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Le cri de Chatila : « Droit au retour » par S. Chiarini - il manifesto / 16-18 septembre 1982, massacre de Sabra et Chatila.


il manifesto, samedi 17 septembre 2005, envoyé spécial à à Beyrouth.


«  Nous sommes là , avec nos vivants et avec nos morts, en ce vingt-troisième anniversaire du massacre de Sabra et Chatila et nous n’avons aucune intention de disparaître de la scène du Moyen-Orient et de renoncer à notre droit au retour et à l’indemnisation pour les propriétés que les israéliens nous ont volées, ni à la possibilité de défendre nos camps avec les armes. La déstabilisation du Liban et de la Syrie et la résolution 1559 même, tendent à aboutir elles aussi au résultat qu’Ariel Sharon se proposait : effacer les camps, effacer l’existence politique de millions de réfugiés palestiniens, nous obliger à émigrer toujours plus loin de la Palestine, mais nous serons toujours, comme le dit un de nos poèmes, comme un morceau de verre dans la gorge de nos oppresseurs et de leurs complices ». Abu Mohammed, soixante-cinq ans, instituteur, vient à notre rencontre en boitant mais avec la détermination d’un jeune homme.

Devant nous, de l’autre côté de la route pour l’aéroport, il y a l’immeuble couleur crème, à cent mètres à peine de Chatila, d’où les commandants israéliens, les officiers des Forces Libanaises comme Elia Hobeika, les hommes des services israéliens, et, bien entendu, Ariel Sharon, alors ministre de la défense, et ses généraux, allaient suivre pas à pas le déroulement du massacre commencé l’après-midi du 16 septembre et terminé, mais en partie seulement, le samedi dix-huit. Les victimes furent plus de 3.000, en grandes parties palestiniennes, mais aussi libanaises et immigrées venant de différents pays arabes. Quelques heures plus tôt, le soir du 14 septembre, avait été tué, à peine élu, le président Béchir Gemayel, leader des Forces libanaises, et Ariel Sharon avait profité de la situation pour oublier la promesse qu’il avait faite à l’émissaire du président étasunien, Philip Habib, de ne pas entrer avec son armée dans Beyrouth ouest, où se tenaient les camps palestiniens, désormais sans défense, après le retrait des fedayin de l’OLP. Les Forces multinationales qui auraient du défendre les camps avaient au contraire quitté précipitamment Beyrouth quelques jours plus tôt, à la demande des USA.

Ariel Sharon, une fois les camps encerclés par les blindés « afin de les nettoyer des terroristes » y fit entrer environ 600 phalangistes, qui massacrèrent, éventrèrent, violèrent, volèrent et tuèrent sans répit. Sans s’arrêter même devant des enfants et des nouveaux-nés, dans certains cas coupés en morceaux et recomposés ensuite sur des tables ensanglantées pour former d’horribles poupons de mort. Les photos de ces victimes innocentes représentées à certains moments importants de leur vie, des nouveaux-nés au berceau aux plus grands, en habits de fête et les cheveux bien coiffés pour leur mariage, ou bien ces enfants en col amidonné et chemise à petits carreaux des classes élémentaires, ou les jeunes avec la coupe et la permanente des fiançailles, avec la toque de la thèse ou dans les rues d’un quelconque pays lointain, elles étaient là ces photos hier matin, décolorées par le temps et par les larmes, portées par des mères, des pères, des soeurs, ouvrant le cortège unitaire pour rappeler au monde cette offense inouïe à la vie. Pour rappeler l’existence de ces 700 corps jetés l’un sur l’autre entre deux couches de chaux, là bas dans cette terre rouge remuée et dans le sable de ce qui, avant l’arrivée des réfugiés chassés hors de Palestine avec quelques objets ménagers, puis installés là sous les tentes de l’ONU, était un affaissement de terrain entre les dunes de sable d’une pinède d’où l’on voyait la mer, au sud de Beyrouth.

Derrière eux, pendant qu’un important service d’ordre veillait sur le cortège, défilaient les fanfares avec les cornemuses des scouts, les drapeaux des différentes organisations politiques, pour une fois réunies en une occasion aussi importante, et les nombreuses délégations internationales : de la délégation italienne organisée par le Comité pour ne pas oublier Sabra et Chatila, aux arabes américains de l’Arab America Antidiscrimination Comittee, à une centaine de femmes pacifistes, venant d’une trentaine de pays. Le cortège international et les ONG s’est ensuite dirigé vers le camp de Chatila en parcourant en sens opposé la route le long de laquelle, en ce début d’après-midi du 16 septembre 1982, un groupe de vieillards, avec des drapeaux blancs, se dirigea vers les positions israéliennes, pour remettre aux occupants les clés du camp. Personne n’a plus jamais rien su d’eux après. Leurs pas -et leur destin- allaient être suivis peu après par un petit cortège de femmes qui demandaient la fin des bombardements : beaucoup d’entre elles furent violées et tuées dans les ruelles adjacentes au stade qui est juste à côté ; d’autres, les plus jeunes, embarquées sur des camion, et emmenées, pour avoir la même fin, dans les casernes des Forces libanaises. Le tout sous les yeux des soldats de Sharon.

Le cortège dense et bariolé a ensuite conflué vers un grand espace à l’entrée du camp, où se trouve la fosse commune. En 1982, c’était une lande de terre et de ruines creusée au bulldozer et ombragée aujourd’hui par les grands arbres qui ont poussé pendant ces vingt trois années, solides comme la mémoire que les réfugiés ont de leur terre lointaine. L’aire, réduite en décharge jusqu’à il y a trois ans, sera maintenant - comme annoncé dans le discours de clôture de la manifestation par le maire Abu Said al Qansa- l’objet d’un concours international de projets pour l’aménagement définitif.

«  Le cortège d’aujourd’hui a rompu le sentiment d’isolement des réfugiés - nous dit Nabil, un jeune technicien de Chatila- avec les deux autres événements importants : la décision du ministère du travail de lever l’interdiction pour les palestiniens d’accéder à plus de 50 métiers, et les possibilités plus importantes de travail à la suite du départ des travailleurs syriens, ont contribué à nous donner quelque espoir pour l’avenir. Mais, quand même, sous ces améliorations, nos craintes ne se dissipent pas, surtout après la demande des USA de désarmer les camps, et la réapparition simultanée, ces jours ci, du groupe le plus férocement anti-palestinien du pays, celui des « gardiens du cèdre » : une organisation connue pendant la guerre civile pour avoir eu l’habitude d’écarteler, après les avoir attachés à deux voitures qui partaient dans les directions opposées , les prisonniers palestiniens et progressistes tombés dans leurs mains ». Leurs chefs prirent la fuite ensuite en Israël et l’on ne sut plus rien d’eux. Et voici que, juste à l’occasion de l’anniversaire du massacre, certains dirigeants ont convoqué une conférence de presse pour relancer leurs slogans préférés : « tout libanais doit tuer un palestinien » jusqu’à ce « Qu’il n’y ait plus un seul palestinien sur le sol libanais ». Nombreux sont ceux qui craignent que ce tragique septembre pour les réfugiés palestiniens ne soit pas encore fini.

Stefano Chiarini


- Source : il manifesto www.ilmanifesto.it

- Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio


Les massacres de Sabra et Chatila<BR>
www.voltairenet.org/article9775.html


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