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A l’occasion du sixième anniversaire de la détention d’Ali Aarrass

Intervention de Luk Vervaet à la Table ronde sur "La double nationalité en Belgique au regard du droit international et des droits de l’Homme", Espace Magh Bruxelles, le vendredi 28 mars 2014

Le 1er avril est le sixième anniversaire de la mise en détention d’Ali Aarrass. Une campagne pour sa libération s’est développée depuis cinq ans grâce à l’engagement de centaines d’activistes. Dans cette campagne, saluons le combat acharné des avocats et des organisations des droits de l’homme, qui veillent sur nos libertés et nos droits. Mais le travail des anges ne suffit pas. Si c’était le cas, Ali serait libre depuis longtemps.

« Politics trumps the law »

Il y a quelques semaines, lors d’une tournée organisée par le London Guantanamo Campaign, j’ai rencontré Denis Edney, l’avocat canadien d’Omar Kadr. Omar Kadr, Canadien capturé par les Américains en Afghanistan, a été enfermé à la prison hors-la-loi de Guantanamo à l’âge de15 ans. Il y était le plus jeune des détenus. Il a aujourd’hui 27 ans. En 2010, ce jeune homme, qui a toujours clamé son innocence, a été contraint de plaider coupable pour pouvoir sortir de Guantanamo et être extradé au Canada (2). Son avocat Dennis Edney est parmi les avocats des plus respectés au Canada. Aujourd’hui, il fait le tour du monde pour témoigner contre la torture, pour la défense de l’état de droit et des conventions des droits de l’homme, bafouées et violées au nom de la guerre contre le terrorisme.

Je lui ai demandé pourquoi il tenait tellement à aller témoigner partout et ne se limitait pas à son travail d’avocat, il m’a répondu : « because politics trumps the law and justice ». Ce qui signifie que, dans les questions de la justice et des droits de l’homme, c’est la politique qui décide. C’est elle qui détient l’atout (the trump card) dans le jeu de cartes. Sans volonté politique, rien ne se fait ni ne se fera.

Il ajoutait : «  Les textes de la loi sont beaux, les déclarations des droits de l’homme sont magnifiques mais ils ne mènent nulle part. Ils disent ce qu’il faudrait faire mais je constate qu’ils ne se réalisent pas dans la pratique. On a tendance à se satisfaire de dire qu’on vit en démocratie, que tout va bien, que les lois garantissant nos droits sont là, sans comprendre qu’il faut se battre en permanence pour qu’elles deviennent réalité ».

Il en va de même pour Ali Aarrass. Son affaire, comme celles de tous les autres détenus politiques au Maroc, est une question politique et non une question juridique qui pourrait se gagner par le seul combat juridique. En nous appuyant sur le travail des anges, il nous faudra forcer les politiques à appliquer les belles conventions qu’ils ont signées.

Un exemple : les paroles et les actes de Didier Reynders

S’il faut un exemple de « all dressed up with nowhere to go », en voici un. Le 27 février 2013, à la 22ème session du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU, le ministre belge des Affaires étrangères Didier Reynders a tenu un discours dépassant de loin celui d’ Amnesty International ou de Human Rights Watch. Reynders a profité de l’occasion pour poser la candidature de la Belgique en tant que membre du Conseil des Droits de l’Homme. Candidat premier-ministre de la Belgique, candidat ministre-président pour la Région bruxelloise, monsieur Reynders a aussi des ambitions internationales. Je cite : « ... nous avons d’ores et déjà annoncé notre candidature à un mandat de membre du Conseil des droits de l’homme pour la période 2016-18 ... Je voudrais reconfirmer l’engagement de la Belgique en faveur... de la promotion et de la protection des droits de l’homme aux quatre coins de la planète... Je suis profondément convaincu que sans respect des principes et droits fondamentaux, les aspirations légitimes de nos populations ne peuvent être rencontrées. Comme pour une maison, une société prospère ne peut être bâtie que sur des fondations solides. Ces fondations s’appellent pour moi démocratie, droits de l’homme et État de droit... L’universalité des droits de l’homme reste le principe fondamental qui doit guider notre action et nous aider à atteindre les objectifs communs auxquels tous les Etats membres des Nations Unies ont souscrit en signant la Déclaration universelle des Droits de l’Homme... On ne peut pas parler sérieusement de développement et de paix et sécurité collectives si les droits de l’homme et l’Etat de droit ne sont pas respectés... La Belgique continue de penser que les droits de l’homme constituent plus que jamais un pilier fondamental des Nations Unies. Le développement durable passe aussi par le respect des droits de l’homme et de l’Etat de droit... La responsabilité première repose sur les États eux-mêmes, c’est-à-dire sur chacun d’entre nous. D’abord, pour mettre en œuvre et respecter au quotidien les obligations et les engagements pris. Ensuite, pour dénoncer des situations inacceptables et, si nécessaire, venir en aide aux populations concernées. La responsabilité première continue de reposer sur les Etats. En tant que dirigeants politiques, nous nous devons de mettre en œuvre nos engagements. Je le fais au quotidien dans mes fonctions et m’engage à poursuivre mes efforts. »

Ce discours est prononcé par le même homme qui refuse d’accorder une simple protection consulaire belge à un Belgo-marocain torturé. Qui, d’un revers de la main, jette à la poubelle les preuves de sa torture rapportées par Juan Mendez et l’ONU. Qui sait parfaitement que des détenus belges comme Mohamed R’ha (3), Ahmed Zemouri (4), Hicham Bouhali (5), Abdelkader Belliraj (6), Abdellatif Bekhti (7) ou Ali Aarrass (8) ont été torturés ou maltraités, ont eu droit à des procès iniques, à des peines hors normes, à la maltraitance en prison, mais qui refuse d’intervenir et même de recevoir leurs familles en détresse. Qui, avec sa collègue Turtelboom, est au courant des situations inhumaines dans les prisons marocaines (9), mais continue à transférer des détenus marocains de la Belgique vers ces enfers.

Pour un mouvement des droits égaux sur la question de la nationalité !

Des raisons multiples peuvent expliquer l’attitude de la Belgique dans le dossier des Belgo-marocains. Je ne veux en mentionner qu’une. Depuis le 11 septembre 2001 et le déclenchement de la guerre mondiale contre le terrorisme, tout a changé. Sous la pression américaine, la Belgique a abandonné très vite sa position initiale contre cette guerre. Depuis 10 ans, un triangle Belgique-Maroc-Etats-Unis s’est construit. Dans ce cadre, que ce soit à Guantanamo, au Maroc ou en Belgique, des personnes qu’on a étiquetées de « terroristes présumés » ne bénéficient plus des conventions des droits de l’homme. Il suffit de rappeler l’extradition illégale par la Belgique de Nizar Trabelsi aux États-Unis. Si nous voulons obtenir la libération des détenus torturés, il nous faudra faire face à la peur, à l’indifférence et à la paralysie de l’opinion publique, matraquée chaque jour par la propagande de guerre contre le terrorisme, menée sous le prétexte de notre sécurité. Il nous faudra affronter cet argument et dénoncer le terrorisme d’État. L’affaire d’Ali Aarrass est on ne peut plus claire à ce sujet.

Dans la guerre antiterroriste, la question de la nationalité occupe une place centrale. Au moment où le capital, les riches, les banquiers se déplacent dans un monde sans frontières et sans barrières, comme cela ne s’est jamais vu dans l’histoire de l’humanité, pour ceux du bas de l’échelle sociale, la nationalité et l’appartenance nationale décident de plus en plus de leur existence et de leurs droits. C’est dans ce cadre qu’il faut situer les manœuvres récentes du gouvernement belge sur la nationalité. D’abord, l’accès à la nationalité belge est devenu extrêmement difficile. Pour les bis-nationaux, le critère de la double-nationalité sert à justifier l’abandon des personnes non désirées dans ce pays. Dans le cas de Trabelsi, on est allé jusqu’à empêcher son mariage avec une Belge pour pouvoir l’extrader sans complications. A l’instar de la Grande-Bretagne, on en est arrivé au stade de retirer la nationalité. Après le Belgo-marocain Mohamed R’ha, né à Anvers en 1987 et toujours en prison au Maroc (10), qui a été privé de sa nationalité belge en 2010, le parquet général de Bruxelles a ouvert la même procédure contre le Belgo-russe Lors Doukaev et la Belgo-marocaine Malika El Aroud.

Qui suivra ?

A la question : que faire ?, je conclus par les mots de Dennis Edney : «  Rentrez chez vous. Parlez avec dix personnes autour de vous. Essayez de les conscientiser ».

Luk Vervaet

(2) Plus d’nformations sur http://freeomarakhadr.com

(3) http://prisonnierseuropeensaumaroc.blogspot.be/2013/08/zomer-2013-een-pijnlijk-weerzien-met.html

(4) http://prisonnierseuropeensaumaroc.blogspot.be/2012/12/achmed-zemmouri-cry-for-help.htm

(5) http://www.legrandsoir.info/hicham-bouhali-zriouil-un-volontaire-belge-pour-l-afghanistan-condamne-au-maroc-a-20-ans-de-prison.html

(6) http://liberezbelliraj.blogspot.be/2013/02/communique-liberte-pour-abdelkader.html

(7) http://prisonnierseuropeensaumaroc.blogspot.be/2013/04/intervention-de-la-soeur-dabdellatif.html

(8) http://www.freeali.eu/

(9) http://prisonnierseuropeensaumaroc.blogspot.be/2014/03/lettres-de-belges-la-prison-de-tanger.html

(10) https://www.facebook.com/groups/482610221775707/?fref=ts


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renoncer à la mener équivaut pour la classe ouvrière à se livrer pieds et poings liés à l’exploitation et à l’écrasement.

H. Krazucki
ancien secrétaire général de la CGT

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