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Pouvoir, propriété, souveraineté, ces concepts n’ont pas été au cœur des « Nuits debout »

Touche Pa…nama mondialisation

Son canal. Ses chapeaux. Et maintenant son havre fiscal. Le petit Etat centre-américain du Panama a focalisé une extraordinaire attention médiatique quand fut révélée l’ampleur de la bienveillance financière organisée par un cabinet établi sous ses cieux. « Pro mundi beneficio » (« pour le bénéfice du monde »), comme l’affirme fièrement la devise centenaire du pays ? Plutôt pour le plus grand bonheur des fortunes mondialement baladeuses.

Certains – non sans quelque bon sens – ont noté que l’origine des révélations était inconnue, et qu’on ne s’était guère interrogé sur l’identité et les objectifs de la si discrète « gorge profonde ».

Pourtant, là n’est pas l’essentiel. Il faut plutôt regretter que, comme souvent, le couple médiatique investigation/indignation soit en passe d’obscurcir le nécessaire diptyque analyse/compréhension. Il en va souvent ainsi quand on confond, hélas, morale et économie politique. Car l’évasion fiscale, aux lisières du légal et de l’illégal, n’est que la minuscule partie émergée d’un immense iceberg non seulement licite, mais qui fonde même l’actuelle économie mondiale.

Ainsi, le consensus dominant est prompt à jeter l’opprobre sur les discrètes fortunes qui se déplacent pour trouver les conditions fiscales les plus indulgentes ; mais il ne trouve guère à redire quand une multinationale ferme ici une usine dont le « coût de la main d’œuvre » est jugé excessif, pour la délocaliser là où les salaires, les cotisations, ou les taxes apparaissent plus « compétitifs ». Ces « investissements » et « désinvestissements » sont en réalité inhérents au système en place. Moyennant des milliers d’emplois rayés d’un trait de plume. Cela porte un nom : la liberté de circulation des capitaux (en vue de la rentabilité maximum de ceux-ci).

Cette liberté de circulation constitue l’essence même de la mondialisation ; c’est aussi et logiquement le fondement de l’Union européenne, explicitement affirmé dès le traité de Rome. Dans cette perspective, on comprend mieux l’intérêt que la classe politico-médiatique entend tirer de l’indignation que suscitent les révélations : stigmatiser les « abus » vise en réalité à innocenter le système lui-même ; vilipender les « dérives » justifie les plaidoyers en faveur de « régulations » – et évite donc de mettre en cause sa nature. Ainsi artificiellement séparée des « mauvaises pratiques », la mondialisation sort blanchie – si l’on ose dire – des accusations ontologiques qu’on est fondé à porter contre elle.

Cette entourloupe vaut dans d’autres domaines, comme par exemple la libre circulation de la main d’œuvre au sein de l’UE : le « détachement » de travailleurs (l’importation et l’embauche de salariés « à bas coûts ») donne lieu à des « fraudes » dénoncées à grand bruit par le gouvernement français, qui exige que l’Europe autorise plus de « contrôles » ; mais ces gesticulations permettent de continuer à légitimer le principe du détachement comme une des pierres angulaires du marché unique européen.

Certes, la fraude fiscale existe depuis des lustres. Mais la libre circulation des capitaux a provoqué le remplacement du petit artisanat – les valises qui traversent discrètement les frontières pour être délicatement placées dans un coffre helvète – par une industrie structurante.

La liberté de circulation a été établie par des décisions politiques concertées au sein des « élites mondialisées », et juridiquement imposée en Europe par l’UE. Elle peut donc être défaite par des décisions politiques inverses. Mais un tel renversement ne peut être imposé qu’au niveau de chaque Etat, et pour peu que ledit Etat s’appuie sur une volonté populaire qui lui apporte force et légitimité – cela s’appelle la souveraineté.

Pouvoir, propriété, souveraineté – c’est un euphémisme de noter que ces concepts n’ont pas été au cœur des « Nuits debout » qui ont éclos au mois d’avril. Certes, ces dernières traduisent sans doute la recherche, par une partie des participants, d’issues et de perspectives que les partis établis sont incapables de proposer, faute de remettre en cause les fondamentaux du système. Mais l’appel à « faire de la politique autrement », voire à « vivre autrement » (cultiver ses salades bios et adopter des poules pour éliminer une partie des déchets ménagers...) laisse désespérément de côté l’essentiel. Et conduit donc à une impasse aussi brutale qu’inéluctable.

Pour le plus grand bénéfice de la mondialisation, diraient nos amis panaméens.

Pierre LEVY

Éditorial paru dans l’édition du 26/04/16 du mensuel Ruptures
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