En juillet 1998 sont remis publiquement aux polices belge et néerlandaise, par Marcel Vervloesem, fondateur d’une association de protection de l’enfance, 21 CD-ROM contenant des dizaines de milliers de photos et vidéos pédopornographiques, incluant des images d’agression, de viol et de torture sur de très jeunes enfants, la plupart prises dans des studios dédiés, mais aussi au sein de foyers de l’Aide sociale à l’enfance et de cadres familiaux.
Enquêtant sur la disparition, depuis 1993, d’un jeune Berlinois – alors âgé de 12 ans – du nom de Manuel Schadwald, Vervloesem est mis sur la piste, à Zandvoort aux Pays-Bas, d’un certain Gerrit Ulrich, qui sous pression lui remet un premier CD-ROM où apparaît le garçon. En fuite en Toscane, Ulrich y sera assassiné quelques jours plus tard par Robbie van der Plancken, un des pourvoyeurs du même réseau, mais avant sa mort, repenti, il aura pu contacter Vervloesem pour lui révéler l’emplacement dans son appartement de 20 autres CD-ROM.
De son appartement de Zandvoort, Ulrich alimentait un site de commerce pédopornographique baptisé « Apollo », du nom d’un yacht appartenant à son ami Leo van Gasselt, sur lequel de jeunes garçons (raptés en partie des pays de l’Est) étaient victimes d’exploitation sexuelle, drogués, et livrés au vice d’« invités » issus de la haute société locale. C’est sur ce voilier qu’aurait été tué Manuel Schadwald (après avoir été prostitué un temps dans des bordels de Rotterdam et d’Amsterdam), alors que se seraient trouvés à son bord des notables hollandais.
Le nom de J. D. a été maintes fois cité au cours de l’enquête, ce haut fonctionnaire néerlandais ayant occupé des postes-clés de 1982 à 2012 aux directions de la Police, de la Justice, des Affaires internationales et de l’Immigration, et déjà accusé à plusieurs reprise d’abus sexuels sur mineurs, notamment en Turquie. Vu la longévité de sa carrière administrative au sommet de l’État et les accusations qui n’ont cessé de peser sur lui, il semble évident que J. D. disposait, d’une façon ou d’une autre, d’une « protection supérieure ».
Côté belge on a aussi évoqué entre autres, à la lecture des différents procès-verbaux de la police fédérale datant de 1996, les noms d’E. d. R. et de J.-P. G., alors respectivement vice-Premier ministre et ministre de l’Enseignement supérieur, et même celui du prince A., réunis lors de cérémonies d’orgies sataniques avec des enfants – dont les Salò de Pasolini et Eyes Wide Shut de Kubrick (retrouvé mort, comme son confrère italien, quelques jours après la fin du montage de son film) ne sont que des versions soft et romancées.
En France en l’an 2000, les enquêteurs font le lien avec l’affaire Jacques Dugué (de la fin des années 1970), condamné pour pédopornographie et exploitation sexuelle de jeunes adolescents, et on découvre qu’au moins une photo du fichier de Zandvoort, représentant deux hommes –dont un magistrat reconnu – qui abusent d’un enfant, apparaît également dans le dossier de l’affaire du Coral (sortie en 1982), où ont été mis en cause le ministre de la Culture de l’époque J. L., le neveu du président F. M. et J.-P. R., juge des enfants et président du Tribunal de grande instance de Bobigny.
Grâce au travail d’investigation des journalistes Serge Garde et Laurence Beneux, à l’examen des agendas et carnets d’adresses de Gerrit Ulrich perquisitionnés dans son appartement, on est en mesure d’apporter des noms de clients et des coordonnées de comptes bancaires provenant de toute l’Europe (notamment des pays de l’Est) et des États-Unis, de particuliers mais aussi d’institutions. Ainsi on y retrouve les références de la Banque nationale d’Ukraine ou de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement fondée en 1991 par Jacques Attali.
En bref, toutes ces connexions peuvent alors assez facilement expliquer l’omerta généralisée et l’apparente inertie des institutions des Pays-Bas, comme celles de Belgique, où l’on libère, en avril 1992, le désormais fameux Marc Dutroux (avant qu’il n’enlève Julie et Mélissa), sur décision finale de M. W., ministre de la Justice de 1988 à 1995 et impliqué en personne dans le même réseau, d’après le témoignage d’au moins trois victimes rescapées, dont Régina Louf, auteur du livre Silence, on tue des enfants !. La liste étant ici, malheureusement, non exhaustive...
81 enfants disparus, dont certains originaires d’Angleterre et des États-Unis, ont pu ainsi dans un premier temps être identifiés par les enquêteurs français et les familles sur le fichier de Zandvoort. Aussi insensé que cela puisse paraître, l’affaire sera classée sans suite par les justices belge, néerlandaise, française et allemande que l’association de Marcel Vervloesem avait sollicitées simultanément.
On comprend alors que les clients de l’Apollo étaient, plus que des pédophiles isolés prêts à payer pour exécuter leurs délires de perversité, des personnes d’autorité et de véritables commanditaires du monde politique, de la justice, des affaires et des médias, y compris des membres de monarchies européennes d’après certains témoignages.
Le système étant verrouillé de tous côtés par un tribalisme invisible et particulièrement bien organisé, précisons que la parole des enfants rescapés de ce type de réseau, qui malgré le calvaire enduré trouvent le courage de se livrer, est souvent tue ou méprisée, systématiquement discréditée par des expertises de psychiatres corrompus ou par des juges complices ; l’affaire d’Outreau en est un exemple significatif.
En proie au procédé bien connu d’« inversion accusatoire » utilisé par le milieu, Marcel Vervloesem sera même jugé et incarcéré pour diffusion de matériel pédopornographique et agressions sexuelles sur mineur, dont on apprendra que la pseudo-victime avait été payée en échange de fausses déclarations.
On peut aussi supposer que tous les enfants et adolescents des CD-ROM de Zandvoort, dont les corps n’ont jamais été retrouvés, aient servi d’objets à la réalisation de snuff movies – meurtres filmés, souvent ritualisés et associés à des sévices sexuels –, religieusement sacrifiés sur le marché de la perversion adulte.
Il est donc fort probable, comme l’a maintenu Vervloesem, qu’existe (ou du moins, a existé) une vidéo mettant en scène le jeune Manuel Schadwald en présence de gens influents ; et que la cassette ayant ensuite été captée par des services secrets étrangers, celle-ci ait pu servir de pièce de chantage diplomatique en une géopolitique souterraine qui ne fait malheureusement pas exception.
Lorsqu’on connaît le prix de telles vidéos, qui aujourd’hui se commercialisent en partie sur le Darknet, on comprend que certains groupes mafieux se soient organisés à travers le monde – et notamment là où les enfants sont les plus vulnérables – pour satisfaire les demandes d’une clientèle de pédocriminels cosmopolite, composée de monstres ordinaires comme de gens de pouvoir cooptés dont la soif pathologique de domination, à l’occasion accrue par la consommation de drogue, est alors motivée par quelque allégeance satanique – au sens proprement confessionnel du terme.
Pour le public non versé en psychopathologie et étranger aux vices d’une certaine aristocratie dévoyée, il conviendrait de voir en ces actes d’une cruauté arrangée, tout comme l’initiation mafieuse, une façon de s’assurer, par l’expérience de la violence la plus extrême, la plus inhumaine, une confiance sans faille en son pouvoir ; à plusieurs ils sont aussi, par la complicité dans le crime, le moyen ultime de sceller des liens d’intérêts et de suprématie sur « le commun des mortels ».
S’attaquer à un enfant étant la plus haute des injustices, il s’agit en quelque sorte de sacrifier l’être innocent, sans défense, en un exutoire du malheur de la propriété absolue, pour s’autoriser définitivement sa place de prédateur-dominant en société. En substance, se savoir capable de tuer pour pouvoir tuer ; mettre en scène l’horreur pour ne pas en être surpris, et ainsi « reprendre le contrôle », dans une solution mortifère de compensation où « anticiper » permet de ne plus « subir ».
Par ailleurs, ritualiser la violence, par la croyance tribale en d’obscures « forces du mal », en une orgie criminelle illimitée, est un moyen de justifier et rendre acceptable la destruction dysfonctionnelle de toute forme d’empathie en soi. Inévitablement, beaucoup finissent, d’un côté comme de l’autre, par mettre fin à leurs jours, quand ils ne sont pas éliminés ou ravagés par les addictions. Et l’on pourrait même, plus largement, poser la question métaphysique de l’autorité en ces termes : le pouvoir mène-t-il à la déviance ou est-ce la déviance qui mène au pouvoir ?
Bien évidemment, il existe une graduation dans le crime pédosexuel, suivant les limites ou l’intérêt pervers de chacun, du simple consommateur d’images au commanditaire de meurtre en passant par le proxénète organisé et le client opportuniste ; c’est pourquoi nous devrons compter sur une justice réellement indépendante, débarrassée de toute emprise hiérarchique, pour reprendre enfin sérieusement ce dossier explosif et défendre l’Enfance comme le trésor imprenable d’espoir qu’elle doit être.
Car, avec le temps, les protections tribales sautent une à une et ceux qui se croyaient définitivement à l’abri des lois pourraient bien avoir quelques surprises de retour du réel. On l’a vu avec l’impressionnante Marche blanche de 1996 à Bruxelles, ou dernièrement avec la colossale affaire Epstein et ses agendas aux noms illustres, la pédocriminalité d’élite couverte par l’Institution, une fois dévoilée par des médias qui auront retrouvé leur liberté d’information, risquerait bien d’être le combustible des prochaines insurrections populaires.
La question qui se pose désormais à nous est la suivante : les gens seront-ils suffisamment armés pour supporter la réalité cachée ou choisiront-ils, par lâcheté, de l’ignorer, terrorisés par l’accusation de « complotisme » ?
Note : Les noms des personnalités évoquées ont été volontairement réduits à des initiales, l’intention n’étant pas ici de pratiquer la délation ni d’encourager à l’expédition punitive, mais d’aider à comprendre, en une vision d’ensemble, l’omerta qui entoure la question des réseaux pédocriminels, en premier lieu dans l’intérêt des victimes. Pour que cessent les souffrances.