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Ubu sur la manne énergétique ? (Partie 2)

Si par le Rapport de 2003, Goldman Sachs attribue une certaine légitimité aux pays (ré)émergents sur la scène internationale aux dépens du principe de l’équilibre des puissances issu du Congrès de Vienne de 1815, la banque d’investissement new-yorkaise confirme tout autant la thèse structuroréaliste du caractère inéluctable du déclin des grandes puissances ; une antienne rappelée dans sa pluri-dimensionalité par Paul Valéry en 1919 dans La crise de l’esprit.

A l’évidence, la présence d’un front sahélien, depuis janvier 2013, confirme l’implantation française dans cette région éminemment stratégique dont l’intérêt est l’accaparement ou à tout le moins l’exploitation unilatérale des ressources énergétiques pour les rouages mécaniques de la compétitivité économique en métropole. Ainsi, la conquête de Lagos en 1851 puis de la Gold Coast en 1874 marqua le début tout à la fois de l’implantation britannique sur les bouches du Niger et de l’exploitation de l’huile de palme dans le contexte de la révolution industrielle.

Aussi la présence militaire française, dont la coloration néocoloniale demeure indiscutable, s’inscrit-elle dans une politique (inspirée de la « blue water school ») de comblement des espaces dits vides entre la Méditerranée et le Sahel, deux têtes de pont constituant un enjeu déterminant dans la course à l’Afrique. En effet, la question sahélienne, au-delà de son caractère stratégique, devint source de production discursive visant à réactiver le « Scramble for Africa », car dans l’esprit néocolonial élyséen qui contrôle le Sahel contrôle l’Afrique.

La Déclaration de Laurent Fabius sur l’intervention militaire française au Mali, au Sénat le 16 janvier 2013, et son insistance sur la double dimension humanitaire et sécuritaire, installe désormais la France dans le rôle d’avocat du néocolonialisme : « La sécurité de toute cette région est en danger et la menace pèse sur l’Europe et la France ». Cet artifice rhétorique qui renvoie au discours de Guillaume II à Kiel en 1898 affirmant que « l’avenir de l’Allemagne [était] sur les mers », évoque subrepticement les intérêts économiques français patents dans la région sahélo-saharienne, un Oversea rentable où les puissances européennes se toisent, se mesurent ; mais il n’est pas question d’affrontement direct, mais plutôt de compétition quasi sportive devant l’injonction onusienne aux relations internationales iréniques.

Le contrôle pérenne des ressources énergétiques qui constitue donc un indiscutable facteur de puissance pour les pays exportateurs comme importateurs, invite à une expansion tous azimuts des seconds, dans le foreland méditerranéen, trait d’union maritime, puis dans l’hinterland sahélo-saharien, à partir des points d’appui comme Ghardaïa, réactivant de manière anachronique la conquête coloniale ; même si la concurrence des pays émergents, associée au contexte lancinant de la menace terroriste, réduit sa portée, sans qu’elle ne devienne pour autant un élément totalement secondaire.

En effet, depuis la seconde moitié du XXe siècle marquée par les indépendances, les anciennes métropoles coloniales recréent en permanence leurs propres traditions (Eric J. Hobsbawm[7]), des pratiques procédant d’une forte « hégémonie culturelle » (Antonio Gramsci[8]), supposées immémoriales et réactivées actuellement dans la région sahélo-saharienne.

L’assertion du Ministre français des Affaires étrangères ne doit toutefois pas cacher les rivalités géostratégiques et économiques entre les Etats-Unis et l’Union européenne et au sein de cette dernière notamment devant la montée en puissance de la Chine en Afrique. Ainsi, les Etats-Unis veulent d’une part limiter l’influence politique et économique des anciennes puissances coloniales et d’autre part empêcher la Chine d’imposer sa présence à une zone hautement stratégique ; eu égard à la rivalité entre l’Empire nippon et la République états-unienne dont l’objectif au tournant du XXe siècle fut t’empêcher le Japon d’imposer son influence politique et économique à une Chine impériale en pleine crise dans le cadre du « Break up of China », conduisant le Président républicain, William McKinley, à formuler en 1899-1900 le principe de la « porte ouverte » (repris par tous les dirigeants des Etats-Unis jusqu’en 2008), en d’autres termes, l’ouverture économique de la Chine aux économies extérieures et l’absence de toute mesure commerciale discriminatoire, afin d’ouvrir l’immense marché chinois à leurs produits et d’équilibrer les ambitions géopolitiques du Japon et de la Russie en s’appuyant sur la Chine.

Même s’il y a toujours la place pour le débat, les interventions militaires en Libye comme au Mali confirment à plus d’un titre la prévalence de rapports étroits entre la domination occidentale (Edward Saïd[9]), l’exploitation économique et l’instabilité régionale. En 1874, Paul Leroy-Beaulieu s’efforça de dresser une typologie coloniale dans De la colonisation chez les peuples modernes ; ainsi, les colonies de commerce ou comptoirs, les colonies de plantation ou d’exploitation destinées à fournir aux métropoles des denrées exotiques, des matières premières agricoles ou des produits miniers et les colonies de peuplement situées dans des pays de climat tempéré provoquant des effets irréversibles comme le remodelage politique des frontières jusqu’alors plus ou moins tacites, l’ouverture contrainte à l’économie de marché, le métissage démographique, le déplacement des populations. Mutatis mutandis, la présence française dans la région sahélo-saharienne représente aujourd’hui une forme de « destruction créatrice », pour paraphraser le propos de l’économiste autrichien Joseph A. Schumpeter pour le progrès technique, mais plutôt de manière asymétrique et au profit de la métropole.

Est-ce à dire que les Algériens et les peuples colonisés largo sensu n’auraient pas disposé de marge de manoeuvre (agency) assurant leur développement économique et social, en dehors du cadre colonial, du fait de leur « mentalité primitive » au sens du sociologue et anthropologue français Lucien Lévy-Bruhl, alors que dans le même temps ni le Libéria ni l’Ethiopie, non colonisés, n’ont connu un développement plus rapide que leurs voisins colonisés ?

Face aux appétits européens et devant la poussée terroriste conduisant à la perméabilité des frontières, l’Algérie, bouleversée par les tentatives de déstabilisation mais dont les disponibilités militaires hissent le pays au premier rang des Etats africains en termes d’armements, n’a pas d’autres options que la stabilité politique au détriment certes du renouvellement de la classe dirigeante. En ce sens, l’obstination à maintenir au pouvoir le Président-candidat, Abdelaziz Bouteflika, semble répondre en miroir à la pression économique occidentale dès lors que la composante économique accompagne quasi systématiquement l’expansion coloniale ; ainsi, jusqu’en 1890, au Tanganyika (Tanzanie, Ruanda, Urundi), la gestion du territoire est confiée à une compagnie commerciale avant de passer à la politique d’administration directe dans la Deutsche Ost-Afrika et de confiscation des terres conduisant à l’insurrection Maji-Maji en 1905-1906.

En somme, la campagne présidentielle en Algérie, qui s’inscrit dans le contexte d’instabilité aux échelles régionale (Sahel) et locale (Ghardaïa), participe de la réactivation de la question de la « gouvernementalité » au sens foucaldien du terme ; en cela, « Comment se gouverner, comment être gouverné, comment gouverner les autres, par qui doit-on accepter d’être gouverné, comment faire pour être le meilleur gouverneur possible »[10]. La concentration étatique, dénoncée notamment par le mouvement plus ou moins indépendant Barakat, est prise dans une évolution plus large dans le sillage des révoltes arabes et des dissidences de tous bords, coup de boutoir de la stratégie clausewitzienne du maintien de la souveraineté d’un souverain sur un Etat notamment face à la menace extérieure comme intérieure supposée ou réelle ; ce qui n’est pas le moindre paradoxe de la situation géopolitique dans la région sahélo-saharienne.

Habiba CHABOU

[7] Eric J. Hobsbawm, The Invention of Tradition, 1992.
[8] Antonio Gramsci, Quaderni del carcere, 1926-1937.
[9] Edward Saïd, Orientalism, 1978.
[10] Michel Foucault, « La gouvernementalité », 1977-1978.

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