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Les Kékés

Bien sûr il ne faut pas les embêter avec les analyses politiques que développent les vieilles barbes (il en reste encore quelques-unes).

Pensez ! C’est d’un rasoir, d’un triste !

Et il y a tellement mieux à faire ! Vroum-vroum, sortir, frimer, s’éclater, le buzz, le clinquant, ma tablette…

Et puis. Et puis patatrac !

Tu tombes là où ce n’était pas prévu, dans la trappe du chômage. Et là, plus personne ne te vois, tu ne brilles plus pour personne : l’oubli.

Tu ne comptes plus pour personne.

Adieu les repères, les relations finalement factices. Seul. Tu te retrouves seul face à cette merde, face à cette infamie.

Seul face à ces patrons, les mêmes que ceux qui faisaient tourner la machine dans l’autre sens pour tout autant t’exploiter lorsque tu travaillais, sans que tu t’en rendes compte : la machine qui t’appâtait avec les clinquants de sa publicité de pacotille et ses fausses promesses de vie meilleure.

Ces patrons qui usent et abusent de ta détresse et de ta solitude pour jouer avec toi, comme le chat avec la souris. Et là, tu n’es plus dans un décor carton-pâte de Walt Disney.

Tu es en détresse et a absolument besoin de travailler pour payer les traites, maintenir un niveau de vie que tu ne veux pas lâcher. Tu ne veux pas tout perdre, le peu qui t’appartient, passer sous l’eau et couler définitivement.

Tu es seul face à eux. Comment te battre, alors, dans ces conditions ? Déjà que la bagarre ce n’était pas ton truc…

Comment faire autrement que d’accepter ces pseudos entretiens d’embauche humiliants et dégradants, pratiqués hors de tout contrôle, et donc de toute légalité ; comment faire autrement que d’accepter leurs conditions ignobles et inhumaines ? Les contrats d’une semaine, les horaires précaires d’un jour sur l’autre, le travail de nuit, du week-end, ce travail qui ne correspond pas du tout à ta qualification…

Comment faire pour te défendre, toi qui n’a jamais étudié la législation du travail, la défense des droits des salariés ? Tu es pieds et poings liés devant eux…

Penses-tu encore à ce moment-là aux discours rasoirs des vieilles barbes, occupé que tu es à cacher à tes proches ta honte, ta culpabilité ; la culpabilité qu’ils ont réussi à introduire dans ta tête ? Pas assez flexible, pas assez qualifié, trop qualifié… Comme si c’était toi le responsable de l’état du « marché » du travail, toi qui cours d’agence d’intérim en agence d’intérim pour ne pas être gagné par le découragement et la déprime. Combien de temps tiendras-tu , supporteras-tu cette usure inhumaine qu’on t’inflige pour te faire accepter n’importe quoi/le plus gros travail au plus petit salaire ?

Ah, les vieilles barbes ! Avant l’heure ce n’était pas l’heure. Un discours plaqué qui ne correspondait à aucune de tes réalités et expériences sensibles.

Et maintenant ; maintenant que tu as disparu de leur écran radar, toi qui n’était pas un habitué des manifs ou des réunions politiques, comment vas-tu faire pour t’en sortir ?
Sur qui vas-tu compter ? Où trouveras-tu la force ?

Comment vas-tu faire pour dire la réalité vraie de cette machine à broyer les hommes qui la subissent à ceux qui n’en parlent plus parce qu’ils ne la connaissent pas eux-mêmes dans son aggravation et son abjection d’aujourd’hui ?

Comment vas-tu faire pour t’en sortir ?

François Chevalier, « stratégiste » chez V.P. Finance, un type dont tu n’as jamais entendu parler l’expliquait pourtant bien : « Le plein emploi est l’ennemi du profit ! ».

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