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Le Monde Diplomatique, décembre 2022

Serge Halimi se demande si l’impérialisme peut être vertueux. Il en doute : « La coexistence d’un Sénat contrôlé par les démocrates et d’une Chambre des représentants où les républicains seront majoritaires ne bouleversera pas la politique étrangère des États-Unis. Elle pourrait même révéler à ceux qui l’ignorent une convergence entre le militarisme néoconservateur de la plupart des élus républicains et le néo-impérialisme moral d’un nombre croissant de démocrates. La chose n’est pas nouvelle. En 1917, le président démocrate Woodrow Wilson engage son pays dans la première guerre mondiale, caractérisée par des rivalités impériales, en prétendant qu’il entend ainsi « garantir la démocratie sur terre ». Ce qui ne l’empêche pas d’être simultanément sympathisant du Ku Klux Klan. Plus tard, au cours de la guerre froide, républicains et démocrates se succèdent à la Maison Blanche pour défendre le « monde libre » contre le communisme athée, « empire du Mal ». L’Union soviétique disparue, vient le temps de la « guerre contre le terrorisme » dont le président George W. Bush garantit qu’elle mettra fin à la « tyrannie dans le monde ».

Stéphane Dudoignon estime qu’en Iran le pouvoir se fracture : « Face aux manifestants, qui demeurent déterminés, le régime a opté pour la méthode dure afin de ramener le calme. Mais une fraction de la hiérarchie religieuse regrette l’absence de mécanismes conciliateurs entre le pouvoir et la contestation. »

Pour Benjamin Lemoine, l’inflation s’en prend aux plus pauvres : « Les pouvoirs publics ont longtemps mis les salariés à l’abri de l’inflation à travers un mécanisme d’indexation des rémunérations. Le gouvernement français estime désormais que procéder de la sorte reviendrait à jeter du kérosène sur la flambée des étiquettes, ce que contredit une étude récente du Fonds monétaire international (FMI). La règle édictée par Bercy ne vaut toutefois pas pour tous. »

Evelyne Pieiller dénonce l’usage généralisée de la compassion : « Solidarité, responsabilité : des mots qui ont, depuis quelque temps, repris une forte actualité pour souligner ce qui est dû aux moins privilégiés — les « vulnérables » — au nom d’une égalité imparfaite et de la volonté de corriger les injustices. Le vivre-ensemble passe alors par l’attention portée au ressenti de chacun. Mais le ressenti permet-il de fonder une norme collective ? »

Pierre Puchot s’est rendu à Grigny observer un demi-siècle d’aberrations urbaines : « Aujourd’hui emblématique des banlieues déshéritées, Grigny n’était en 1969 qu’un bourg paisible de trois mille âmes quand l’État décida, sans concertation avec les autorités locales, d’y implanter deux grands ensembles : Grigny 2, la plus importante copropriété privée de France ; et la Grande Borne, un immense quartier de logements sociaux. Un péché originel dont la ville ne s’est jamais remise. »

Corentin Léotard a écouté la petite musique hongroise : « Dans le concert européen de soutien à l’Ukraine, la Hongrie joue sa propre partition. Tout en dénonçant l’agression russe, le premier ministre Viktor Orbán défend une voie de compromis avec Moscou. Cette singularité qui l’éloigne de ses voisins répond surtout à des considérations idéologiques et de politique intérieure. Pour les nationalistes hongrois, l’avenir se joue à l’Est. »

Michaël Levystone a observé de prudentes émancipations en Asie centrale : « Si aucun des pays d’Asie centrale ne l’a officiellement condamnée, l’agression russe contre l’Ukraine fait grincer des dents dans la région. Jusqu’alors garant de la sécurité, Moscou voit son monopole contesté par d’autres, comme les États-Unis, qui reviennent après leur débâcle afghane. »

Pour Hughes Le Paige, le gouvernement italien utilise un double langage : « En visite à Bruxelles début novembre, Mme Giorgia Meloni a montré patte blanche : la présidente du conseil italien entend respecter scrupuleusement les traités européens, se plier au dogme de la rigueur, soutenir l’Ukraine coûte que coûte… Des positions qu’elle conjugue à un ultraconservatisme autoritaire sur les sujets sociétaux. Mais cela intéresse moins les instances de l’Union. »

Au Pakistan, le capitalisme à une main armée (Laurent Gayer et Fawad Hasan) : « Sur fond de crise économique, le Pakistan est, une fois de plus, secoué par une tempête politique. Démis de son poste de premier ministre après un vote de défiance du Parlement, M. Imran Khan, qui a organisé une marche contre son successeur Shehbaz Sharif, a échappé à une tentative d’assassinat. À Karachi, dirigeants locaux, hommes d’affaires et militaires s’entendent pour contrôler d’une main de fer les salariés de l’industrie textile. »

Pour André-Michel Essoungou, les écrans africains font l’objet d’une guerre d’influence : « En marge du sommet de l’Organisation internationale de la francophonie, à Djerba (Tunisie), le 20 novembre 2022, M. Emmanuel Macron a de nouveau dénoncé la propagande des « puissances » qui veulent « abîmer » l’image de la France en Afrique. Les pays qui agacent Paris se livrent à une guerre médiatique pour favoriser leurs intérêts et dénigrer les concurrents. »

Didier Ortolland estime que le droit de la mer tangue mais ne coule pas : « La mer, qui recouvre 70 % de la planète, offre au regard une immensité continue. Mais elle n’échappe pas à l’appropriation, à l’exploitation, aux frontières. Comment réglementer les conflits maritimes et l’exercice de la souveraineté des États ? Le 10 décembre 1982, l’acte final de la conférence des Nations unies sur le droit de la mer apportait à ces questions une réponse originale et durable. »

Aux États-Unis, la gentrification se fait par l’école (Richard Keiser) : « On connaissait la stratégie de ces parents qui choisissent leur logement de façon à aiguiller leurs enfants vers les meilleurs établissements. Aux États-Unis, des municipalités renversent la logique. Soucieuses d’attirer les populations riches vers des centres-villes en général pauvres, elles rasent certaines écoles pour en construire d’autres, susceptibles de doper leur « offre scolaire ». »

Pour Paul Guillibert, l’idéologie est à l’œuvre dans les plateaux andins : « Une partie de la gauche latino-américaine considère que l’influence des travaux d’intellectuels occidentaux relève d’une forme de colonialisme. Ce n’est pas le cas du socialiste José Carlos Mariátegui, né au Pérou en 1894. On doit à celui-ci d’avoir contribué à introduire le marxisme au sein de la gauche régionale. Sans « calque » ni « copie », mais sans quête non plus de l’originalité à outrance. »

Claire Lecœuvre estime que ma méthanisation est stade suprême de l’agriculture industrielle : « La guerre en Ukraine ravive la dépendance européenne, et française, aux importations de gaz. Présentée un peu rapidement comme une solution écologique pour garantir une souveraineté en matière de production, la méthanisation reste loin de tenir ses promesses. Un développement massif sur le modèle actuel comporterait des conséquences néfastes tant pour l’agriculture que pour l’environnement. »

Décidément, la privatisation de l’électricité en France est un échec (David Garcia) : « La crise énergétique consécutive aux sanctions occidentales contre la Russie n’a pas seulement rogné le pouvoir d’achat des Européens et affaibli le Vieux Continent. Elle projette une lumière crue sur l’échec de la libéralisation du marché de l’électricité en France et, surtout, sur l’obstination des différents gouvernements à poursuivre cette politique quoi qu’il en coûte. »

Idem pour la privatisation rampante de la SNCF (Selim Derkaoui) : « En région parisienne, on ne compte plus le nombre de trains annulés faute de conducteurs. La mise en place d’un logiciel privé de gestion du personnel devait permettre de compenser le manque d’effectifs. Non seulement les usagers ne constatent aucune amélioration, mais les cheminots voient leurs conditions de travail se détériorer — ce qui les pousse à la démission. Une spirale infernale.

Laurence Decock s’est rendue dans la classe des Freinet : « Pédagogues à la renommée internationale, Élise et Célestin Freinet ont produit quantité d’écrits théoriques. Mais ils ont surtout mis leurs idées en pratique, notamment en fondant l’école qu’ils ont ouverte en 1934 à Vence. Dans cet établissement sans véritable classe ni pupitres alignés face à un tableau, les sanctions sont votées en assemblée générale, et chacun doit travailler en autonomie. »

Gilles Costaz évoque la période de la faste du verbe : « Dans les années 1950-1960 surgit un théâtre étonnant, porté par la vitalité des mots, et qui bouleversa les imaginaires : aux côtés de Samuel Beckett ou d’Eugène Ionesco, on comptait Jacques Audiberti, maître éclatant du langage, conteur de la fraternité. »

Simon Arambourou et Grégory Rzepski assistent à la disparition de la haute Fonction publique française : « On les a longtemps ménagés : les hauts fonctionnaires se croyaient à l’abri. Ils observaient d’un œil bienveillant les réformes de l’État à la sauce sarkozyste (révision générale des politiques publiques [RGPP]), hollandaise (modernisation de l’action publique [MAP]) ou macroniste (comité d’action publique 2022 [CAP 22]), qui toujours épargnaient la noblesse mais frappaient les agents. Au nom de la dématérialisation, on fermait les services ; pour faire des économies, on ne compensait plus les départs. Il faudrait déménager, subir la colère d’usagers excédés, travailler plus. Et gagner moins quand les gouvernements s’acharnent à geler les rémunérations. La perte de sens, c’était un contrôleur des impôts encouragé à conseiller l’optimisation fiscale. Ou des agents de la Sécurité sociale, à chasser les fraudeurs. Souvent, la crème de la haute fonction publique œuvrait elle-même au démantèlement des échelons inférieurs de l’administration, tout comme ses prédécesseurs avaient contribué aux privatisations de la sidérurgie, des banques, de la défense, de l’aéronautique, des télécoms ou de l’énergie : les cadres du Trésor ou de la direction du budget « modernisaient » l ’économie françaisequand les ingénieurs des Ponts et Chaussées concédaient l’aménagement aux majors du bâtiment et des travaux publics. À l’hôpital, à l’université, les mandarins admiraient Michel Rocard ou MM. Édouard Balladur, Alain Juppé ou Lionel Jospin, jusqu’à subir à leur tour la concurrence et la caporalisation bureaucratique. »

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Bernard GENSANE
Bernard Stiegler est un penseur original (voir son parcours personnel atypique). Ses opinions politiques personnelles sont parfois un peu déroutantes, comme lorsqu’il montre sa sympathie pour Christian Blanc, un personnage qui, quels qu’aient été ses ralliements successifs, s’est toujours fort bien accommodé du système dénoncé par lui. J’ajoute qu’il y a un grand absent dans ce livre : le capitalisme financier. Cet ouvrage a pour but de montrer comment et pourquoi la relation politique (…)
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Depuis 1974 en France, à l’époque du serpent monétaire européen, l’État - et c’est pareil dans les autres pays européens - s’est interdit à lui-même d’emprunter auprès de sa banque centrale et il s’est donc lui-même privé de la création monétaire. Donc, l’État (c’est-à -dire nous tous !) s’oblige à emprunter auprès d’acteurs privés, à qui il doit donc payer des intérêts, et cela rend évidemment tout beaucoup plus cher.

On ne l’a dit pas clairement : on a dit qu’il y avait désormais interdiction d’emprunter à la Banque centrale, ce qui n’est pas honnête, pas clair, et ne permet pas aux gens de comprendre. Si l’article 104, disait « Les États ne peuvent plus créer la monnaie, maintenant ils doivent l’emprunter auprès des acteurs privés en leur payant un intérêt ruineux qui rend tous les investissements publics hors de prix mais qui fait aussi le grand bonheur des riches rentiers », il y aurait eu une révolution.

Ce hold-up scandaleux coûte à la France environ 80 milliards par an et nous ruine année après année. Ce sujet devrait être au coeur de tout. Au lieu de cela, personne n’en parle.

Etienne Chouard

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