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Quand la police veut faire la loi

Le processus de transition autoritaire, à l’oeuvre en France, affiche chaque jour davantage l’évidence de sa sombre réalité. Celle-ci vient de prendre un tour des plus dangereux : la contestation ouverte d’une décision de justice par la hiérarchie de la police et par le ministre de l’Intérieur lui-même. Le politique semble ainsi ne plus se contenter d’entraver en amont « la marche de la justice » mais s’autoriserait désormais, en aval des jugements rendus, à jeter le discrédit sur des magistrats accusés de préférer la fidélité à leurs convictions politiques plutôt que l’application « raisonnable » de la loi. Nous ne sommes plus dès lors dans la simple transgression - consommée depuis longtemps - du principe de la séparation des pouvoirs chère à Montesquieu. Nous sommes entrés dans l’ère de l’intimidation publique de la Justice et du soutien inconditionnel accordé à la Police. Notre pays sort définitivement de la démocratie pour un ailleurs qu’il est permis de prédire funeste.

Rendez-vous compte : le tribunal de Bobigny a osé condamné à des peines de prison ferme sept policiers s’étant rendus coupables de pratiques fort peu conformes au code de déontologie de leur profession. Le tohu-bohu déclenché par ce jugement ne concerne pas la culpabilité des « représentants de l’ordre » qui ne fait pas de doute mais en ceci : l’ampleur des peines prononcées devrait entraîner la radiation des fonctionnaires incriminés. Pourtant, le magistrat n’a en rien outrepassé ses prérogatives puisqu’il est resté dans les limites des peines encourues en pareille affaire. Une peine de six à douze mois de prison, pour des policiers qui, en produisant de manière délibérée et concertée un faux témoignage sur un accident causé en réalité par un des leurs, ont fait accuser un innocent et lui ont fait encourir la prison - ferme - à perpétuité avec, au passage, un tabassage en règle pendant la garde à vue. Quelques mois de prison pour avoir tenté de faire emprisonner à vie un innocent : nous sommes loin de la peine maximale prévue par la loi pour un « faux en écriture publique commis par une personne dépositaire de l’autorité agissant dans l’exercice de ses fonctions », à savoir quinze ans de réclusion criminelle et 225 000 € d’amende.

Le juge a peut-être été cependant agacé par la manifestation, durant trois heures devant le tribunal le jour de l’audience, de deux cents collègues des prévenus. On ne saurait tout de même reprocher au juge de ne pas considérer ce soutien maladroit, bruyant et autorisé ( !) d’une partie de la profession se sentant attaquée comme une circonstance atténuante susceptible de profiter aux coupables. Sitôt prononcé, le jugement déclencha l’ire de plusieurs syndicats de policiers. Et du ministre de l’Intérieur qui parla « de sanctions disproportionnées ». On parla abondamment « des juges beaucoup trop complaisants à l’égard des délinquants » comme pour justifier que la police, énervée par ce laxisme supposé, se laisse aller à des dérapages finalement bien excusables. Le ministre de la Justice tarda à apporter un démenti à cette suspicion des plus populistes si conforme à l’air du temps. On accusa le magistrat de Bobigny d’avoir rendu « un jugement politique au mépris de la nécessaire efficacité sociale des décisions de justice ». Enfin, on oublia superbement que depuis une petite dizaine d’années le contexte politique - justement - est au durcissement conjoint de la Justice et de la Police faisant entrer notre pays dans une transition autoritaire liberticide.

Parlons donc un peu de l’efficacité sociale des sanctions. Cette question est, n’en déplaise à certains syndicalistes de la police, éminemment politique. L’instauration des « peines planchers » est un impératif ordonné au juge de condamner systématiquement à une peine d’emprisonnement tout délinquant et empêche d’envisager de possibles alternatives à la prison. C’est peut-être pour épargner aux juges la recherche individuelle de solutions adaptées que l’on durcit et uniformise le code pénal. L’arsenal des peines de substitutions tels les travaux d’intérêt général, est si dérisoire qu’il est sans doute préférable de réduire à l’extrême le nombre des éventuels bénéficiaires. Les trois-quarts des détenus n’ont rien à faire en prison, du moins dans sa conception inamovible depuis plusieurs siècles en France. Des rapports internationaux stigmatisent régulièrement le lamentable état de nos prisons desquelles le moindre des petits délinquants risque de ne pas sortir indemne. Alors, qui fait de la mauvaise politique ? Qui n’est pas efficace socialement ? Les juges qui punissent des policiers devenus criminels ou les artisans d’un ordre pénal aveugle aux souffrances d’une société fracturée ?

Nous sommes ici désormais : Brice Hortefeux s’est rendu complice d’un crime en témoignant du haut de sa fonction son soutien indéfectible aux sept policiers condamnés. En déclarant que ce sont « les délinquants qu’il faut poursuivre et non les policiers » il place ces derniers au-dessus de la loi et considère qu’ils ne sauraient être des délinquants. Cela revient à dire que la police peut aujourd’hui faire la loi. Pourtant, il ne faut pas se tromper de cible : c’est la France qui est malade et non son seul ministre de l’Intérieur. Ainsi, plusieurs dignitaires du Parti Socialiste ont dit comprendre les policiers dans cette affaire. Et que dire de l’opinion publique…

Populisme, quand tu nous tient !

Yann Fiévet

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