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Le drapeau cubain flotte sur washington

Isolé dans sa propre arrière-cour, Washington n’avait pas d’autre choix que de changer de politique envers Cuba : Noam Chomsky

Puisque les politiques de terreurs et d’asphyxie économique ont échoué, depuis 2014 Obama a essayé d’employer d’autres moyens pour « instaurer la démocratie », affirme le linguiste.

Le changement dans la politique extérieure des Etats-Unis envers Cuba est dû au fait que, avec les changements notables survenus en Amérique latine ces dernières années, Washington s’est retrouvé de plus en plus isolé dans sa propre « arrière-cour » et s’est vu obligé de changer de position par rapport à l’île, a affirmé Noam Chomsky.

Durant un entretien accordé à La Jornada dans le cadre de l’inauguration des nouvelles ambassades de Cuba à Washington et étatsunienne à La Havane ce lundi, nous avons demandé l’opinion de Noam Chomsky au sujet de la décision des Etats-Unis de rétablir des relations diplomatiques après plus d’un demi-siècle.

« Les raisons du changement dans la politique étatsunienne [envers Cuba] sont assez claires. Depuis plusieurs décennies, les sondages révèlent que la population étatsunienne est favorable à une normalisation des relations. Néanmoins, l’opinion publique est toujours ignorée, c’est une règle. Plus intéressant encore : des secteurs importants du grand capital étatsunien sont pour une normalisation : pharmaceutique, énergie, agro-industrie, entre autres. Ce sont ceux qui habituellement prennent les décisions, et si ils sont ignorés cela veut dire qu’il y a un intérêt d’Etat encore plus important », a signalé le linguiste et intellectuel, un des critiques les plus reconnus au sujet du pouvoir et des relations internationales des Etats-Unis.

« Cet intérêt (suprême) d’Etat est très clairement défini dans des documents officiels internes » que l’on pourrait résumer ainsi : « Le défi des cubains face à la politique extérieure étatsunienne, qui découle de la Doctrine Monroe, ne peut pas être toléré ».

“Doctrine de la mafia”

Chomsky décrit cette politique comme étant basiquement une « doctrine de la mafia », qui cherche à imposer cet ordre mondial, ce qui est compréhensible : les documents officiels internes [du gouvernement des Etats-Unis] expliquent que la désobéissance (à cette doctrine) peut potentiellement se muter en ce que Kissinger a appelé « un virus », qui pourrait propager l’infection et perturber le système dans son ensemble ».
Ainsi, dans le cas de Cuba, cette doctrine consistait en isoler et contrôler « ce virus » à tout prix depuis l’époque de la révolution jusqu’à récemment, mais quelque chose a changé.

Chomsky signale que « cette politique a dû faire face à un grand problème. Lors du Sommet des Amériques en Colombie, les Etats-Unis (avec le Canada) se sont retrouvés complètement isolés sur tous les sujets cruciaux, dont Cuba. Alors que le prochain Sommet de Panama approchait (il a eu lieu en 2014), il devenait possible que les Etats-Unis restent exclus par rapport au reste de l’hémisphère. Il fallait agir ».

Il continue : « C’est à ce moment que Barack Obama a prédit dramatiquement que les politiques étatsuniennes pour apporter la démocratie et les droits de l’homme à Cuba n’avaient pas fonctionné, et qu’il fallait trouver un autre moyen pour atteindre nos objectifs, des objectifs nobles puisqu’il s’agit des notre. Par conséquent, de façon magnanime, les Etats-Unis allaient permettre que Cuba s’échappe -un petit peu- de son isolement international ».

Il rajoute que « cette noblesse (d’Obama) a été chaleureusement applaudie par les médias de la gauche libérale, notamment par le New York Review of Books, qui a expliqué qu’Obama a « vaillamment et intelligemment, mais en prenant de considérables risques politiques, décidé de rétablir les relations diplomatiques en décembre 2014, ce que le président des Etats-Unis a décrit comme un moyen plus effectif de permettre au peuple cubain de s’émanciper [le terme original utilisé par l’auteur est « empowerment », ndt]. Obama a fait des pas vraiment historiques », ce qui lui a permis d’arriver à la Conférence de l’OEA au Panama avec « une légitimité morale renforcée ».

Chomsky traduit toute cette rhétorique ainsi : « Les changements notables dans une grande partie de l’Amérique latine durant ces 10 ou 15 dernières années ont produit un isolement notable des Etats-Unis dans ce qui était historiquement considéré comme son « arrière-cour ».

Il conclut son explication avec un ton férocement ironique : « puisque les politiques de terreur et d’asphyxie économique ont fracassé, les Etats-Unis ont entrepris de mettre en place tous les moyens pour que Cuba puisse bénéficier des plus hauts standards de vie tel qu’au Honduras, au Guatemala ainsi que d’autres pays qui ont déjà bénéficié de la bienveillance des Etats-Unis ».

David Brooks – Correspondant (La Jornada)
Lundi 20 juillet 2015, p. 18.
New York

Traduit par Luis Alberto Reygada pour Le Grand Soir

 http://www.jornada.unam.mx/2015/07/20/mundo/018n1mun

COMMENTAIRES  

21/07/2015 12:02 par Pierre M. Boriliens

Bonjour,

Heureusement que les Cubains ont certainement lu Virgile...
Timeo Danaos, et dona ferentes
Le cheval de Troie !

21/07/2015 14:13 par Viva Cuba / Viva lé Grran Soiré

Merci pour la traduction, et surtout merci au GS pour sa diffusion.

On vous aime, ne lâchez rien ; )

21/07/2015 15:04 par SIerra

C’est de la gesticulation diplomatique sans conséquences directes. John Kerry à bien affirmé qu’il n’était pas question de rendre Guantanamo "avant terme". Avant quel terme ?
Plus surement, c’est une vengeance d’Obama envers le lobby floridien.

Je vous rappel que le 28 octobre 2014, les USA ont de nouveau voté à l’ONU pour le maintien de l’embargo.

A ce titre, les cubains ne sont dupent de rien.

21/07/2015 16:45 par ung do

Ca va être de la soupe d’eau chaude , une fausse réconciliation ; les nord- américains reconnaissent Cuba mais ne lèveront pas l’embargo
Pour l’Iran aussi , il est dit que l’embargo ne sera levé que très lentement ou pas du tout ; voir votre post
Les Etats-Unis veulent entraîner l’Iran dans des pourparlers nucléaires sans fin
http://www.legrandsoir.info/les-etats-unis-veulent-entrainer-l-iran-dans-des-pourparlers-nucleaires-sans-fin.html
Ces accords ne protègent absolument pas Cuba ou l’Iran d’une attaque militaire surprise
La Libye avait été reconnue par la communauté internationale (sic ! )après que Kaddafi ait accepté de renoncer à ses recherches nucléaires ; on sait ce qui lui est arrivé . On ne peut pas faire confiance aux Yankees , des mafiosi comme dit Chomsky , des loups à visage humain .

21/07/2015 17:57 par Patrick

«  C’est à ce moment que Barack Obama a prédit dramatiquement que les politiques étatsuniennes pour apporter la démocratie et les droits de l’homme à Cuba n’avaient pas fonctionné, et qu’il fallait trouver un autre moyen pour atteindre nos objectifs, des objectifs nobles puisqu’il s’agit des notre. Par conséquent, de façon magnanime, les Etats-Unis allaient permettre que Cuba s’échappe -un petit peu- de son isolement international ».
Si je lis bien l’objectif n’a pas changé mais il fallait une autre méthode. Il va de soi que les ricains ne vont pas abandonner si aisément leur proie.
De l’intérieur pourra se mettre en place plus facilement une division au sein de la population. Tentative avortée il n’y a pas si longtemps en utilisant un groupe musical mais en travaillant de l’extérieur.

22/07/2015 01:17 par Roger

Les,USA ne respectent aucun traité ni accord. Comme le dit si bien un célèbre "héros" de western (le bon, évidemment !), "Amigo, dans la vie il y a ceux qui ont un revolver et ceux qui ont une pelle, alors, amigo mio, creuse maintenant" (transcription approximative, mais le sens profond y est).
Et ça les cubains le savent depuis longtemps, et ils n’ont toujours pas creusé...alors j’ai bon espoir qu’il ne vont pas se laisser avoir par cette grossière manœuvre, tout en sachant en tirer profit.
Hasta la victoria, siempre !

22/07/2015 12:22 par pablo

Les cubains (aussi bien le peuple que leur gouvernement) savent bien ce qu’il en est ; et ils ont les moyens de faire face et de vaincre, comme ils l’ont fait jusqu’ici.

Les Etats-Unis avaient déjà une ambassage (jute pas appelée comme telle) ; la seule chose qui changera, à Cuba même, ce sera l’en-tête des lettre émanant du centre diplomatique US, qui pourront désormais utiliser légalement "ambassy".

Par contre Cuba gagne plus que les Etats-Unis (le fait que les médias occidentaux le taisent en est un indice d’ailleurs). Le statut de diplomate officiel sera plus confortable pour les cubains qui sont obligés de vivre dans les entrailles de la bête pour defendre leur pays.
Et, surtout, une victoire morale et symbolique très importante ! En effet c’est Cuba, et non les Etats-Unis, qui voulaient l’établissement de relations diplomatiques sans condition préalable. Ce sont les Etats-Unis, et non Cuba, qui ont du plier et abandonner leurs exigeances.
Et le plus beau, les Etats-Unis ont été obligés de reculer car ils furent ISOLES au sein même de leur propre continent.

25/07/2015 01:48 par Graphisto

Dans le texte de l’article, je relève le terme "étatsuinien", il est plus naturel d’écrire "états-unien", il me semble, en prononçant de la même manière, bien sûr. Pourquoi faire différent et nouveau quand c’est naturel ?

Je profite de ce commentaire pour suggérer une traduction de "empowerment", qui embarrasse pas mal de gens (un peu coincés, il faut bien le dire). Ce serait si simple de dire en français "empouvoirement". Mais ça fait tellement plus classe de faire 10 phrases préliminaires du genre " le mot empowerment, qu’il est anglais, que machin, mais que truc-bazar, alors qu’on ...". Bien sûr, mon cher snob, que tu as de vrais problèmes existentiels.

25/07/2015 21:24 par reneegate

En référence à la citation du jour : agnostique c’est remettre les choses à leur place. "Pourquoi pas ?" mais nous avons autre chose à faire (aqnostique et poli)

25/07/2015 21:33 par reneegate

Je pense que l’industrie pharmaceutique jette un œil envieux sur les succès de la médecine Cubaine et plus particulièrement dans le traitement du cancer. Lorsque j’en ai parlé à un ami d’enfance dirigeant de mutuelle et influent dans le domaine (budgétaire donc... ), il n’a même pas relevé. Les américains sont bien plus pragmatiques que nos socialiste libéraux. C’est la seule bonne nouvelle pour les américains. Chez nous par contre, ça craint !

27/07/2015 10:25 par babelouest

Si l’embargo demeure - et il ne semble pas près de lâcher - je ne vois guère d’avancée à en attendre. Rien qu’une possibilité accrue à infiltrer des espions et des fauteurs de désordres.

Washington ne s’avoue jamais vaincu. Je ne vois qu’une solution : créer un embargo mondial sur les États-Unis. De toute façon, on peut fort bien se passer des productions US, qui sont soit de l’alimentaire fétide, soit du matériel de propagande (Hollywood, "musiques"....)

Washingto delenda est

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