RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Vigné d’Octon et les crimes coloniaux de la République

A un moment où l’armée française nous rejoue sans gloire la prise de Tombouctou, le moins qu’on puisse faire est de rappeler comment, à une autre époque, d’autres soldats de la République ont martyrisé cette région d’Afrique.

Paul Vigné d’Octon, médecin de la Navale, affecté au Sénégal puis en Guinée dans les années 1880, en a été le témoin révolté.

En 1885, il accompagne une colonne d’infanterie de marine chargée de consolider le contrôle de la France sur la région des Rivières du Sud (Guinée actuelle) alors divisée par des rivalités entre deux chefs locaux. La mission est d’appuyer un camp contre l’autre en supprimant trois villages et en faisant disparaître leurs chefs. Les villages sont effectivement brulés et leurs chefs abattus avant que la troupe française se replie abandonnant le terrain à ses supplétifs qui torturent et achèvent les blessés. [1]

Ecoeuré par cet épisode et par bien d’autres, et désireux de témoigner de tout ce qu’il voit, Vigné expédie d’abord des articles à des journaux sous des pseudonymes divers puis démissionne finalement de l’armée.

Peu après, il se présente à la députation dans sa circonscription de l’Hérault. Il est élu et sera réélu deux fois. [2]

A la Chambre des députés, il accuse la politique coloniale de la France et s’oppose à l’octroi des crédits destinés à financer les expéditions militaires.

Quand il interpelle le chef du gouvernement c’est pour lui demander de mettre fin à la politique de conquête coloniale, cause de « ces actes abominables » qui « porteraient à croire que les véritables sauvages ne sont pas au Soudan ». [3]

C’est lui encore qui dénonce le massacre perpétré dans le village d’Ambike à Madagascar. Un adjoint de Galliéni, gouverneur de l’île, commande ce massacre de nuit contre une population endormie. Mitraillées ou éventrées à la baïonnette, les victimes (femmes et enfants compris) se comptent entre 2.500 et 5.000.

« Quand il fit grand jour, la ville n’était plus qu’un affreux charnier dans le dédale duquel s’égaraient les Français, fatigués d’avoir tant frappé », raconte Vigné.

En 1899, il sera celui qui révèle les crimes que l’armée française est en train de commettre en Afrique où, durant une mission de reconnaissance sur des territoires situés entre le Niger et le Tchad, deux officiers, le capitaine Voulet et le lieutenant Chanoine, se livrent à des massacres monstrueux jonchant leur parcours de milliers de cadavres, et de villages dévastés et incendiés.

Le gouvernement finira par ordonner l’arrestation des deux officiers mais l’affaire est enterrée par la Chambre des députés qui rejette à une écrasante majorité la commission d’enquête demandée par Vigné.

En 1910, Vigné obtient du gouvernement l’autorisation de conduire une mission d’information en Afrique du Nord au désagrément des milieux coloniaux qui le redoutent, certains le considérant « plus dangereux que les criquets »...

Persuadé que le gouvernement allait censurer ses rapports, Vigné les fait publier dans les colonnes du journal antimilitariste La Guerre sociale, puis les regroupe dans une brochure intitulée La Sueur du Burnous. Il y dénonce notamment les spoliations des meilleures terres tunisiennes : « On ne compte plus le nombre de tribus qui après avoir été chassées des terres assez fertiles qui les nourrissaient et refoulées sur un sol ingrat, en ont été dépouillées le jour même où l’on y découvrit des richesses minières à exploiter... »

Après la guerre 1914-1918, il publie un nouveau pamphlet où il condamne entre autres les atrocités de la guerre menée en Syrie et au Liban lors de l’expédition du général Gouraud.

C’est aussi à cette époque, qu’un jeune vietnamien Nguyen Aï Quoc (le futur Ho Chi Minh) demande à le rencontrer. De leur travail en commun à la Bibliothèque nationale, celui qui conduira les guerres de libération de son pays contre la France et les États-Unis puise des éléments qui contribueront à l’écriture de deux de ses brochures : Les opprimés et Procès de la colonisation. [4]

Il est devenu de bon ton d’affirmer que les crimes et exactions qui accompagnèrent les conquêtes et les occupations coloniales se sont déroulées dans un silence complice généralisé et que ce serait un archaïsme d’affirmer le contraire. L’exemple de Paul Vigné d’Octon nous montre que c’est faux. Même à contre-courant, il y a toujours eu des opposants à l’impérialisme français et à ses crimes. Aujourd’hui, encore !

Jean Pierre DUBOIS

http://www.lepetitblanquiste.com

[1] Le même scénario semble se reproduire aujourd’hui quand, après avoir pris le contrôle d’une ville, l’armée française la livre à l’armée malienne qui y procède à des exécutions sommaires de Touaregs et d’Arabes.

[2] La base de données de l’Assemblée nationale ne lui consacre aucune biographie.

[3] Il s’agit, au temps de l’Afrique occidentale française, du « Soudan français » ou « Soudan occidental » devenu aujourd’hui le Mali.

[4] En exergue de ce dernier écrit, Ho Chi Minh place une citation de Paul Vigné d’Octon : « Après avoir volé des terres fertiles, les requins français prélèvent sur les mauvaises terres des dîmes cent fois plus scandaleuses que les dîmes féodales. »


URL de cet article 19447
  

Même Thème
Meurtre au Burundi. La Belgique et l’assassinat de Rwagasore
Ludo de WITTE
En 1999, Ludo De Witte publie un livre-choc : L’Assassinat de Lumumba. Ses révélations sur le rôle du roi Baudouin, du gouvernement belge et de la CIA amèneront la Belgique à présenter des excuses officielles au Congo. En 2017, le sociologue belge sort chez Investig’Action L’Ascension de Mobutu. Salué par Jean Ziegler : « Un livre superbe d’érudition, de courage et d’intelligence analytique. Au magnifique peuple congolais, il contribue à restituer une mémoire claire… » En 2021, ce nouveau livre (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

"Chaque fois que nous sommes témoins d’une injustice et que nous n’agissons pas, nous entraînons notre caractère à être passif en sa présence et nous finissons par perdre toute capacité de nous défendre et de défendre ceux que nous aimons. Dans une économie moderne, il est impossible de s’isoler de l’injustice."

Julian Assange - Wikileaks

Ces villes gérées par l’extrême-droite.
(L’article est suivi d’un « Complément » : « Le FN et les droits des travailleurs » avec une belle photo du beau château des Le Pen). LGS Des électeurs : « On va voter Front National. Ce sont les seuls qu’on n’a jamais essayés ». Faux ! Sans aller chercher dans un passé lointain, voyons comment le FN a géré les villes que les électeurs français lui ont confiées ces dernières années pour en faire ce qu’il appelait fièrement « des laboratoires du FN ». Arrêtons-nous à ce qu’il advint à Vitrolles, (...)
40 
La crise européenne et l’Empire du Capital : leçons à partir de l’expérience latinoaméricaine
Je vous transmets le bonjour très affectueux de plus de 15 millions d’Équatoriennes et d’Équatoriens et une accolade aussi chaleureuse que la lumière du soleil équinoxial dont les rayons nous inondent là où nous vivons, à la Moitié du monde. Nos liens avec la France sont historiques et étroits : depuis les grandes idées libertaires qui se sont propagées à travers le monde portant en elles des fruits décisifs, jusqu’aux accords signés aujourd’hui par le Gouvernement de la Révolution Citoyenne d’Équateur (...)
Comment Cuba révèle toute la médiocrité de l’Occident
Il y a des sujets qui sont aux journalistes ce que les récifs sont aux marins : à éviter. Une fois repérés et cartographiés, les routes de l’information les contourneront systématiquement et sans se poser de questions. Et si d’aventure un voyageur imprudent se décidait à entrer dans une de ces zones en ignorant les panneaux avec des têtes de mort, et en revenait indemne, on dira qu’il a simplement eu de la chance ou qu’il est fou - ou les deux à la fois. Pour ce voyageur-là, il n’y aura pas de défilé (...)
43 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.