L’humanité ne se divise pas en petits casiers d’où chacun regarde les autres comme des ennemis

L’idée de Patrie

Le 14 juin dernier, aux obsèques des quatre soldats tués en Afghanistan, Hollande a prononcé un discours dans lequel on a eu droit à tous les poncifs qui ont cours en de telles occasions : « sens du devoir », « esprit de sacrifice », « amour de la Patrie », etc.

Familles des soldats tués en Afghanistan

Cette inflation verbale apparaît évidemment bien suspecte quand on connaît les intérêts qu’elle dissimule.

A la fin du XIXème siècle, Jean Grave (photo en logo de l’article) en donnait déjà une critique qui reste bien pertinente. [1]

Il écrivait : « c’est en 89 que l’idée de Patrie - avec celle de la loi - se révéla toute puissante. Ce fut l’idée géniale de la bourgeoisie de substituer l’autorité de la nation à celle de droit de divin ».

Il notait, toutefois, qu’à l’époque de la Révolution, « l’idée de Patrie, la Nation comme on disait, résumait plutôt l’ensemble du peuple, de ses droits, de ses institutions que le sol lui-même ».

Ce n’est « que peu à peu et sous l’influence de causes ultérieures que l’idée de Patrie s’est rapetissée, racornie, au point de revenir au sens étroit qu’on enseigne aujourd’hui, de l’amour du sol, sans qu’il soit question de ceux qui l’habitent et des institutions qui y fonctionnent ».

« Mais qu’elle que soit l’idée que l’on se fasse de la Patrie, la bourgeoisie trouvait trop d’intérêt à la cultiver pour ne pas chercher à la développer dans le cerveau des individus et à en faire une religion, à l’abri de laquelle elle pût maintenir son autorité fortement contestée ».

Jean Grave interroge : « Que représente en effet, ce mot : Patrie, en dehors du sentiment naturel d’affection que l’on a pour sa famille et ses proches, et de l’attachement enfanté par l’habitude de vivre sur le sol natal ? »

Il répond : « Rien, moins que rien, pour la majeure partie de ceux qui vont se faire casser la tête dans des guerres dont ils ignorent les causes, et dont ils sont les seuls à supporter les frais en tant que travailleurs et combattants ».

« Vainqueurs ou vaincus, ils seront toujours du bétail corvéable, exploitable et soumis que la bourgeoisie tient à conserver sous sa domination ».

1915 : Enfants parisiens jouant à la guerre contre les Allemands (autochrome de Léon Gimpel)

FRONTIERES : DES LIMITES ARBITRAIRES

Jean Grave note que « les Etats n’ont que des limites arbitraires ».

« Par suite des guerres qu’elles se sont faites, les nations se sont approprié, puis ont reperdu ou repris des provinces qui séparaient leurs frontières. Il s’ensuit que le patriotisme de ces provinces ballotées de ci, de là , consistait à se battre tantôt sous un drapeau, tantôt sous un autre, à tuer les alliés de la veille, à lutte côte à côte avec les ennemis du lendemain : première preuve de l’absurdité du patriotisme ».

« Et puis, quoi de plus arbitraire que les frontières ? Pour quelle raison les hommes placés en deçà d’une ligne fictive, appartiennent-ils plutôt à une nation que les hommes placés au-delà  ? »

PATRIE ET CLASSES

Jean Grave ajoute : « l’inconséquence est plus grande, encore, pour la majeure partie de ceux qui se font tuer ainsi, sans avoir aucun motif de haine contre ceux qu’on leur désigne, c’est que ce sol qu’ils vont ainsi défendre ou conquérir ne leur appartient ni leur appartiendra ».

« Il n’y a pas de Patrie pour l’homme digne de ce nom, ou du moins il n’y en a qu’une : c’est celle où il lutte pour le bon droit, celle où il vit, où il a ses affections, mais elle peut s’étendre à toute la terre. »

« L’humanité ne se divise pas en petits casiers où chacun se parque dans son coin, en regardant les autres comme des ennemis ; pour l’individu complet tous les hommes sont frères et ont égal droit de vivre et d’évoluer à leur aise sur cette terre assez grande et assez féconde pour les nourrir tous. »

« Quant à vos patries de convention, les travailleurs n’y ont aucun intérêt, ils n’ont rien à y défendre. Par conséquent, quel que soit le côté de la frontière où le hasard les ait fait naître, ils ne doivent avoir, pour cela, aucun motif de haine mutuelle. »

« Au lieu de continuer à s’entrégorger, comme ils l’ont fait jusqu’à présent, ils doivent se tendre la main par-dessus les frontières et unir tous leurs efforts pour faire la guerre à leurs véritables, leurs seuls ennemis : l’Autorité et le Capital. »

Jean-Pierre Dubois

http://lepetitblanquiste.hautetfort.com/

[1] Jean Grave, La société mourante et l’anarchie, 1893.

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COMMENTAIRES  

06/07/2012 09:43 par BOB

« Ce que j’ai fait, je l’ai fait pour mon pays« , de nombreux dictateurs, de nombreux généraux envoyant des milliers de soldats à une mort certaine, de nombreux tortionnaires violant, torturant de simples civils, ou des présidents bombardant des populations innocentes, se sont réfugiés derrière cette phrase. Par quel miracle le pays ou vous êtes né serait supérieur à tous les autres ?

http://2ccr.unblog.fr/2011/11/21/patriotisme-et-nationalisme/

06/07/2012 09:55 par calame julia

Tiens, tiens ! Et les gars qui se sont battus pour la France , ceux d’Afrique du Nord par exemple ?

Ce texte n’est plus valable aujourd’hui puisque c’est l’accompagnement pour le respect des "droits de
l’homme". Remarquez l’insulte "respect des droits de l’homme" et donc auront droit aux poncifs ceux
qui se battent en fiers représentants de leurs concitoyens dans ce combat "magnifique" et qui sont
libres de leur choix cad semblant oeuvrer pour la paix du monde.

Ne nous y trompons pas ! et devoir revenir un siècle en arrière pour se refaire un petit apprentis-
sage dans le doute quant’aux intentions réelles tendrait à prouver que des conflits plus graves
se préparent tant les raisons réelles peuvent nous échapper désormais.

(Merci à Jean-Pierre DUBOIS ! Et aux descendants de ceux qui se sont battus
lors du dernier massacre européen du siècle dernier et qui essayent de lire entre les lignes
de certaines politiques de la mort parce que ceux qui les ont éduqués savaient que les leçons
de l’histoire ne seraient pas retenues parce que la forme n’est jamais la même).

06/07/2012 17:03 par babelouest

Dans une guerre, il y a toujours un vainqueur et un vaincu : le vaincu, c’est le peuple ; le vainqueur, ce sont les hommes qui l’ont déclarée. La Patrie, c’est le lieu où sont enterrés les vaincus, donc le monde entier.

Les livres d’Histoire ne parlent que des vainqueurs, bien entendu.

06/07/2012 17:55 par CN46400

"Un peu d’internationalisme éloigne de la patrie, beaucoup d’internationalisme en rapproche"

C’est pas de moi....

08/07/2012 15:25 par Dwaabala

Ce n’est pas de moi non plus.

C’est la lutte finale
Groupons-nous et demain
L’Internationale
Sera le genre humain

...

Debout ! l’âme du prolétaire
Travailleurs, groupons nous enfin.
...
Appliquons la grève aux armées
Crosse en l’air ! et rompons les rangs !
...
Ouvriers, Paysans, nous sommes
Le grand parti des travailleurs.
La terre n’appartient qu’aux hommes.
L’oisif ira loger ailleurs.
...
Qu’enfin le passé s’engloutisse !
Qu’un genre humain transfiguré
Sous le ciel clair de la Justice
Murisse avec l’épi doré !
Ne crains plus les nids de chenilles
Qui gâtaient l’arbre et ses produits
Travail, étends sur nos familles
Tes rameaux tout rouges de fruits

09/07/2012 10:17 par Antonio

On peut donc se demander quel sens avaient les fréquentes évocations de "ma patrie" de la part de Jean-Luc Mélenchon que beaucoup trouvaient pour le moins contradictoires avec le reste du discours !

09/07/2012 11:16 par Dwaabala

09/07/2012 à 10:17, par Antonio

« On peut donc se demander quel sens avaient les fréquentes évocations de "ma patrie" de la part de Jean-Luc Mélenchon que beaucoup trouvaient pour le moins contradictoires avec le reste du discours ! »

Les prolétaires n’ont à perdre que leurs chaînes.

Les communistes ont tenté au cours du XXème siècle de s’approprier la notion de patrie, et d’associer le drapeau tricolore au drapeau rouge, de ne pas le laisser entre les mains des bourgeois. La patrie du prolétaire n’est certainement pas la même que celle de son exploiteur, bien que dans certaines circonstances historiques ( lutte contre le nazisme par exemple) ils aient pu affronter le même ennemi. Situation dramatique au plan politique, car la défense des valeurs humaines niées par la monstruosité nazi a pu occulter le caractère anti impérialiste de la lutte contre l’ennemi qu’il fallait abattre.

10/07/2012 21:43 par Antonio

@Dwaabala

Je vous invite à relire l’article !...
... et à vous demander pourquoi Marx disait "Prolétaires de tous les pays unissez-vous !"

11/07/2012 14:01 par Dwaabala

@ Antonio

« Je vous invite à relire l’article ! ... et à vous demander.. » dites-vous.

Quel est le problème ?

« Les travailleurs n’ont à perdre que leurs chaînes », c’était aussi de Marx.

Et : « Travailleurs, groupons nous enfin... / Appliquons la grève aux armées / Crosse en l’air ! et rompons les rangs ! », d’Eugène Pottier dans « l’Internationale », précisément.

La question de la défense du sol chinois par PCC allié pour un temps avec les nationalistes chinois contre la barbarie impérialiste japonaise, ou celle de la défense des territoires de l’URSS alliée temporaire des impérialismes anglais et américains contre l’impérialisme et la barbarie nazie, est-elle contenue prophétiquement dans « Le Manifeste communiste » ou dans l’article que je dois relire ?

Vraiment, je ne vois pas le problème.

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