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Le goût du fantastique

Elsa Gribinski est une éditrice, une traductrice et une autrice très précieuse. Elle nous propose ici un recueil de petits bijoux de la littérature fantastique qu’elle contextualise et remet en perspective.

Quand on se plonge dans la littérature fantastique, le passage obligé – et cela fonctionne de Maupassant à Lafcadio Hearn en passant par le Cyclope d’Homère – est cette analyse de Tzvetan Todorov, dans son Introduction à la littérature fantastique : « Dans un monde qui est bien le nôtre, celui que nous connaissons, sans diables, sylphides, ni vampires, se produit un événement qui ne peut s’expliquer par les lois de ce même monde familier. Celui qui perçoit l’événement doit opter pour l’une des deux solutions possibles : ou bien il s’agit d’une illusion des sens, d’un produit de l’imagination et les lois du monde restent alors ce qu’elles sont ; ou bien l’événement a véritablement eu lieu, il est partie intégrante de la réalité, mais alors cette réalité est régie par des lois inconnues de nous. Ou bien le diable est une illusion, un être imaginaire ; ou bien il existe réellement, tout comme les autres êtres vivants : avec cette réserve qu’on le rencontre rarement. Le fantastique occupe le temps de cette incertitude ; dès qu’on choisit l’une ou l’autre réponse, on quitte le fantastique pour entrer dans un genre voisin, l’étrange ou le merveilleux. Le fantastique, c’est l’hésitation éprouvée par un être qui ne connaît que les lois naturelles, face à un événement en apparence surnaturel. »

​​​​​​​Si elle existe, la frontière entre le fantastique et ce qui ne l’est pas s’est beaucoup déplacée. Comme Grebinski le pose avec pertinence dans sa préface, « Des siècles durant, le surnaturel fut naturel et l’imagination quotidienne. Les ténèbres engendraient la croyance et nourrissaient la fable ; crédules, on inventait. » Jusqu’à un certain point : les monstres de Pline l’Ancien étaient des animaux anthropomorphiques qui côtoyaient la zoologie ordinaire.

​​​​​​​Le fantastique est marqué par l’irruption dans un monde a priori stable d’où le mystère semblait banni de ce qui n’aurait pas dû survenir. Borges parlait de « monstres nécessaires ». Ainsi les dragons assimilés aux serpents et renvoyant au Diable. En revanche, le monde des fées et des ogres est celui de l’ « il était une fois », donc beaucoup moins menaçant car sans rapport avec la réalité. Faire peur aux enfants ou les charmer, c’est de la roupie de sansonnet comparé à la terreur éprouvée par les hommes d’Ulysse face à celui qui n’a qu’un œil. Le monde de la féérie est celui du faire-croire. Le fantastique est le royaume de l’incertitude, du « ou bien … ou bien » repéré par Todorov. Le monde de l’« Octopus’s Garden » des Beatles est une grotte sous-marine où les enfants se reposent en sécurité entre deux jeux :

We would shout and swim about

The coral that lies beneath the waves

(Lies beneath the ocean waves)

Oh what joy for every girl and boy

Knowing they’re happy and they’re safe

Le monde du Capitaine Nemo (« Nemo », c’est Personne, comme dans Homère) renferme des monstres qui ne « sont pas toujours ce que l’on croit ».

​​​​​​​Quoiqu’en pensent les habitants d’Ussé et les innombrables touristes, le château de la Belle au bois dormant n’existe pas. Dans le fantastique, l’imaginaire ne se développe pas dans un monde imaginaire mais dans un monde bien réel. Comme celui, l’aurait-on … imaginé, d’Erckman-Chatrian, monstre à lui tout seul puisque composé de deux auteurs :

​​​​​​​« Tous les assistants se regardaient, la face livide, les cheveux hérissés.

[…] ‑ Agathe, racontez-nous comment la mort a frappé sir Hawerburch.

​​​​​​​Il se baignant dans le bassin de la source… L’araignée le voyait par derrière, le dos nu. Elle avait faim, depuis longtemps elle jeûnait ; elle le voyait, les bras sur l’eau. Tout à coup, elle sortit comme l’éclair, et planta ses griffes autour du cou du commodore, qui cria : « oh ! oh ! mon Dieu ! » Elle le piqua et s’enfuit. Sir Hawerbuch s’affaissa dans l’eau et mourut. Alors l’araignée revint et l’entoura de son filet, et il nageau doucement, doucement, jusqu’au fond de la caverne. Elle tirait le fil. Maintenant il est tout noir. » (L’araignée crabe).

​​​​​​​La littérature étant d’abord et avant tout une écriture (Duras), Elsa Gribinski souligne avec raison que l’irruption du fantastique peut être servie par le langage, « constamment réinventé », comme chez les Anglais (Swift ou Carroll). Le langage permet tous les subterfuges, tous les artifices, utilisés par les autres genres littéraires, comme quand Alice explique son surnaturel avec des jeux de mots sur les animaux, ou comme quand, dans Le château des Carpathes, Jules Verne s’amuse avec la peur du lecteur sans rompre totalement avec la cohérence du monde. Dans Les Mystères d’Udolphe d’Ann Radcliffe, le surnaturel du château est-il plus important que la perte du père ou les menaces d’un brigand italien ?

Le fantastique peut devenir volontairement banal. Dans La Métamorphose de Kafka, personne ne s’inquiète du changement du héros, sauf le héros lui-même. Il peut être magique et métaphysique comme chez Borges et Bio Casares. Il peut être anticipateur et politique comme chez Wells.

Le goût du fantastique. Textes choisis et présentés par Elsa Gribinski. Paris, Mercure de France, 2018.

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