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Pourquoi Israël ment (Truth Dig)

Tous les gouvernements mentent, comme le faisait remarquer IF Stone, y compris Israël et le Hamas. Mais Israël profère ces mensonges à couper le souffle qui caractérisent les régimes despotiques et totalitaires. Il ne déforme pas la vérité ; il la retourne. Il brosse régulièrement un tableau destiné au monde extérieur qui est diamétralement opposé à la réalité. Et nous tous, journalistes qui avons couvert les territoires occupés connaissons ces narratives israéliennes sorties d’Alice au pays des merveilles, et que nous insérons consciencieusement dans nos articles – chose requise en vertu des règles du journalisme américain, même si nous savons qu’elles sont fausses.

J’ai vu des petits garçons appâtés et tués par des soldats israéliens dans le camp de réfugiés de Khan Younis à Gaza. Les soldats ont insulté les garçons en arabe par des haut-parleurs de leur jeep blindée. Les garçons, âgés d’environ 10 ans, ont ensuite jeté des pierres sur un véhicule israélien et les soldats ont ouvert le feu, tuant quelques-uns, en blessant plusieurs autres. J’étais présent plus d’une fois lorsque les troupes israéliennes ont tiré et tué des enfants palestiniens de cette façon. Ces incidents, dans le largon israélien, deviennent des enfants « pris entre deux feux ». J’étais dans la bande de Gaza lorsque des avions de combat F-16 ont largué des bombes à fragmentation de 500 kg sur des taudis surpeuplés dans la ville de Gaza. J’ai vu les cadavres des victimes, y compris les enfants. Cela s’est transformé en une «  frappe chirurgicale sur une usine de fabrication de bombes ». J’ai regardé Israël démolir des maisons et des immeubles entiers pour créer de larges zones tampons entre les Palestiniens et les troupes israéliennes qui entourent la bande de Gaza. J’ai interrogé les familles démunies et sans-abri, certaines campaient dans des abris de fortune érigés au milieu des décombres. La destruction devient « la démolition des maisons des terroristes ». J’ai foulé les ruines d’écoles - Israël a frappé deux écoles des Nations Unies au cours des six derniers jours, faisant au moins 10 morts dans une école à Rafah le dimanche et au moins 19 dans le camp de réfugiés de Jebaliya mercredi - ainsi que des ruines de cliniques et de mosquées. J’ai entendu Israël prétendre que des roquettes perdues ou des tirs de mortier des Palestiniens avaient provoqué ces décès et d’autres, ou que les points attaqués avaient été utilisés comme des dépôts d’armes ou des sites de lancement. Moi, comme tous les autres journalistes que je connais qui ont travaillé dans la bande de Gaza, je n’ai jamais vu la moindre preuve que le Hamas utilise les civils comme « boucliers humains ».

Il y a une logique perverse dans le recours incessant par Israël au Grand Mensonge - Große Lüge - le mensonge favori des tyrans d’Adolf Hitler et Joseph Staline à Saddam Hussein. Le Grand Mensonge alimente les deux réactions qu’Israël cherche à susciter - le racisme parmi ses partisans et la terreur parmi ses victimes.

En brossant le tableau d’une armée qui ne s’attaque jamais à des civils, qui fait tout son possible pour les protéger, le Grand Mensonge dit que les Israéliens sont civilisés et humains, et que leurs adversaires palestiniens sont des monstres inhumains. Le Grand Mensonge sert l’idée que le massacre à Gaza est un choc des civilisations, une guerre entre la démocratie, la décence et l’honneur d’un côté et la barbarie islamique de l’autre. Et dans les rares cas où les nouvelles des atrocités atteignent le grand public, Israël rejette les destructions et les morts sur le Hamas.

George Orwell dans son roman « 1984 » a qualifié cette forme de propagande de double-pensée. La double-pensée emploie « la logique contre la logique » et « rejette la morale tout en s’en réclamant ». Le Grand Mensonge n’autorise ni les nuances ni les contradictions qui peuvent empoisonner la conscience. C’est une réponse orchestrée par l’État au dilemme de la dissonance cognitive. Le Grand Mensonge ne connaît pas de zones grises. Le monde est en noir et blanc, le bien et le mal, le juste et l’injuste. Le Grand Mensonge permet aux croyants de se consoler - un confort qu’ils cherchent désespérément dans leur propre supériorité morale au moment même où ils ont abandonné toute morale.

Le Grand Mensonge, comme l’a écrit le père des relations publiques américaines, Edward Bernays, n’est limité que par la capacité du propagandiste à comprendre et exploiter les courants sous-jacents de la psychologie individuelle et de masse. Et puisque la plupart des partisans d’Israël n’ont aucun désir de connaître la vérité, une vérité qui les obligerait à examiner leur propre racisme et auto-illusion sur la supériorité morale sioniste et occidentale, tels une meute de chiens affamés ils se jettent sur les mensonges offerts par le gouvernement israélien. Le Grand Mensonge trouve toujours un terrain fertile dans ce que Bernays a appelé le « compartiment de l’adhésion dogmatique à l’épreuve de toute logique. » Toute propagande efficace, a écrit Bernays, cible et s’appuie sur ces « habitudes psychologiques » irrationnelles.

C’est le monde que Franz Kafka envisageait, un monde où l’irrationnel devient rationnel. Un monde où, comme Gustave Le Bon l’a relevé dans (son livre) « La psychologie des foules », ceux qui fournissent aux masses les illusions dont elles rêvent deviennent leurs maîtres, et « celui qui tente de détruire leurs illusions est toujours leur victime ». Cette irrationalité explique la violence de la réaction des supporters d’Israël envers ceux qui ont le courage de dire la vérité - Uri Avnery, Max Blumenthal, Noam Chomsky, Jonathan Cook, Norman Finkelstein, Amira Hass, Gideon Levy, Ilan Pappé, Henry Siegman et Philip Weiss. Le fait que tant de voix soient juives, et ont donc plus de crédibilité que les non-juifs parmi les pom-pom girls d’Israël, renforce encore le niveau de haine.

Mais le Grand Mensonge est aussi consciemment conçu pour envoyer un message dissuasif aux Palestiniens de Gaza, qui ont perdu un grand nombre de leurs habitations, cliniques, mosquées, et installations d’énergie, d’eau et d’assainissement, ainsi que des écoles et des hôpitaux, et qui ont subi 1650 morts depuis le début de cet assaut, la plupart des des femmes et des enfants, et qui ont vu 400 000 personnes déplacées de leurs foyers. Le Grand Mensonge dit clairement aux Palestiniens qu’Israël continuera à mener une campagne de terreur d’Etat et n’admettra jamais ses atrocités ni ses objectifs. La grande disparité entre ce qu’Israël dit et ce qu’Israël fait dit aux Palestiniens qu’il n’y a pas d’espoir. Israël va faire et dire ce qu’il veut. Le droit international, comme la vérité, seront toujours ignorés. Les Palestiniens comprennent par le Grand Mensonge que les dirigeants israéliens ne reconnaîtront jamais la réalité.

Le site internet des Forces de Défense d’Israël est rempli de propagande. « Le Hamas exploite la sensibilité de l’IDF qui tente de protéger les structures civiles, en particulier les lieux saints, en cachant les centres de commandement, des caches d’armes et l’entrée des tunnels dans les mosquées », peut-on lire sur le site de Tsahal. «  Dans le monde du Hamas, les hôpitaux sont des centres de commandement, les ambulances sont des véhicules de transport, et des médecins sont des boucliers humains », insiste le site.

« .. Les officiers [israéliens] sont chargés d’une énorme responsabilité : protéger les civils palestiniens sur le terrain, peu importe les difficultés rencontrées », assure le site à ses visiteurs. Et le site de Tsahal fournit cette citation d’un opérateur de drone identifié comme le lieutenant Or. « J’ai personnellement vu des roquettes tirées sur Israël à partir d’hôpitaux et d’écoles, mais nous ne pouvions pas riposter parce qu’il y avait des civils à proximité. Dans un cas, nous avions repéré une cible, mais nous avons vu qu’il y avait des enfants à proximité. Nous avons attendu, et quand nous avons vu qu’ils ne partaient pas, nous avons du interrompre la frappe sur une cible importante. »

L’ambassadeur d’Israël aux Etats-Unis, Ron Dermer, dans un Grand Mensonge individuel, a déclaré le mois dernier lors d’une conférence de Chrétiens Unis pour Israël que l’armée israélienne devrait recevoir le « Prix Nobel de la paix ... un prix Nobel de la paix pour avoir fait preuve d’une retenue inimaginable ».

Le Grand Mensonge détruit toute possibilité d’histoire et donc d’espoir d’un dialogue entre les parties antagonistes qui serait basé sur la vérité et la réalité. Alors que, comme Hannah Arendt l’a souligné, les sophistes anciens et modernes cherchaient à remporter un argument au détriment de la vérité, ceux qui brandissent le Grand Mensonge « veulent une victoire plus durable au détriment de la réalité ». Les anciens sophistes, dit-elle, « ont détruit la dignité de la pensée humaine ». Ceux qui ont recours au Grand Mensonge « détruisent la dignité de l’action humaine ». Le résultat, a mis en garde Arendt, est que « l’histoire elle-même est détruite ainsi que son intelligibilité ». Et lorsque les faits n’importent plus, lorsqu’il n’y a pas d’histoire commune fondée sur la vérité, lorsque les gens croient bêtement à leurs propres mensonges, il ne peut y avoir d’échange d’information utile. Le Grand Mensonge, employé par Israël comme une matraque, réduit tous les problèmes du monde à une expression brutale de violence – ce qui était peut-être son objectif initial. Et quand les gens opprimés ne sont interpellés qu’avec la violence, ils ne répondent que par la violence.

Chris Hedges

Traduction "un point commun de plus avec la classe politique US" par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles.

 http://www.truthdig.com/report/page2/why_israel_lies_20140803
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COMMENTAIRES  

05/08/2014 20:22 par Antonio

Et puisque la plupart des partisans d’Israël n’ont aucun désir de connaître la vérité, une vérité qui les obligerait à examiner leur propre racisme et auto-illusion sur la supériorité morale sioniste et occidentale, tels une meute de chiens affamés ils se jettent sur les mensonges offerts par le gouvernement israélien.

Ceci explique pourquoi il n’y a aucun débat argumenté possible avec les partisans d’Israël. Et aucune négociation !... Ce qui signifie que la solution ne peut qu’être imposée par la force !
Excellent article !

05/08/2014 20:37 par Antonio

Comment ne pas penser à la fameuse réflexion de Malcom X :
"Si vous n’y prenez pas garde, les journaux finiront par vous faire haïr les opprimés et adorer les oppresseurs."

Et c’est bien de haine dont il s’agit même quand elle se déguise en indifférence pour le sort, en l’occurrence, des Palestiniens.

06/08/2014 00:13 par ISABELLE

que pouvons-nous faire ? Pour faire agir nos politiques devant tant de mauvaise foi, de sauvagerie. Pour que ces pauvres palestiniens aient enfin un état..

je fais le boycot, je suis prête à manifester autant de fois qu’il le faudra.

06/08/2014 01:33 par Leo Lerouge

Tsahal, Tsahal, pourquoi donc le GS s’obstine-t-il à appeler l’armée israélienne par le diminutif affectueux et retors que lui donne la hasbara pour glorifier "l’armée la plus morale du monde" et, par là-même, masquer et cautionner ses crimes ?
D’autant que Hedges ne l’appelle pas comme cela. Hedges parle, à juste titre, des "Forces de Défense d’Israël" (IDF, pour les intimes, et pour faire court).
Pourquoi ne pas appeler Netanyahou "Bibi", puisqu’on y est ?
Appelait-on Hitler "Adolf", voire "Adolfounet", et son armée la "Wunderwaffe" ?

A part ça, merci pour (le reste de) la traduction, toujours impeccable.

Et pour compléter modestement le sujet de l’article (très intéressant) : si la propagande israélienne fonctionne si bien, c’est qu’elle est relayée par les médias les plus puissants et ratisse large.
Ainsi, Google, comme l’écrit le Guardian dans l’article : "Google supprime son jeu vidéo "Bomb Gaza" de ses applis pour mobiles".
Résumé : Le 29 juillet dernier, était publié un jeu d’Androïd sur Google Play où les participants étaient appelés à jouer à l’armée israélienne et à bombarder Gaza.
Ce jeu, intitulé "Bomb Gaza" s’inspire de l’offensive qui a lieu actuellement et où plus de 1800 Palestiniens ont été tués.
Destiné aux smartphones et tablettes Android, le jeu, qui avait été téléchargé plus de 1000 fois depuis sa parution, proposait aux joueurs de "lâcher des bombes sur Gaza en évitant de tuer des civils".
N’ayant pas de mention spéciale bien contraignante concernant l’âge des joueurs, ce jeu était, donc, recommandé même aux jeunes joueurs.
Il était supprimé lundi 4 aout de la plateforme de téléchargement d’applications de Google à la suite des commentaires indignés de très nombreux clients Google.
Mais d’autres jeux similaires perdurent.
Google est ton ami.

Autre point :
Et en même temps que les personnes citées dans l’article, comme Max Blumenthal, Noam Chomsky ou Jonathan Cook, d’autres tentent courageusement de contrer la propagande et de rétablir la vérité, comme les journalistes du site The Real News.
Ici, un reportage (eng) sur le camp nationaliste israélien en faveur de la guerre (à noter que 86 % des Israéliens se sont déclarés dernièrement contre un cessez-le feu).
Inside Israel’s Pro-War Nationalist Camp

06/08/2014 07:25 par legrandsoir

Tsahal, Tsahal, pourquoi donc le GS s’obstine-t-il à appeler l’armée israélienne par le diminutif affectueux ...

Justement, associer le nom "Tsahal" à ce que fait cette armée a un effet contraire à celui voulu par les Israéliens.
Le pire est "Forces de Défense d’Israël" (IDF) alors qu’il s’agit de forces d’attaque.

06/08/2014 04:05 par Le fou d'ubu

Article courageux et magnifique de lucidité ... Et comme l’ancien testament est géniteur du grand mensonge, ce n’est pas gagné pour ces malheureux palestiniens ... Il n’y a plus que le diable pour leur venir en aide je crois. Parce que dieu a changé d’avis et depuis 7O ans ... il préfère goliath ...

06/08/2014 09:20 par mandrin

Une bonne initiative serais d’interdire a tout ressortissant Israélien l’entrée dans les pays qui dénonce et s’oppose a cette engeance de destruction et de haine.

A commencer par les sois disant soldat qui après leur crime prennent un billet d’avion pour Bali, Benares...etc histoire de prendre du bon temps et tout autant pour cette population qui approuve et savoure les exploits de leur armée Saale de crasseux !

06/08/2014 09:58 par Leo Lerouge

@ GS
Ouais bof, pas convaincant. Si IDF dérange, appeler l’armée israélienne IAF, alors, mais pas par le diminutif familier que lui donnent ses supporters.
En général, les armées se disent "de défense". Nous avons un ministre et un ministère de la "Défense". Aux US, c’est aussi un Secrétaire à la Défense, qui dirige le Department of Defence" (DoD). En GB, c’est également le "Ministry of Defence", pour ne citer que ces trois armées coloniales qui sont depuis toujours dans tous les mauvais coups sur la planète entière.
On sait très bien ce que ce mot veut dire.
Pourquoi, une fois de plus, faire une exception avec Israël, voulue par la propagande culpabilisante bien huilée ?
Comme pour "antisémitisme" et "holocauste" ou "Shoah", quand on parle pour le reste du monde de racisme et de génocide ?
Les mots ne sont pas anodins. Ce sont eux qui imprègnent les esprits.

06/08/2014 10:53 par Esteban

L’article est brillant, mais encore un, Chris Edges, qui en glisse une, en passant, sur Staline, en oubliant de s’appliquer ce qu’il dénonce, à juste titre, dans son 6è paragraphe :

"Le Grand Mensonge, comme l’a écrit le père des relations publiques américaines, Edward Bernays, n’est limité que par la capacité du propagandiste à comprendre et exploiter les courants sous-jacents de la psychologie individuelle et de masse. Et puisque la plupart des partisans d’Israël n’ont aucun désir de connaître la vérité, une vérité qui les obligerait à examiner leur propre racisme et auto-illusion sur la supériorité morale sioniste et occidentale, tels une meute de chiens affamés ils se jettent sur les mensonges offerts par le gouvernement israélien. Le Grand Mensonge trouve toujours un terrain fertile dans ce que Bernays a appelé le « compartiment de l’adhésion dogmatique à l’épreuve de toute logique. » Toute propagande efficace, a écrit Bernays, cible et s’appuie sur ces « habitudes psychologiques » irrationnelles."

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