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Le nouveau bonheur français ou le monde selon Disney - Hacène Belmessous.

Il parait que, face à ce projet, François Mitterrand, s’était pincé le nez, avait pudiquement détourné les yeux et affirmé que ce n’était pas sa « tasse de thé ». Il n’en reste pas moins que la classe politique française, de droite et de gauche, a offert sur un plateau à Disney, aux conditions de la multinationale étasunienne, la possibilité de construire un parc d’attractions, mais aussi des villages exprimant sa vision du monde et de l’humanité. S’il offre accessoirement de l’onirisme, Disney impose surtout de l’idéologie, du politique.

L’auteur explique comment l’entreprise capitaliste Disney n’est parvenu à ses fins que parce qu’elle a pu bénéficier de la « complicité active d’un État fort » qui lui offrit des équipements (RER, TGV), qui lui permit de déroger au droit commun (par exemple une TVA à 7%) et qui la renfloua indirectement lorsqu’elle devint déficitaire, en 1994 et en 2004, car il s’y était engagé contractuellement.

Le partenariat fut signé en 1987. Immédiatement, dans ce land disneyen, l’État a « coupé le cordon ombilical qui le reliait à la société. » Dans le Val d’Europe, l’idéologie disneyenne règne désormais sans partage. Disney n’est plus l’aile marchante d’une culture avilissante mais la nécessaire « représentation euphorisante » de la transfiguration du réel.

Plus grave encore, Belmessous explique comment le Val d’Europe a imposé le « séparatisme social » dans le cadre d’un nouvel ordre urbain en France. Ce qui est atterrant, c’est que la gauche des Zones d’éducation prioritaire, du Développement social des quartiers a favorisé le développement d’une pratique du territoire qui contredisait cette politique. Lorsqu’en octobre 1992 Pierre Bérégovoy, Premier ministre décora le PDG de Disney de la Légion d’honneur, la messe était dite.

En tant que nouvelle ville - et ville neuve, l’existence du Val d’Europe n’a jamais été débattue devant le Parlement, devant la région àŽle-de-France, devant les municipalités ni devant aucune association constituée. De manière totalitaire, Disney obtint un monopole d’État, aucun concurrent ne pouvant construire des équipements hôteliers ou sportifs dans son enclave.

Le Val d’Europe est un ensemble où l’histoire et l’humanité dans leur continuum sont niées, où le substrat politique et la réalité sociale françaises sont évacués au profit de la vision disneyenne du monde. Ainsi, l’espace public privilégie la circulation ; les trottoirs sont étroits, les bancs publics inexistants, les squares pour enfants rares. La cité n’est pas censée améliorer la condition humaine mais affirmer un « point de vue » sur la société. L’idée est de faire disparaitre la société (qui n’existe pas, comme l’avait prétendu Margaret Thatcher) derrière une myriade d’individus en agrégeant et en favorisant les plus méritants. Disney enchante des valeurs d’un temps sans histoire : pragmatisme contre idéaux ; conscience privée contre conscience sociale, responsabilité individuelle contre responsabilité collective. Le « nous » national est désagrégé. Nous sommes « en plein séparatisme, en pleine idéologie différentialiste, dans le monde d’une seule classe sociale. » L’Autre n’existe plus.

La ville de Disney confirme, selon l’auteur, une prédiction d’Hannah Arendt : la politique disparait de l’agora politique. Belmessous cite Marc Sadoun : « Le politique ne réalise plus l’être du citoyen, il en considère l’avoir. Il ne gouverne plus les hommes, il administre les choses. » Dans ce monde, l’urbanisme n’est plus un bien commun, mais un broyeur d’hétérogénéités. L’urbanisme est moins « une valeur d’usage qu’une valeur d’échange. » On retrouve, dans cette optique, un état d’esprit, mais une aussi la vieille pratique anglo-saxonne selon laquelle on n’achète pas sa maison pour se loger (dans le Lancashire comme dans le Périgord) mais en fonction d’un placement à court ou moyen terme.

L’auteur ne cache pas que la majorité des habitants du Val d’Europe sont contents d’habiter dans ce monde creux, « déréel, oublieux des autres. » Ils ne sont plus des citoyens mais des lobbyistes qui, par exemple, ont obligé la mairie de Magny à construire un terrain de « skate » qui a couté 100000 euros pour l’amusement de huit familles.

Le Val d’Europe est peut-être le laboratoire de la première ville privée européenne.

Bernard GENSANE

Auteur : Hacène Belmessous
Editeur : Atalante
Collection : Comme Un Accordeon
Date de parution : 27/02/2009
EAN13 : 9782841724550

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