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11 commentaires

Les nationalistes corses sont-ils proches de l’extrême droite ?

D’abord, deux mots sur les récents événements d’Ajaccio. Les « Arabi Fora » et autres « Il faut les tuer » que l’on a pu entendre proférés par quelques militants hargneux – et que les nouveaux dirigeants ont condamnés – m’ont personnellement ramené à l’époque de mon adolescence, juste après les accords d’Evian mettant fin à la guerre d’Algérie. Des pieds-noirs arrivèrent alors en masse dans l’île de beauté, apportant dans leur bagage un ou deux employés algériens qui avaient bien voulu les accompagner. Ces nouveaux arrivants vivifièrent l’économie d’un département assoupi, dans le domaine agricole et le tourisme en particulier. Vouloir rejeter les enfants et petits-enfants de ces travailleurs qui changèrent le visage de la Corse signifie pour le moins ne pas avoir la reconnaissance du ventre. Ne pensons même pas à une mesure de réciprocité qui renverrait les dizaines de milliers de Corses, rapatriés d’office, travaillant sur le continent – dans la Fonction publique en particulier – vers leur île d’origine qui ne saurait que faire d’eux.

Dans les années 1980, à l’époque des « nuits bleues », quand le nationalisme explosif battait son plein, nous étions nombreux à nous demander où se situaient ces activistes sur l’échiquier politique. Les Talamoni et Simeoni de l’époque (le patriarcat politique est une culture peut-être plus vivace encore que sur le continent) cultivaient l’ambiguïté, laissant entendre qu’ils se trouvaient ailleurs. Ceux d’aujourd’hui ont décidé de conquérir le pouvoir par les urnes, et ils ont parfaitement réussi.

Les nouveaux dirigeants de l’île sont-ils d’extrême droite ? La question peut sembler paradoxale dans la mesure où le Front National a réalisé son score le plus faible, justement en Corse. Lisons leur programme. Ils prônent la “ corsisation ” des emplois. Il s’agit d’une préférence régionale, en totale contradiction avec les règles de la Fonction publique, visant à réserver les emplois en priorité aux Corses « de souche ». Ils souhaitent par ailleurs imposer un statut de résident aux continentaux qui seraient contraints d’habiter en permanence dans l’île. Ils justifient les violences passées, comme l’affaire de la cave d’Aléria. En 1975, une cave appartenant à un pied-noir avait été occupée par le médecin Edmond Simeoni et une cinquantaine d’activistes en armes. Le gouvernement français avait facilité l’installation d’anciens viticulteurs de la Mitidja dans des terres en friche, si bien que de nombreux Corses s’étaient sentis « colonisés ». Les responsables politiques de l’époque (Giscard, Chirac, Poniatowski, dont ils faudra bien un jour ou l’autre faire calmement le procès de la politique, celle du diminué mais si populaire Chirac en particulier) réagirent à cette occupation avec une violence hors de proportion. Les occupants refusant de se rendre, l’assaut fut donné. Deux gendarmes furent abattus. Simeoni fut condamné à cinq ans de prison, dont deux avec sursis. Assurément, les nationalistes corses défendaient leur bifteck, mais s’étaient-ils demandé ce qui aurait pu se passer si tous les Français défendant leurs intérêts avaient utilisé leurs méthodes ?

Les attentats à l’explosif se multiplièrent pendant deux décennies après cet épisode dramatique, jusqu’à l’assassinat – après plusieurs dizaines d’autres – du préfet Erignac en 1998. Ce crime déconsidéra la cause que les autonomistes prétendaient défendre. En 2003, 51% des Corses votèrent contre le projet de collectivité unique proposé par Sarkozy. Ce vote ric-rac, une participation très faible, montrèrent que les Corses étaient très divisés sur ces questions fondamentales.

En 2014, Gilles Simeoni, le fils du « héros » indépendantiste Edmond, emporta la mairie de Bastia avec l’appui de la gauche. Le FLNC déposa les armes.

Dans Le Monde du 27 juin 2015, la chercheuse (corse) Liza Terrazoni écrivait dans un article intitulé “ Racisme et colonialisme ” :

« Etre maghrébin en Corse – mieux vaudrait dire auprès de certains Corses – c’est être mis à l’écart par une série de dispositifs des plus violents (l’action physique ou la ratonnade ) aux plus symboliques (être désigné par des tags tels qu’Arabi fora. Rien de bien spécifique à la Corse diraient certains. »

« A cela près qu’ici ces dispositifs peuvent aller chercher leur justification dans la défense du « peuple corse »…Doit-on voir là le signe d’un racisme débridé… J’y vois pour ma part les symptômes d’un phénomène plus complexe, produit des dérives locales d’une manipulation politique dangereuse de l’idée de minorité et des « potentialités oppressives » contenues dans tout nationalisme… »

« Au centre de l’idéologie nationaliste corse il y a l’idée selon laquelle « le peuple corse » serait une minorité, un groupe opprimé culturellement, politiquement et économiquement par une majorité incarnée par l’Etat français…. On parle sérieusement de « substitution ethnique », de génocide méthodique mis en place par l’Etat français » dans le dessein de « faire disparaitre le peuple corse » ! Persécution contre les entreprises corses, aliénation de la terre, remplacement des fonctionnaires et des cadres corses par des continentaux, immigration d’étrangers et de continentaux sont dénoncés. »

De la « substitution ethnique » au « grand remplacement » de Renaud Camus il n’y a qu’un pas. Il est en tout cas un « remplacement » que le nouveau président de la région corse n’a pas hésité à franchir, c’est celui de la langue corse par la langue de la République française lors de son discours d’investiture. Le ministre (breton) Le Foll, porte parole du gouvernement, n’a rien trouvé à redire à cette initiative séditieuse et ô combien identitaire. Il estime peut-être que le nationalisme corse est génétiquement de gauche... On peut en douter lorsque l’on pense à certaines affirmations prononcées (en corse) par Talamoni en cette circonstance :

« Nous sommes arrivés ici avec tous ceux qui, comme nous, ont toujours combattu les autorités françaises sur la terre de Corse. Demain, nous obtiendrons l’amnistie des prisonniers [politiques] et des recherchés. Demain, les portes des prisons s’ouvriront car les Corses le veulent et que personne ne pourra s’opposer à cette volonté populaire. […] En votant pour les nationalistes, le peuple corse a dit que la Corse n’était pas un morceau d’un autre pays mais une nation, avec sa langue, sa culture, sa tradition politique, sa manière d’être au monde. »

Redisons le une fois encore : le capitalisme financier est hostile aux Etats, aux nations, à des républiques comme celle de la France. Il préfère les régions, les sociétés communautaires où les solidarités sont dissoutes dans des ensembles sans réelle signification, peu démocratiques, prêts à être dévorés par la mondialisation.

PS : face aux récents événements, la réaction des communistes corses m’a semblé frappé au coin du bon sens républicain :

"Le respect des lois de la République est un devoir pour tous. Une embuscade, visiblement préparée de longue main, pour agresser des pompiers dont l’unique mission est de porter secours à autrui, est un acte criminel. Il ne peut être que le fait d’une bande de voyous qui prétend interdire à quiconque l’accès à un territoire sur lequel elle voudrait exercer impunément ses activités délictueuses. L’indignation générale et la solidarité massive à l’égard des sauveteurs sont parfaitement légitimes.

Elles se sont exprimées avec toute la détermination nécessaire, dans le respect des principes et des lois de la République. Elles ne sauraient dégénérer en représailles antireligieuses et en manifestations racistes. Nul n’a le droit de confondre l’immense majorité des musulmans de Corse, qui ne pose aucun problème à personne, avec une poignée de voyous masqués qui s‘en est pris aux pompiers et aux forces de l’ordre.

Le respect des lois de la République est un devoir pour tous : ce principe vaut pour les agresseurs cagoulés comme pour les « vengeurs » instrumentalisés. C’est aux forces de l’ordre et à elles seules, qui revient de traquer les voyous et de les traduire devant les tribunaux. Le calme doit revenir. Tous, élus, pouvoirs publics et simples citoyens doivent retrouver le chemin d’un vivre ensemble qui tarira, à la source, le recrutement des bandes mafieuses."

PPS : à noter que, lors de la manif anti-arabe, il n’y avait que des hommes. Comme en Iran :

PPPS : ceci est mon 600ème article pour Le Grand Soir. Ça me fait quelque chose.

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COMMENTAIRES  

02/01/2016 07:18 par Calame Julia

... "Corses de souche"...
ce sera la première grande nouvelle de l’année 2016 ! qu’est-ce qu’on se marre !
Ils ne veulent plus être "le cadeau" ? Qu’il se trouvent donc une identité corse pour le XXIè siècle ... .-)

02/01/2016 10:45 par hf

le projet de déchéance pour les bi-nationaux va honteusement dans le même sens. Les sous-entendus qui permettent cette mesure ramènent à la méfiance de tout ce qui n’est pas intégralement, y compris dans l’ablation de toute ouverture, et limitativement hexagonal.
Il suffit là dessus de lire Barrès lorsqu’il s’en prend à Jaurès au moment de l’affaire Dreyfus.
Qu’il faille réprimer les assassins, tout le monde est d’accord mais pas en courant derrière des thèses qui ont fait la preuve de leur nocivité dans l’Histoire, simplement pour être en phase avec ce qu’on pense être l’opinion et grappiller quelques misérables petits points dans les sondages.

02/01/2016 12:49 par Dominique

Je suis allé 2 fois en Corse à la fin des années 70. Je n’étais qu’un gamin, mais je me rappelle très bien que deux choses ressortaient systématiquement dans toutes les discussions au sujet de la Corse, et ce même lors de discussions avec des français du continent établis en Corse :

1) La Corse est occupée militairement par l’état français. Pour preuve l’immense base de la Légion étrangère près de Bastia.

2) Les français du continent piquent toutes les bonnes places de travail et un jeune au bénéfice d’une bonne formation n’a pas d’autre chois s’il ne veut pas être chômeur que de s’exiler sur le continent.

Ces deux éléments revenaient de façon constante. Après c’est sur que déjà à l’époque ce mécontentement populaire était utilisé et manipulé par l’ensemble des factions politiques. Il y avait cependant une différence, c’est que la majorité des Corses rigolaient bien quand les indépendantistes faisaient sauter un hôtel d’une chaine continentale, alors que dans le pays basque à la même époque, la majorité des gens qualifiaient les indépendantistes violents de connards qui ne représentaient personne.

Quand à la situation d’aujourd’hui, il aurait été intéressant de savoir aussi ce qu’en pense les Corses de tous les jours.

02/01/2016 13:26 par Ange Lini

Très bel article pour votre 600 ème sur le site Mr Gensane. Ce sujet me touche particulièrement ...
Comment parler d’une culture qui oscille entre réussir l’exploit de réunir 500 ténors, barytons et autres basses en une seule vallée et le méfait d’accepter en son sein le meurtre (même entre ses enfants) comme moyen de coercition. Tel grand écart laisse en effet pantois ...
J’acquiesce à tout votre propos et je m’en apaise en écoutant les voix des premiers qui sont pour moi bien plus belles que le son des armes. Puisse tout le peuple Corse se rappeler de la même chose. Car mais le sait-il ... Il en serait bien plus fort sans "cela" ...

02/01/2016 18:13 par ozerfil

"Pas d’amalgames"...

Sauf en Corse, si je comprends bien !

02/01/2016 18:43 par Maxime Vivas

600 ? Oui, ça se fête. Mais tu n’es pas obligé d’envoyer 600 bouteilles de champ’, allons, allons.

02/01/2016 23:46 par Feufollet

600 textes, c’est beaucoup, merci
Je ne les ai pas tous lus, mais je ne doute pas de la qualité de la trempe
Quand on est tombé dedans en étant petit c’est plus facile
Quand aux corses, il ont donnés le nom à corsaires
Ou bien c’est l’inverse
Mais corsaires ils demeurent
Les corsaires, ils prennent mais ne donnent pas
Je crains beaucoup pour les corses qui ne sont pas corsaires
Ils auront encore beaucoup à souffrir
Avant de s’enfuir ou à persister à humaniser les corsaires

03/01/2016 01:06 par latitude zero

VAMOS ! Encore 400 pour arriver à 1000, ça lambine ça lambine !

03/01/2016 11:57 par Marc ARAKIOUZO

Malheureusement ce texte commence par une contre-vérité patente...
Pour booster l’économie locale et rurale de la CORSE, des terrains cultivables avaient été créés ex-nihilo et rendu accessibles. Hasard de l’histoire : la défaite humiliante subie par les colons français en Algérie rendait indispensable l’accueil de dizaines de milliers de pieds-noirs et de quelques milliers de harkis, ce qui n’était pas facile...
80% de ces nouvelles terres ont donc été attribuées à des pieds-noirs qui ne les ont pas payées, et 20% aux corses qui, eux, ont du les acheter...
A mon avis, cet épisode explique au moins l’ORIGINE du micro-nationalisme corse... Avec un peu plus de savoir-faire l’état français n’aurait donné que 40% de ces terres fertiles aux pieds-noirs et ça passait comme une lettre à la poste !

06/01/2016 20:53 par MLP

Monsieur Gensane, avant de faire l’amalgame entre les nationalistes et les petits fachos qui ont défilé le 25 décembre, qui ne se réclament pas du nationalisme politique et se disent apolitiques, apprenez l’histoire de la Corse (qui n’a pas commencé en 1769 lors de sa conquête militaire par la France).
La France serait donc une puissance coloniale sauf quand il s’agit de la Corse.
Si des milliers de Corse ont du s’exiler pour manger, ce n’est surtout pas à cause des lois scélérates du début du 20ème siècle qui ont détruit son économie (franchise douanière pour les importations en provenance de France et taxes douanières sur tout ce qui sortait.
La corsisation des emplois, c’est la priorité aux gens qui vivent ici (comme cela existe déjà dans les départements d’outre-mer sans que cela ne gêne personne), ceux que nous appelons la communauté de destin, il n’a jamais été question de "Corses de souche" (ça veut dire quoi au fait ?).
Le statut de résident, réservé aux gens qui vivent ici depuis plus d’un certain nombre d’année doit empêcher la spéculation immobilière. Eh oui, monsieur, les prolos qui vivent en Corse n’ont plus les moyens d’acheter un logement car tous les nantis et autre membre du showbiz d’Europe viennent pour le soleil et font grimper les prix.
Alors arrêtez la désinformation.
Beaucoup de corses comme moi ont été scandalisés par ces manifs de fachos, les élus nationalistes les premiers se sont élevés contre ce déferlement de racisme, mais comme d’habitude les médias français zooment sur les réacs. Tout est prétexte à nous cracher dessus car on a l’impudence de ne pas être français de souche et de le revendiquer.

10/01/2016 21:33 par passant

@MLP
vous voulez dire que se revendiquer "corse de souche " c’est mieux que se revendiquer "français de souche" ?
Mouais... L’essentiel c’est d’être "de souche" donc ? Comme argument qui autodétruit le reste du propos c’est difficile de faire mieux.
Mais les nationalistes ne sont pas d’extrême droite : ils sont contre "la colonisation de peuplement" pour la "maitrise des flux migratoires" et pour la "fiscalité adaptée" (surtout pour les riches).
Ils ne sont pas d’extrême droite, aussi vrai que Benito Mussolini n’était pas vraiment fasciste.

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