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L’enquête Leveson sur la presse britannique - une belle blague

Rupert Murdoch est un homme mauvais. Son fils James l’est aussi. Il paraît que Rebekah Brooks l’est aussi (ancienne rédactrice en chef du tabloïd News of the World, a été inculpée d’entrave à la justice dans le cadre du scandale des écoutes téléphoniques qui a éclaboussé la police et la classe politique britanniques - NdT). Le quotidien News of the World était très mauvais ; ils ont mis des téléphones sur écoute et des gens au pilori. Des premiers ministres britanniques ont rampé devant cette malfaisance. David Cameron a même envoyé des SMS à Brooks signés "LOL", et ils se réunissaient tous pour faire la fête dans le Cotswolds avec Jeremy Clarkson (présentateur vedette de la BBC - NdT). Des hochements de têtes et des clins d’oeil s’échangeaient autour de la vente de (la chaîne de télévision par satellite) BskyB.

L’effroi, l’horreur.

Je pense que l’enquête menée par Lord Leveson, qui laisse entre-apercevoir le pouvoir et les manières de petits gangsters de la presse tabloïd britannique, n’a pas choqué grand monde. Au fur et à mesure des déballages, l’effarement à cédé la place à l’ennui ; Tony Blair fut autorisé à geindre sur le traitement infligé à sa femme par le Daily Mail jusqu’à ce que lui et la suffisance immorale de l’enquête qui l’épargne soient dénoncés par un membre du public, David Lawley-Wakelin, qui cria "Excusez-moi, cet homme devrait être arrêté pour crimes de guerre." Notre Lord s’en excusa comme il se doit auprès du criminel de guerre et celui qui criait la vérité fut accompagné jusqu’à la sortie.

Je n’ai jamais compris pourquoi Murdoch se plaignait de "l’establishment" (pouvoir établi) britannique. Son interrogatoire, si on peut la qualifier ainsi, par Robert Jay QC (juge à la Cour Suprême - NDT), fut une succession de banalités servies et aussitôt recrachées par Murdoch. Lors de son propre radotage, il qualifia lui-même une de ses questions de "subtile" et Murdoch répliqua de manière cinglante : "Je crains qu’il n’y ait pas beaucoup de subtilité en moi."

Comme nous l’a récemment rappelé le critique de théâtre Michael Billington, c’est dans le Spectator en 1955 que Henry Fairlie inventa le terme de "establishment", définissant "le réseau de relations officielles et sociales dans lequel s’exerce le pouvoir en Grande-Bretagne". Au cours de la majeure partie de ma carrière de journaliste, Murdoch a été un membre influent et admiré de ce club : et même un mentor pour beaucoup d’entre ceux qui le qualifient aujourd’hui de "brebis galeuse". Son leitmotiv profondément cynique, "je ne fais que donner au public ce qu’il demande", était répercuté par les journalistes tandis qu’ils se bousculaient au portillon pour niveler leur travail par le bas et adopter la propagande du patronat qui a suivi le coup sanglant de Murdoch en 1986.

Plus de 5000 hommes et femmes furent licenciés, d’innombrables familles détruites et des suicides commis. Et Murdoch n’aurait jamais pu s’en tirer sans le soutien total, et parfois clandestin, de Margaret Thatcher et la Police Metropolitaine, et de journalistes couchés sur le plancher des bus qui forçaient les piquets de grève formés par leurs anciens collègues de travail.

Ceux qui l’ovationnent à présent, quoique discrètement, sont ceux que Max Hastings appelle "le nouvel establishement" : les cadres moyens des médias, souvent des libéraux jusqu’à la caricature, qui devaient par la suite s’agenouiller devant l’homme de Murdoch, Tony Blair, futur criminel de guerre, dont l’élection au poste de premier ministre fut saluée ainsi par The Guardian : "Peu de nos jours entonnent Rise England (Debout Angleterre), mais l’Angleterre s’est quand même remise debout."

Leveson n’a posé aucune question sur comment les médias respectables ont joué le jeu de la presse Murdoch en promouvant systématiquement un pouvoir corrompu, menteur, et souvent violent dont l’ampleur des crimes réduisent les écoutes téléphoniques à de simples maladresses. L’enquête Leveson est une affaire interne au club, où un membre a provoqué en embarras public extraordinaire et doit être exclu, afin que rien ne change.

Quel pied que d’entendre Jeremy Paxman (journaliste à la BBC, réputé teigneux - NdT) s’épancher sur comment Piers Morgan (journaliste à CNN - NdT) lui avait expliqué comment placer des téléphones sur écoute. Le juge Jay n’a posé aucune question à Paxman sur le rôle clé joué par la BBC dans la propagande en faveur de guerres illégales qui ont tué, estropié et plongé dans la misère des millions de gens. Quelle ironie que le déjeuner auquel Paxman assista au Daily Mirror se soit tenu en 2002 lorsque le Mirror, publié par Morgan, était le seul quotidien de Fleet Street fermement opposé à l’invasion de l’Irak, en accord avec la majorité de l’opinion publique britannique.

Quelle claque aussi que d’entendre le sociable Andrew Marr, la voix omniprésente de la BBC, la voix de l’injonction divine. Alors que le Sun de Murdoch déclarait en 1995 qu’il partageait les "hautes valeurs morales" d’un Tony Blair en pleine ascension, Marr, lui, dans The Observer en 1995, saluait "le grand courage moral" du nouveau premier ministre. Ce qui impressionait le plus Marr était "l’absence totale de cynisme" chez Blair, ainsi que son bombardement de la Yougoslavie qui allait "sauver des vies". En mars 2003, Marr devint le chef de la rubrique politique à la BBC. Présent à Downing Street (bureaux du premier ministre - NdT) la nuit de l’assaut contre l’Irak, Marr s’est réjouit devant la légitimation de Blair qui, dit-il, avait promis "de prendre Bagdad sans effusion de sang". Ce fut exactement le contraire. Lors de la promotion de son livre rédigé à sa propre gloire en 2010, Blair choisit Marr pour une "interview télé exclusive". Lors de leur rencontre conviviale, ils ont parlé d’une attaque contre l’Iran, le pays que Hillary Clinton un jour s’est dite prête à "annihiler".

Dans les messages révélés par Leveson et transmis entre le lobbyiste de Murdoch, Frederic Michel, et le ministre de la culture Jeremy Hunt, il y en a un de Michel : "Très bon chez Marr, comme toujours". Dans un câble révélé par Wikileaks, l’ambassade US à Londres a pressé Hillary Clinton pour se laisser interviewer par le "génial" Marr parce que ce dernier "détermine souvent la politique de la nation" et "offrira un impact maximum pour le temps investi". Le Grand Inquisiteur Leveson ne montra aucun signe d’intérêt.

Lorsque Alastair Campbell (directeur de la communication et de la stratégie de Tony Blair - NdT) a "fourni les preuves", le juge Jay a brandi un exemplaire du livre de Blair et a cité l’opinion de Blair sur son principal collaborateur, "c’est un génie".

"C’est gentil", a répondu Campbell.

"Et avec une sacrée paire de couilles aussi," a poursuivi Jay QC en espérant des rires. C’est le silence de 780.000 veuves irakiennes qui a plané.

Pas un seul opposant au pouvoir institutionnel des médias n’a été appelé à la barre par Leveson, malgré l’ambiance bon enfant. Lors d’une de ses auditions, Richard Desmond, propriétaire du Daily Express et d’une partie de l’industrie du porno en Grande-Bretagne, a qualifié le Daily Mail de "pire ennemi de la Grande-Bretagne" et a dit que le Press Complaints Commission (observatoire indépendant de la presse - NdT) "ne peut pas nous saquer".

Effroyable, horrible. Ou sympa.

John Pilger

http://www.johnpilger.com/articles/the-leveson-inquiry-into-the-britis...

Traduction "les médias sont entre les mains de babouins" par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement les fautes et coquilles habituelles.

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