proprement dite, diverses petites salles, et une salle avec un terrain de basket dessiné au sol ; mais le dimanche après-midi, elle est utilisée pour une messe, chantée elle aussi.

Je suis dans la tanière des si redoutés (et mythifiés) « conservateurs chrétiens », objets de milliers d’articles, même si j’ai l’impression qu’aucun journaliste ne se soit jamais donné la peine d’entrer dans une de leurs églises.

C’est à ces chrétiens extrêmes que Georges Bush, en 2004, dut sa réélection à la Maison Blanche : son stratège de l’époque, Karl Rove, fit un pari audacieux qui se révéla gagnant : le bon sens politique dominant affirme que dans un système bipolaire, pour vaincre il faut conquérir le centre et, donc, diluer son message. Pour Rove au contraire, dans un système bipolaire, il y a en réalité trois partis : républicains, démocrates et abstentionnistes - le parti le plus gros, environ 50% des inscrits. Comme un électeur sur quatre se déclare « born again » (né à nouveau, « re-né ») c’est-à -dire né à une nouvelle vie pour avoir rencontré le Christ, si tu gagnes le centre, tu démotives tes électeurs les plus militants et les gains au centre sont plus qu’annulés par les pertes pour abstentionnisme sur ta droite extrême. Rove a donc radicalisé à droite le message de façon à stimuler des millions de chrétiens conservateurs, en règle générale abstentionnistes par mépris de la politique : « Les politiciens sont tous pareils ». Les fondamentalistes chrétiens répondirent en masse à l’appel, et leurs phalanges se déversèrent sur les bureaux de vote en écrasant les démocrates, surtout ici dans l’Ohio, état qui se révéla décisif en 2004, et qui risque de l’être cette fois aussi, où les démocrates espèrent reconquérir la majorité dans une branche au moins du parlement.


Plus de mille pasteurs patriotes

Un des pasteurs les plus actifs dans la mobilisation des fidèles (ou des bigots, selon la perspective), est Russel Johnson, qui a lancé l’Ohio Restoration Project, un réseau en Ohio de plus de 1.000 « pasteurs patriotes » engagés dans la « défense des droits constitutionnels des fidèles ». Son site Web tonnitrue : « Depuis les classes de nos écoles jusqu’à celles de nos tribunaux, des chants de Noël aux festivités pour les promotions scolaires, du serment de fidélité jusqu’à la devise de notre état... les forces des ténèbres se sont opposées à toute expression de fidélité à Dieu. Les artères de notre culture ont été infectées par les toxines du laïcisme dogmatique qui ont conduit à la négation de l’héritage divin de l’Amérique... ».

A cette initiative de Johnson participe une étoile montante parmi les télé évangélistes, Ted Parsley, pasteur de la World Harvest Church, capable de recueillir avec ses télé sermons 40 millions de dollars par an, et qui a fondé le Center for Moral Clarity, un groupe de pression de la droite religieuse. Le problème est que cette année, pousser de nouveau les « born again » aux urnes est beaucoup plus ardu qu’en 2004. Les républicains sont minés par les scandales, locaux et nationaux : Bob Taft a été le premier gouverneur de l’Ohio à être condamné pendant son mandat ; le député Bob Ney, condamné à Washington pour corruption, est élu dans l’Ohio. Mais le scandale le plus dévastateur a été celui du député Mark Foley qui, sur le Web, écrivait des lettres osées aux mineurs commis-coursiers de la Chambre (les « pages »), avances dont les sommets républicains avaient été prévenus mais qu’ils n’avaient ni sanctionnées, ni arrêtées : la droite chrétienne est depuis toujours anti-gay, elle s’est sentie trahie. Voyons donc comment les pasteurs de choc essaient de ranimer les petites brebis démoralisées. De plus, dans un livre à peine sorti, Tempty Faith, David Kuo, qui a travaillé à la Maison Blanche au Bureau pour les initiatives religieuses, écrit que les « re-nés » étaient en privé appelés « cinglés » (littéralement « dévissés », NDT) par les membres du staff de Bush : « Ils savent que les « cinglés » politiquement n’ont pas de prix, mais leur utilité s’arrête là ... Les leaders chrétiens reçoivent sourires et accolades, mais dès qu’ils ont tourné le dos, ils sont qualifiés de « ridicules », « agités », ou simplement « débiles ».

Russel Johnson a un talent de prédicateur. Quand les choeurs sont finis, il alterne émotion et sagesse, encouragement et ironie. De temps en temps, une plaisanterie. Mais la meilleure je l’avais entendue à la messe de samedi après-midi (j’ai assisté à plus de rites religieux pendant ce week-end que dans toute ma vie adulte), dont le sermon était consacré au thème « Quand la vie est injuste : les cinq choses importantes que tu dois savoir ». Pour faire comprendre que l’injustice ne doit pas nous tourmenter, le pasteur racontait : « Une femme est mordue par un chien, elle va chez le médecin qui l’examine et lui dit : « Vous avez la rage, je suis désolé, il vous reste très peu de temps à vivre ». La femme se jette alors sur une feuille pour écrire, avec fureur. Le médecin lui demande : « Vous écrivez vos dernières volontés ? - Non, les noms de tous ceux que je dois mordre ».


Inondés par la grâce

Russel Johnson part de très loin, il raconte qu’à deux heures du matin, la veille encore, il y avait 60 baptisants, « inondés par la foi, inondés par la grâce, inondés par l’amour ». L’amour qui sert à adopter les enfants : « Il ne suffit pas d’être pro vie, il faut être pro enfants ». Il demande combien de personnes dans l’assistance sont prêts à participer au programme d’adoptions outre-mer lancé par son église. 18 fidèles se lèvent. Il fait venir sur le podium un couple qui a adopté deux fillettes chinoises. « Ma plus grande joie, dit le père adoptif, je l’ai eue il y a quinze jours, en rentrant du magasin, chez moi : ma fille chinoise de 4 ans chantait « Jésus je te remercie ».

Johnson commente un passage de l’Epître aux romains et passe à la seconde phrase : les enfants des familles païennes suivent être « adoptés aussi dans la famille de Dieu », pour augmenter le nombre des sauvés. Sur l’écran apparaît la photo du sénateur républicain de l’Ohio (qui risque de perdre son siège), Mike De Wine, en train de signer une motion qui facilite les adoptions outre-mer : « Il ne s’agit pas ici de politique, il s’agit d’adoptions ». Johnson invite tous les présents qui ont été adoptés par Dieu à se saluer entre membres d’une même famille : poignées de mains et sourires tous azimuts entre voisins de banc.


Les laïcs dogmatiques ont un plan

De la famille au mariage, en particulier les noces entre gays : une sentence dans le New Jersey vient à peine de les autoriser (même si c’est en laissant ouverte la question d’appeler ou non ces unions « mariages ») : en voilà des juges qui sont de véritables supporters républicains ! En 2004, juste avant le vote, les juges du Massachusetts rendirent une sentence similaire qui alluma la mèche pour des amendements constitutionnels dans les différents états pour interdire des mariages homosexuels, et ce fut cette campagne qui poussa au vote la masse des « re-nés » et augmenta ainsi l’affluence aux urnes en faveur de Bush.

Cette année, dans l’Ohio, le sujet n’est pas en jeu : l’amendement avait déjà été approuvé en 2004. Mais Russel Johnson brandit la menace qui plane depuis les états impies de l’est, New Jersey, Vermont : « Ne croyez pas que cela ne nous touche pas ici. Eux, ils (les « laïcs dogmatiques ») ont un plan pour renverser notre vote ». Donc « votons pour les valeurs en quoi nous croyons et pour les candidats qui les soutiennent », et il brandit les tracts de l’église, une feuille divisée en deux colonnes, une pour le candidat démocrate, l’autre pour le républicain : dessus il y a une liste de 10 questions et, de chaque côté des questions, dans l’espace sous les photos, la position des candidats. « C’est une guerre pour le coeur et l’âme de l’Amérique », dit Johnson, « c’est la bataille entre les forces de la justice et celles de l’enfer ». « C’est le sort de millions d’âmes qui est en jeu et l’église est à un carrefour décisif de l’histoire ». Phrases de feu, cependant Johnson avait mis plus d’énergie à d’autres moments du sermon, il ne m’apparaît pas comme un croisé possédé, j’ai plus l’impression qu’il fait campagne parce qu’il le faut mais que le coeur n’y est pas. « Faire voir la lumière aux aveugles », exhorte-t-il, et sur la cécité il conclut d’un ton plus léger : « Pendant une partie de foot, deux joueurs se rentrent dedans et l’un des deux perd une lentille de contact. Grand et gros, il se met à quatre pattes pour chercher sa lentille dans l’herbe. L’arbitre lui dit : « Mais qu’est-ce qui te prend ? Qu’est-ce que tu feras alors si tu perds aussi l’autre ? » Le joueur répond : « je ferai arbitre de foot ».

Johnson quitte la scène et un autre choeur précède la communion, où chacun mange un minuscule cracker et un mini verre de jus de fruit doux. La messe finie, j’observe les fidèles qui s’acheminent, lents, la plupart sont obèses, vers la sortie. La majorité est d’âge moyen, si ce n’est vieux, ou des enfants ou adolescents amenés par leurs parents. Rares sont les jeunes entre 20 et 30 ans. Et, surtout, aucun noir, même si on le payait très cher.

Cette absence seule proclame combien ces chrétiens de droite sont pour le moins des séparatistes blancs, si ce n’est racistes (ce qu’ils n’admettraient jamais), prêts à traverser la rue pour aller dans les fast food du mall pour se goinfrer du lunch dominical : pendant la semaine, ils peuvent venir ici à l’église et participer pour 5 dollars à un breakfast chrétien : hymnes, bacon, saucisses, oeufs, toasts et sermon, de 6h15 à 7h30.

Marco D’ Eramo, envoyé spécial à Lancaster.


 Source : il manifesto www.ilmanifesto.it

 Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio



USA : Le vent de l’intolérance souffle sur la frontière, par Marco D’Eramo.




 Dessin : José Mercader


URL de cet article 4283
   
AGENDA
Même Thème
L’horreur impériale. Les États-Unis et l’hégémonie mondiale
Michael PARENTI
Enfin traduit en français. Notes de lecture, par Patrick Gillard. La critique de l’impérialisme made in USA La critique de l’impérialisme américain a le vent en poupe, notamment en Europe. Pour preuve, il suffit d’ouvrir Le Monde diplomatique de novembre 2004. Sans même évoquer les résultats des élections américaines, dont les analyses paraîtront en décembre, le mensuel de référence francophone en matière d’actualité internationale ne consacre pas moins de deux articles à cette (…)
Agrandir | voir bibliographie

 

"Il est difficile de faire comprendre quelque chose à quelqu’un lorsque son salaire lui impose de ne pas comprendre."

Sinclair Lewis
Prix Nobel de littérature

© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.