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C’est chouette le métier de « consultant ».

Les "libéraux" et leur "amour de l’entreprise" (ou la nostalgie des plantations de coton)

La blague court qu’un consultant, c’est quelqu’un que vous payez très cher pour lui exposer ce dont vous avez besoin et qui vous expliquera en retour comment vous en passer. C’est exagéré, bien-sûr.

En réalité, un consultant, c’est quelqu’un que vous appelez à la rescousse lorsque vous avez un problème A, qui vous proposera un plan pour résoudre B tout en mettant en œuvre la solution à C – après quoi tout le monde découvrira que la bonne réponse était D. Ce qu’un vague employé avec 30 ans d’expérience dont on a oublié le nom proposait depuis le début mais que tout le monde avait ignoré parce qu’il ne portait pas de cravate et qu’on a préféré faire venir à prix d’or un jeune con qui non seulement portait une cravate mais en avait même plusieurs d’échange planquées dans la boîte à gants de sa BMW. Vu les sommes (parfois colossales) engagées, la réaction standard consiste à faire semblant que la mission fut une réussite totale et de sabler le champagne pendant que le vague employé et ses collègues se grattent la tête en se demandant comment faire entrer un train d’une largeur parfaite dans un quai de gare trop étroit.

Un tel incident, s’il s’était produit à Pyongyang, aurait fait l’objet d’une blague anticommuniste (à l’instar de la légende urbaine sur l’achat par Cuba de chasse-neiges à l’URSS) et les commentateurs attitrés et inamovibles des médias – sortis des « Ecoles de Journalisme », qui sont le pendant indispensable aux Ecoles de Commerce et de Marketing – en auraient fait des choux gras. Mais les premiers couvrent les seconds qui alimentent les premiers et tout le monde est heureux du moment que le champagne est au frais dans ce Village Potemkine qu’est devenue la société occidentale.

Vous allez me dire que ce n’est pas nouveau. Oui, c’est vrai, certes, mais...

* * *

De par ma profession, il m’arrive régulièrement d’être contacté par des « chasseurs de têtes ». Parfois les contacts deviennent un peu moins formels et virent à la conversation à bâtons rompus – sur l’état du marché de l’emploi, de l’économie, etc. Deux conversations récentes m’ont marqué. La première s’est déroulée avec un cabinet de recrutement situé dans le Sud-Ouest. Après les premiers échanges habituels, mon interlocuteur m’a demandé de confirmer mon âge (qui commence à être « avancé »). Précisons que mon âge est généralement plutôt un obstacle. Mais cette fois-ci, et assez curieusement, il constituait un avantage. J’ai exprimé mon étonnement, et le recruteur m’a répondu en l’occurrence que la (très grosse) société pour laquelle il prospectait cherchait justement à embaucher des candidats d’un certain âge, car elle « en avait assez » d’une certaine génération qui avait la particularité de très bien maîtriser les outils bureautiques, notamment les tableurs, et faisait preuve d’un savoir-faire diabolique dans l’art de produire des documents sophistiqués – graphiques et animations à l’appui – mais qu’en ce qui concernait le travail concret, c’était une « autre histoire ». En gros, ils savaient tout présenter mais ne savaient rien faire. A tel point que la consigne était actuellement d’éviter une certaine tranche d’âge, plus jeune que la mienne, qui avait tendance à « plomber » l’activité de l’entreprise.

L’échange aurait pu en rester au stade de l’anecdote s’il n’y avait pas eu, quelques mois plus tard, un autre contact du même ordre mais encore plus précis et « radical ». Cette fois-ci, il était question de « générations entières formées dans certaines écoles et qui passent leurs temps en réunions et rédactions de rapports ». Plus précis encore : « des opportunistes qui n’avaient aucun intérêt pour l’entreprise et ne cherchaient qu’à rajouter une ligne sur leur CV ». Mon deuxième interlocuteur m’a même affirmé que certains chefs d’entreprise « historiques » craignaient de prendre leur retraite non pas parce qu’ils refusaient de « lâcher la barre », mais parce qu’ils étaient persuadés « que 6 mois plus tard, leur entreprise sera démantelée et vendue en pièces détachées ». La conversation a glissé sur des généralités, et ce responsable d’un grand cabinet de recrutement s’est lâché. Il a parlé « d’un mépris pour l’entreprise bien camouflé derrière une posture pseudo-dynamique ».

Bref, on a parlé de tous ceux qui excellent à donner l’impression qu’ils sont engagés « à fond ». Ils sont toujours débordés, ont toujours des trucs à faire, toujours un coup de fil urgent (qu’ils « essayeront » de donner entre deux réunions). Qui maîtrisent parfaitement un vocabulaire abscons, qui adorent les acronymes (qu’ils inventeront à la volée s’il le faut), et ne rechignent pas à user et abuser d’anglicismes. Le matin, ils regardent les chaînes d’information en continu. Le soir, ils sont « crevés ». La politique les « fait chier » et les syndicalistes sont des « branleurs ». Ils ne travaillent pas, eux, ils bossent.

Le plus étonnant, c’est qu’on les trouve généralement chez les plus fervents « libéraux », vous savez, ces donneurs de leçons sur les « réalités », le « pragmatisme » et les lois du marché. Qui prennent soin de vous envoyer en courrier électronique à 23h00 (parce que ce sont des bosseurs).

Et qui vous parleront de « responsabilisation » à longueur de baratin. Ah oui ? Voici l’exemple d’un contrat de sous-traitance type qui m’a été proposé il y a quelques jours par une société informatique appelée ALTENA (retenez bien ce nom si vous êtes informaticien) et qui est dirigée par un diplômé d’une « école de commerce et de bla-bla-bla ». Je vous présente le dixième paragraphe (authentique et fautes de français incluses) :

« En cas de défaillance ou de maladie du Sous Traitant entraînant là non exécution de ses obligations au titre du présent contrat, le Sous Traitant s’engage à assurer son remplacement par un consultant à compétence équivalente certifié pour ladite prestation stipulée sur le présent contrat. »

Vous avez bien lu. Il ne manque que «  En cas de décés, les descendants du Sous Traitant travaillerons dans une de mes mines de sel en guise d’indemnisation ».

Comme s’il ne suffisait pas d’avoir à supporter tous ces diplômés analphabètes, il faudrait maintenant leur offrir son sang et une rente à vie, à tous ce « preneurs de risques » et marteleurs de « le socialisme, c’est pour les fainéants ».

En réalité, et paradoxalement, si la situation de l’emploi n’était pas aussi difficile, ces charlatans disparaîtraient en l’espace de 15 jours, emportés par leurs propres flots boueux. J’écris « paradoxalement » car vous pensez sans doute que, pourtant, dans une telle situation, un certain écrémage se produit au niveau des acteurs économiques, et que seuls survivent les meilleurs. Si vous le pensez, c’est que vous êtes tombés dans le panneau du discours ambiant (ces « évidences » qui nous étouffent). Car j’ai bien pris soin d’écrire « situation de l’emploi » et pas « situation économique ». C’est la situation de l’emploi qui leur permet de manœuvrer à leur guise, de faire semblant de maîtriser une situation où c’est vous qui constituez en réalité la marge de leurs manœuvres.

Pour sûr, au temps de l’esclavagisme, il ne fallait pas sortir d’une école de commerce pour diriger une plantation de coton. A contrario, sortant d’une école de commerce, vous avez tout intérêt à militer pour le retour d’un certain esclavagisme car c’est en définitive votre seule véritable chance de diriger une plantation de coton.

Il y a donc une certaine logique dans le mouvement en cours : la situation de l’emploi, en offrant des marges de manœuvres exceptionnelles, facilite l’accession à ceux qui savent surtout manier deux leviers : 1) vous et votre emploi, 2) les réductions d’impôts et les aides de l’Etat (Ooops, encore vous).

Pourquoi s’en étonner ? Parce que tout leur discours et fébrilité cachent en réalité un je-m’en-foutisme total pour les soi-disant objets de leur culte : l’entreprise et l’économie. Ces pseudo capitaines d’entreprise se la jouent capitaines de navire et hurlent leurs directives à l’équipage angoissé tout en admirant leur propre reflet dans les vitres de la cabine de pilotage.

Bâbord toute, bande de crevards, vous n’avez quand même pas peur d’un ou deux icebergs ?
Allez, souquez ferme, gaillards, sinon ce sont les Chinois qui vous feront souquer dans du jus de soja bouillant.

La différence étant qu’ils seront les premiers à abandonner le pont sur l’unique embarcation de survie spécialement équipée et aménagée. Indifférents, parce qu’insensibles, aux glouglous derrière eux, ils ont déjà le regard rivé sur un autre navire de passage en clamant « m’est avis que vous auriez besoin d’un vrai capitaine pour votre rafiot ! Voici mon CV. » Ooooh, impressionnant. Montez donc à bord.

Comment de tels incompétents réussissent-ils à monter les échelons ? De la même manière qu’en politique. L’entreprise, comme le monde politique, sont deux domaines où ce n’est pas la compétence qui est récompensée, mais la soumission, la persévérance, l’entêtement et l’obsession. Surtout l’obsession. Pour simplifier, disons que n’importe quel imbécile peut grimper dans n’importe quel structure s’il y met suffisamment de détermination, si tout son être est arc-bouté vers cet objectif. S’il réussit à manier les outils de communication qui vont de pair, à brasser quelques concepts clés, à « parler le langage » de la structure (et à éviter trop d’erreurs au début) la partie est pour ainsi dire gagnée.

* * *

Un enfant (diplômé d’une école de commerce) barbote dans l’eau (L’économie).
Il est muni d’un ou deux brassards (la situation de l’emploi).
Il crie « M’man, ’ga’de, je nage ! ». (sa comm’)
Sa maman (les médias) répond « Oui, mon chéri, tu nages. ». (la propagande)

Mais plongez-les tout nus dans une situation comme celle de, disons, Cuba, avec une vraie crise provoquée par de vraies causes avec de véritables impacts et, à votre avis, qu’obtiendriez-vous ? La santé et l’éducation pour tous ? La sérénité sociale malgré (ou grâce à) un dénuement matériel (relatif) ?

Je tremble pour le peuple cubain à l’idée que cette catégorie de personnage puisse un jour accéder aux leviers du pouvoir là-bas. Mais il est toujours réconfortant de penser qu’il existe malgré tout, quelque part, un peuple suffisamment intelligent pour se doter de dirigeants à sa hauteur.

« Il y a un sacré paquet de connards à Cuba - comme partout. Mais la différence à Cuba, c’est qu’ils ne sont pas au pouvoir. » - Jose G. Perez

Allez, courage, peut-être qu’un jour nous y arriverons, nous aussi.

Viktor DEDAJ
qui fait dans le constat.

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