Les organisations de défense des Droits de l’Homme sont supposées défendre des principes universels tels que l’état de droit ou la liberté face à la répression d’Etat. Mais lorsqu’elles ont leur siège aux Etats-Unis et se rapprochent de son gouvernement, elles se retrouvent parfois alignées avec la politique extérieure de ce pays. Cette situation entache leur crédibilité et peut causer du tort à la cause des droits de l’homme.
De récents événements en Amérique latine ont remis cette question sous le feu des projecteurs. Le 29 août, le sénat brésilien a démis de ses fonctions la présidente élue, Dilma Roussef, bien que le procureur fédéral en charge du dossier ait déterminé que les procédures comptables pour lesquelles elle était mise en cause ne constituaient pas un délit. De plus, des transcriptions d’appels téléphoniques réalisés entre des hommes politiques responsables du processus de destitution qui ont fuité [dans la presse] ont révélé comment ils essayaient de se débarrasser de Dilma afin de se protéger pour éviter des enquêtes les mettant en cause dans des affaires de corruption.
Michel Temer, qui est d’ores et déjà exclu de la prochaine élection présidentielle pour cause de violation des règles de financement de campagne, a remplacé une présidente élue qui n’avait commis aucun délit. Tout dans son procès était de nature politique – et maintenant le nouveau gouvernement tente de mettre en place un programme de droite qui avait pourtant était rejeté lors des trois dernières élections présidentielles.
Une partie de ce programme politique de droite implique une étroite alliance avec les Etats-Unis et sa stratégie de Guerre froide de « endiguement » et de « refoulement » par rapport aux gouvernements latino-américains de gauche. Et c’est à ce moment que Human Rights Watch, l’organisation de défense des Droits de l’homme la plus importante basée aux Etats-Unis – et tout particulièrement sa division Amériques – entre en jeux. HRW s’est bien abstenue d’émettre la moindre critique sur le processus d’impeachment [contre la présidente Dilma Roussef]... mais il y a pire : le directeur exécutif de la division « Amériques » de l’organisation, José Miguel Vivanco, a été cité par les médias brésiliens – le jour où le Sénat a voté l’évincement définitif de la présidente– déclarant que les Brésiliens « devraient être fiers de l’exemple qu’ils sont en train de donner au monde ». Il a aussi loué « l’indépendance du système judiciaire » brésilien. Pourtant, Sergio Moro, le juge chargé d’enquêter sur les affaires politiques de corruption, a été loin d’être indépendant. Il a dû s’excuser en mars pour avoir fait fuiter des écoutes entre l’ancien président Lula da Silva et Dilma à la presse ; Lula et son avocat ; et entre la femme de Lula et leurs enfants.
Il se trouve que Vivanco a aussi approuvé la persécution politique de l’ex-presidente argentine Christina Fernandez Kirchner, tout en faisant l’éloge de son remplaçant, le candidat de droite et soutenu par les Etats-Unis, Mauricio Macri. « Une institution gagne en crédibilité lorsqu’elle est capable de faire face à quiconque », a-t-il déclaré en faisant référence à l’actuelle poursuite judiciaire de Fernandez. Les enquêtes pour corruption de n’importe quel membre d’un gouvernement, incluant un ex-président, peuvent évidemment être parfaitement légitimes, mais dans le cas de l’ex-présidente argentine, de son ancien ministre des finances et de l’ancien responsable de la Banque centrale, ils ont été inculpés pour des actes que n’importe quel économiste pourrait considérer comme de simples activités propres à une banque centrale. Il s’agit clairement d’une tentative d’évacuer du champ politique une ex-presidente de gauche qui, avec son mari et prédécesseur, Néstor Kirchner, ont présidé à une énorme amélioration en matière de niveau de vie [de la population] sur une période de 12 ans. Ce type de répression politique devrait plutôt sérieusement préoccuper les organisations de défense des droits de l’homme, mais pas un mot n’a été dit à ce sujet à Washington.
Bien entendu, le comportement de Vivanco s’aligne au centimètre près sur la politique étrangère des Etats-Unis dans la région ; par exemple l’administration Obama a clairement manifesté son soutien au coup d’Etat au Brésil. Le 5 août, le Secrétaire d’Etat John Kerry s’est réuni avec le ministre des affaires étrangères par interim brésilien et a donné une conférence de presse à ses côtés en évoquant l’avenir positif des relations entre les deux pays. En faisant des déclarations communes et en agissant comme s’il s’agissait déjà de l’actuel gouvernement du Brésil, alors que le Sénat brésilien n’avait pas encore décidé du sort de la présidente élue, Kerry a clairement montré quelle était la position du gouvernement des Etats-Unis. Le Département d’Etat avait déjà lancé un signal similaire en mai, seulement trois jours après que la chambre basse brésilienne eut voté la destitution de Dilma.
Et le président Obama a clairement montré sa préférence pour le nouveau gouvernement de droite d’argentine : son administration a levé son opposition aux prêts des organismes multilatéraux qu’il avait imposée au gouvernement précédent, ce qui contribua évidemment à l’époque aux problèmes de balance des paiements du pays.
Lorsqu’il fut demandé à Vivanco pourquoi HRW n’avait émis aucune déclaration au sujet de la destitution en cours au Brésil, il répondit :
Nous ne nous impliquons pas en critiquant des procédures de destitution ou d’autres affaires politiques locales, à moins qu’elles représentent une menace significative pour les droits de l’homme et l’État de droit. C’est pourquoi, par exemple, nous avons dénoncé le coup d’État qui a évincé le président du Honduras Manuel Zelaya en 2009, tout comme celui qui a brièvement évincé le président Hugo Chavez en 2002. Mais la situation au Brésil est différente. Que l’on soit d’accord avec le résultat ou non, il s’agit là d’un processus politique en cours dans un pays qui possède un système judiciaire indépendant et capable de déterminer si les lois appliquées dans ce processus sont respectées.
Mais le processus de destitution a soulevé de sérieuses questions au sujet de l’indépendance du pouvoir judiciaire brésilien, tout comme de l’Etat de droit, comme cela a été déjà relevé auparavant dans ce texte mais aussi par d’autres journalistes. Et il est nécessaire de rappeler que lorsque les militaires du Honduras ont renversé le président Zelaya, le Département des Amériques de l’ONG Human Rights Watch a très peu agi. Elle a posté quelques déclarations sur son site internet durant les mois qui ont suivi le coup d’État, mais ce ne fut clairement que pour la forme. HRW a accès aux plus importants médias étasuniens, en tant que porteur d’opinion et de pourvoyeur d’information, et peut facilement placer des éditoriaux ou des articles d’opinions efficaces et avec une grande visibilité lorsqu’elle décide d’en faire l’effort. Cependant, durant le mois qui a suivi le coup d’État au Honduras, on ne trouva aucune trace de HRW dans les médias. Et contrairement à l’OEA, l’ONU et le reste du monde, l’ONG n’a jamais appelé au rétablissement du président élu démocratiquement. Pendant ce temps, la Secrétaire d’Etat Hillary Clinton a manœuvré avec succès pour empêcher Zelaya de retrouver son poste (ce qu’elle a admis dans son livre publié en 2014).
Bien qu’elle dénonce parfois les violations aux droits de l’homme commises par des gouvernements pro-EU, la Division « Amériques » de HRW a d’autre part ignoré ou s’est peu préoccupé des terribles crimes commis en collaboration avec le gouvernement des Etats-Unis dans cet hémisphère. Quelques-uns des pires exemples incluent le renversement du gouvernement élu d’Haïti en 2004, suite à quoi des milliers de personnes ont été tuées et des membres du gouvernement constitutionnel emprisonnés.
L’Organisation des Etats Américains a aussi ses antécédents en matière de droits de l’homme – cette organisation a même joué un rôle non négligeable dans la destitution du président élu haïtien en 2004 et a annulé les résultats électoraux de 2010 dans ce même pays sur l’ordre de Washington. Mais la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme a émis un communiqué en septembre exprimant ses préoccupations au sujet de la destitution de [la présidente] Dilma, et le Secrétaire général de l’OEA –un ardent allié des Etats-Unis – a publié une dénonciation détaillée, dans des termes beaucoup plus forts, lors du lancement de la procédure de destitution. Tout cela marque un fort contraste par rapport aux déclarations de Vivanco au nom de la Division des Amériques de HRW.
HRW a rejeté sommairement et de façon répétée ou bien simplement ignoré des critiques honnêtes et rigoureusement documentées au sujets de ses conflits d’intérêts. Ceci inclut des lettres de lauréats au Prix Nobels, des anciens représentants de haut-niveau de l’ONU, et des universitaires demandant à HRW "d’exclure les personnes qui ont élaboré ou exécuté la politique étrangère des Etats-Unis des équipes de travail de l’ONG, des conseillers ou des administrateurs", ou même d’interdire à "ceux qui portent une responsabilité directe en matière de violation des droits de l’homme" de participer aux conseils d’administration d’organisations indépendantes comme HRW.
Les Gouvernements qui violent les droits de l’homme – et ceci inclut à peu près tous les gouvernements du monde – attaquent fréquemment les organisations de droits de l’homme occidentales ou leurs alliés locaux (parfois soutenus financièrement par les Etats-Unis) en les accusant d’être des instruments des gouvernements occidentaux. Ceci leur permet de déprécier la lutte légitime en faveur des droits de l’homme et même d’obtenir un soutien nationaliste dans le cas des gouvernements autoritaires, ou bien pour des violences commises par des gouvernements démocratiques. Il est donc de vitale importance que les organisations de défense des droits de l’homme respectent strictement leurs principes fondamentaux et défendent les droits de l’homme indépendamment des objectifs de la politique étrangères des Etats-Unis.
Mark Weisbrot
Co-directeur du Center for Economic and Policy Research, Washington, Etats-Unis (http://cepr.net/) et président de Just Foreign Policy.
Traduit par Luis Alberto Reygada pour Le Grand Soir.