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Magistrats, solidarité ? Pas si simple !

La fronde de la magistrature est incontestablement un évènement fort intéressant et révélateur du degré de pourrissement de l’appareil d’État confronté aux exigences du Capital. Les « coupes sombres » ne touchent pas que les salariés de base, mais aussi les institutions qui constituent les piliers du pouvoir.

Cela dit, et même si, dans le cas d’espèce, les magistrats ont tout à fait raison de contester les propos irresponsables de ce qui nous sert de Président de la République, il serait imprudent de donner une importance démesurée à ce phénomène.

LA JUSTICE « SERVICE PUBLIC » ?

Voir dans l’institution judiciaire la garante de la démocratie, de l’équité, et pour tout dire de la Justice tient de l’aveuglement dont font généralement preuve les naïfs et autres « républicains poussiéreux ». L’institution judiciaire a, et pas seulement en France, une fonction précise qui est de permettre le fonctionnement du système en place, le système marchand, le système politique, économique et social fondé sur le salariat. Tout est fait dans et par la Loi pour en assurer la pérennité et seulement cela. En ce sens elle est une « justice de classe » même si l’expression est passée de mode. Même ce que l’on appelle la « paix publique » et la sécurité, ne sont que des adjuvants de l’objectif principal.

Le corps des magistrats est donc loin de représenter le fleuron d’une force contestataire, à fortiori subversive, pour le pouvoir sans parler de « révolutionnaire ». Dans son passé lointain, comme dans son histoire récente la magistrature n’a jamais brillé par son attitude… elle a toujours été, mis à part quelques cas d’exception, beaucoup plus couchée devant le Pouvoir que debout. Avant d’être un rempart contre l’Injustice, elle est surtout un rempart pour défendre le système dont elle est issue et qui est précisément fondé sur …l’injustice.

Les magistrats sont d’autre part, beaucoup plus prompts à remonter les chaînes de responsabilités dans les autres corps de métier - ce qui est tout à fait normal et logique - que dans leur propre corps - ce qui est nettement moins normal. Ils ne sont pas les seuls à avoir un « esprit de corps », mais dans leur situation particulière cela prend une dimension nouvelle. Faut-il citer des exemples : le cas, entre autres, de l’affaire d’Outreau, vite enterrée et à l’occasion de laquelle a joué à plein le réflexe corporatiste,… il est vrai habilement habillé d’un discours de circonstance peu convainquant pour le citoyen de base.

Ce « service public », beaucoup plus au service du Pouvoir que du Public, aujourd’hui, n’est pas épargné par la politique frénétique d’économie budgétaire du pouvoir en place. Suppressions de tribunaux, de postes, frappent les magistrats comme les enseignants les médecins, les infirmières, les enseignants,….Les conditions de travail, comme pour tous les autres fonctionnaires, sont en constante aggravation, de même que pour les usagers qui voient le traitement leurs affaires retardé et le nombre de kilomètres pour se rendre aux palais, augmenter.

La colère des magistrats est donc tout à fait légitime et rejoint celle des usagers.

LE PIEGE

Ce qui pouvait constituer une place stratégique privilégiée dans l’appareil d’État peut se retourner cependant comme un redoutable piège. C’est ce qui est entrain de se produire aujourd’hui.

Le manque de moyens manifeste, et consciencieusement organisé par le pouvoir, fait monter la pression chez les magistrats - surcharge de travail, impossibilité de suivre le rythme des affaires,… suicides. Avec en prime des déclarations imbéciles de ce qui nous sert de Président de la République… le « bouchon saute » et c’est la colère.

Le problème c’est que le corporatisme des magistrats - comment d’ailleurs dans tout corps professionnel - se retourne alors contre eux. Non pas sur des revendications proprement catégorielles, comme le revenu, mais sur leur manière de fonctionner. Et c’est là que le Pouvoir - alors qu’il n’avait rien dit sur le moment - nous ressort - en complément gratuit de l’ « affaire Laetitia » - l’ « affaire Outreau » pour illustrer le « mauvais » fonctionnement de la Justice. L’intérêt pour le pouvoir d’une telle opération c’est de mettre de son côté une opinion publique qui n’avait pas très bien compris - et pour cause - l’attitude du corps des magistrats à l’époque. Certes, une majorité de citoyens comprend - pour en souffrir - la critique de la magistrature de la réduction des moyens,… mais pour le reste elle est loin de refuser l’explication du pouvoir.

La manipulation par l’État de l’opinion publique, magistralement menée, ne peut que laisser des traces et diviser un mouvement de contestation globale. L’affaire est d’autant plus habilement menée que le Pouvoir sait que, par nature, le corps des magistrats est essentiellement conservateur et que les limites fatidiques ne seront pas franchies. Il suffit d’attendre que les choses entrent dans l’ordre.

DES MOYENS ET DES VALEURS

Qu’il y ait des magistrats qui défendent des valeurs d’équité, d’égalité, de liberté,… c’est sûr, il y en a. Qu’il y en ait qui soient contre les dérives sécuritaires,… il y en a incontestablement. Mais ne rêvons pas, ils ne sont pas représentatifs du corps de la magistrature qui nous l’avons vu est l’instrument de l’État, garant d’un système fondé essentiellement sur les inégalités, la propriété des moyens de production, l’accumulation du profit privé au détriment des producteurs,…bref sans le dire, la loi du plus fort… Combien de chefs d’entreprises délinquants et d’élus délinquants dans les prisons ? Comment sont traités les délinquants en cols blancs,… quand ils sont poursuivis ? Des noms ? Des exemples ?

A regarder de près, la Justice gère essentiellement la misère sociale, alcoolisme, délinquance, conflits sociaux, sans papiers, contestataires, violences directement liées à l’exclusion, au chômage, au racisme…Elle gère ces problèmes dans le sens, non de les dépasser, ce qui n’est d’ailleurs pas possible pour elle, mais de les contenir, les sanctionner, en punissant, enfermant,… Autrement dit, elle est le bras répressif d’un système qui a besoin de punir, casser, briser les plus marginalisés, voire les plus contestataires, pour se pérenniser.

La loi, faite par des individus qui ont tout intérêt à pérenniser le système dont ils profitent grassement, est la norme qu’elle doit faire respecter… Et c’est vrai qu’elle a de moins en moins de moyens pour cela… d’où la contestation des magistrats.

Mais où sont les valeurs dans tout ça ?

Dans son aveuglement, le Pouvoir imbécile actuel « scie la branche que laquelle il est assis ». Le cas des CRS est édifiant : réduction de moyens,… contestation,… recul du pouvoir,… moyens,… et aux prochaines manifestation nous aurons les CRS sur le dos… alors que nous avons les mêmes revendications qu’eux (emploi,…). Question : faut-il être solidaires des CRS ?… bonne question !

De même, si demain les magistrats obtiennent les moyens que, logiquement ils revendiquent, ils n’en continueront pas moins à expulser, à condamner,… à punir. Alors doit-on être simplement solidaires ? La réponse à cette question n’est pas aussi évidente qu’elle en a l’air.

La fronde, révolte, mauvaise humeur du corps des magistrats n’est pas à négliger,… cela fait partie de la décadence du système économique, politique et social dans lequel nous vivons. Tout ce qui peut l’affaiblir est à prendre, mais tout n’a pas la même valeur, la même charge politique, le même intérêt stratégique. Le terrain judiciaire n’est pas celui à partir duquel partira l’affrontement politique. La plupart des magistrats ne se battent pas pour un monde nouveau, mais pour pouvoir gérer le monde actuel.

Ils sont rares ceux qui revendiquent un monde de justice économique et sociale. Qu’ils soient des alliés dans nos combats, c’est certain, mais nous n’avons rien de positif à attendre du corps des magistrats en tant que tel.

Patrick MIGNARD

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