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Où en est le cinéma palestinien ?

image de "VIDÉOCARTOGRAPHIES : Aà DA, PALESTINE" de Till ROESKENS

Au cours des dernières décennies, le cinéma israélien a occulté le cinéma palestinien, au même rythme que les colonies juives empiétaient sur le territoire physique palestinien. On ne pouvait donc que se réjouir de voir, dans le cadre de la quinzaine du cinéma du Proche-Orient, aux 3 Luxembourg, 5 journées consacrées à Gaza, la Palestine, Jérusalem (même si cette dissociation pouvait déjà faire tiquer).

Mais la journée du 10 décembre, sur la Palestine, a illustré une tendance ( qui se traduit, sur le terrain, par le fait que, pour accéder à la Palestine, il faut d’abord passer par Israël), à filtrer les voix et images palestiniennes à travers le canal d’organisations juives (de même, le film Des hommes libres faisait passer l’idée que le seul héroïsme possible, pour un Arabe, c’est de sauver des Juifs).

La séance de 18 H incluait une série de courts-métrages chapeautés par une réalisatrice israélienne : sans aucun avis ni excuse, 2 courts palestiniens sur 3 ont été remplacés par des films israéliens qui donnent de la Palestine une vision de l’extérieur, conforme au discours habituel des médias, qu’on pensait pouvoir éviter dans le cadre de ce festival.

Le premier raconte une histoire pseudo-fantastique, plaquée sur un décor pseudo-palestinien, dont on ne saurait trop par quel bout le prendre pour en rendre compte. Le deuxième se passe dans le camp d’une de ces tribus bédouines qu’Israël contraint à la sédentarisation dans des conditions misérables : le seul problème évoqué est celui d’une fillette dont le père veut prendre une nouvelle épouse et qui ne supporte pas qu’il discute avec d’autres hommes, en dehors de toute présence féminine. Bien sûr, les premières images la montrent jouant au foot avec les garçons, et, avant d’entrer dans la tente aux palabres, elle prend soin d’enlever crânement son foulard. L’objectivité affichée dans le générique, qui donne le nom arabe et la définition de la tente aux palabres (comme pour un cours d’ethnologie), s’avère couvrir un clip propagandiste, où la démocratie directe bédouine, dont nous aurions beaucoup à apprendre, est condamnée pour machisme.

Des 2 courts-métrages palestiniens supprimés, je ne peux que transcrire les sujets. Le premier est Sense of morning, de Hamoud Maysaloun : " Pendant la dernière nuit du siège de Beyrouth, durant la guerre de 1982, un jeune poète palestinien cherche à atteindre la cuisine pour sacrifier à son rite matinal, café et cigarette" : on peut toujours essayer de s’en faire une idée, à partir du film d’Elia Suleiman, Chronique d’une disparition (1996) qui montre le héros en pyjama s’efforçant d’atteindre les toilettes, et se heurtant dans chaque pièce à des soldats israéliens dans des attitudes, et un armement, de ninjas. Le deuxième, de Eitan Sarid, est A trip to Jaffa : "Deux travailleurs palestiniens irréguliers dans la construction se trompent de route et se retrouvent, à Tel Aviv, plongés dans les profondeurs de la jungle urbaine". La caractéristique de ces films, comme de ceux de Ken Loach, est de traiter des problèmes pratiques de la vie quotidienne, ceux des films israéliens, de plaquer sur la situation réelle des schémas convenus et idéologiques.

Au cours de cette séance, on aura finalement vu un court métrage inspiré par cette vie quotidienne, A cup of coffee from Palestine, sur un homme qui gagne sa vie en vendant du café aux ouvriers ou lycéennes palestiniens, quotidiennement bloqués pendant des heures aux check-points - et, ce, à la faveur d’un problème technique survenu sur un film consacré à l’ouverture d’une boutique casher ! Ce pot-pourri improvisé était le prix à payer pour deux moments lumineux : une interview du grand cinéaste mondial (et pas seulement palestinien) Elia Suleiman, et un film d’un jeune cinéaste allemand d’origine polonaise, installé à Marseille.

Le Cinéma d’Elia Suleiman, de Laurent Billard (2006) pourrait reprendre le titre d’un autre documentaire du même auteur : Le Rire contre les larmes : Suleiman refuse de s’apitoyer, dans son cinéma (ainsi dans Intervention divine, 2002) comme dans la vie : pour entrer, avec le cinéaste, dans Ramallah, il doit faire un détour de 2 heures, son passeport israélien lui en interdisant l’accès. Une fois à Ramallah, il nous fait visiter la cinémathèque centre culturel, prise d’assaut, en 2002, et vandalisée, par les Israéliens qui, avant de la quitter, déféquèrent partout : "Il faut sans doute prendre cela pour une métaphore", conclut-il en souriant.

Le film de Till Roeskens, Vidéocartographies : Aïda, Palestine (2009) s’avère être un bijou, dont la poésie formelle rend d’autant plus poignante la dénonciation. "Ce ne sont que des lignes", dit-il lors de la présentation, "mais les lignes, c’est intéressant, elles peuvent se rejoindre, ou séparer". Ce sont 6 courts documentaires, dont chacun donne la parole à un habitant du camp de Aïda, près de Bethléem : on entend la voix en off, tandis que, sur la page blanche de l’écran, on voit se dessiner des maisons ou des chemins. C’est tantôt le plan du camp, d’abord tente par tente, puis maison par maison : l’espace d’abord vide est bientôt saturé, tous les arbres disparaissant, tandis que la voix parle des difficultés de survivre là , et des 61 membres de sa famille tués par les Israéliens.

Tantôt, le feutre invisible, mais qu’on entend crisser, dessine des itinéraires de sortie du camp, de plus en plus longs, compliqués, hasardeux, à mesure que les Israéliens multiplient les check-points et dispositifs de sécurité divers, le tout à l’ombre du sinistre Mur (platoniquement condamné par le Tribunal international). Tantôt, une femme parle de sa vie dans une grande maison, près du tombeau de Rachel, où elle vendait des souvenirs aux touristes : les traits se multiplient autour de la maison, représentant les constructions des Israéliens destinées à accueillir et assurer la sécurité des touristes juifs : à la fin, la maison est emmurée sur trois côtés, et avec elle ses habitants, privés de gagne-pain, de lumière et de tout contact humain.

Ces lignes prolifèrent, dans chaque petit film, de façon apparemment démentielle, mais on se rend compte que ce quadrillage de l’espace obéit à un plan diaboliquement rationnel, celui de noyauter et bétonner tout le territoire palestinien de façon à rendre la vie invivable au quotidien et proprement irrespirable : le moindre déplacement implique des itinéraires labyrinthiques qui prennent une demi-journée pour faire un trajet normal d’une demi-heure en voiture : pour commencer leur journée de travail à 7 ou 8 h, les Palestiniens doivent se lever à 3 heures du matin, en espérant qu’une saute d’humeur des soldats ne remettra pas en cause toute cette journée. Cette géographie de l’enfermement finit par donner même au spectateur confortablement installé une sensation d’asphyxie : ces petites lignes qui avancent inexorablement représentent la guerre bureaucratique qu’un des Etats les plus puissants du monde mène, depuis des décennies, appuyé sur des bataillons de bulldozers (en temps de paix) contre un peuple qui ne peut lui opposer que sa volonté de survivre, - et la beauté.

Car lorsqu’on comparait, au cours de cette séance, les films palestiniens ou inspirés par la tragédie palestinienne aux films israéliens, il était évident que la beauté était du côté palestinien, comme lorsque Jean Genet, après les massacres de Sabra et Chatila (camps de réfugiés palestiniens aux portes de Beyrouth, occupée par l’armée israélienne), en septembre 1982, écrivait, dans la puanteur des corps torturés en décomposition : "Il faudrait peut-être reconnaître que les révolutions ou les libérations se donnent -obscurément- pour fin de trouver ou retrouver la beauté, c’est-à -dire l’impalpable, innommable autrement que par ce vocable". (extrait de Quatre heures à Chatila, 1983).

Rosa Llorens

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