RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Espagne : près d’un demi-million d’expulsions, le produit d’une loi franquiste

Entre 2008 et le second trimestre 2015, l’Espagne a connu 416.332 ordres d’expulsion de logements. (1) Les expulsions sont une des conséquences de la crise, mais la loi qui les autorise est bien antérieure. Il s’agit de la « loi hypothécaire » imposée par décret sous la dictature de Franco en 1946, et qui demeure en vigueur.

La « métaphysique » des expulsions

L’Association hypothécaire espagnole (AHE) elle-même, qui rassemble les groupes financiers les plus actifs sur le marché espagnol des prêts hypothécaires, rappelle sur son site Internet que cette loi est la refonte d’un décret du 8 février 1946. Dans son guide « en caso de impago » (en cas de non-paiement) qui vise à rassurer les créanciers, il est fait état que : « si un emprunteur ne paie pas un crédit - qu’il soit personnel ou hypothécaire - il devra répondre avec tous ses biens, non seulement ceux qu’il possède présentement mais également ceux qu’il pourrait acquérir dans le futur, jusqu’à l’apurement complet de la dette ».

Le contexte idéologique dans lequel agissait cette association relevait d’un mythe très répandu à l’époque, selon lequel, comme l’affirmait un ex-président de l’AHE Gregorio Mayaya, il était « métaphysiquement impossible que le prix des logements baisse ». C’est en raison de mensonges comme celui-ci, qui ont fortement incité à l’achat, que des milliers de familles ont été expulsées de leur logement.

« Nous avons vécu au-dessus de nos moyens », cette autre grande assertion métaphysique, insulte la population. Celles qui ont effectivement vécu au-dessus de leurs moyens sont les grandes entreprises (de l’immobilier, de la construction et autres) et les institutions financières qui, par-dessus le marché, prétendent que c’est aux citoyens ordinaires de payer la facture. Or, en 2008, la dette financière des 5 principales sociétés immobilières cotées en bourse (Colonial, Metrovacesa, Realia, Royal Urbis et Martinsa Fadesa) représentait, selon le site idealista.com, 26,4 milliards d’euros.

Poussant le cynisme à son paroxysme, ces sociétés sont en plus de bien mauvaises payeuses. Une note de la Banque d’Espagne affirme que « le comportement des hypothéqués minoritaires (les ménages) est bien meilleur que celui de tout autre agent économique ». Effectivement, selon les données de l’AHE, le caractère « douteux » (retard de paiement de plus de 90 jours) des crédits concédés aux particuliers pour l’achat d’un logement était de 5,8 % au premier trimestre 2015, contre respectivement 32,9 % et 34,6 % pour les crédits destinés aux secteurs de la construction et de l’immobilier.

« L’éthique » des expulsions

La Coordination des affectés par les hypothèques (PAH) met en avant que « de nombreuses clauses abusives ont accompagné les prêts et que les biens hypothéqués en tant que garantie étaient absolument surévalués, et doivent dès lors être considérés comme des produits financiers toxiques ». Les pratiques hypothécaires en Espagne ont été si sauvages qu’elles ont conduit la Cour de justice de l’Union européenne à déclarer les exécutions hypothécaires espagnoles contraires à la législation de l’Union européenne, et la loi du Parti populaire de 2013 sur les expulsions, une violation des droits humains.

Plusieurs tribunaux ont statué en faveur des hypothéqués en raison du caractère abusif des clauses relatives au sol, tout comme des intérêts de 20 % dus au retard de paiement. Des juges ont également contesté une loi hypothécaire permettant aux banques de récupérer des biens, à défaut de paiement, pour moitié de leur valeur, tout en continuant à exiger le paiement du solde « manquant ». Certains jugements ont ainsi ordonné que les biens saisis soient rendus à leur propriétaire, comme le verdict de Gijón en janvier 2015. La PAH signale que différentes organisations de protection des Droits de l’Homme rejettent les expulsions forcées sans alternative de relogement et condamnent l’assujettissement à une dette perpétuelle (liée aux expulsions hypothécaires) comme des violations graves à l’article 25 de la Déclaration Universelle des Droits Humains ou encore au Pacte International sur les droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies.

Avec cette loi hypothécaire, les centaines de milliers de familles expulsées se sont vues refuser la dation en paiement, qui permet de s’acquitter de sa dette par la cession de son bien. En revanche, les grandes sociétés du secteur immobilier ont pu bénéficier de cette mesure, alors que la plupart d’entre elles sont liées dès l’origine aux sociétés financières locales comme Bankia, sauvées à plusieurs reprises par des fonds publics, et dont une multitude de banques et fonds étrangers (tels que Commerzbank, Eurohypo, Royal Bank of Scotland, Barclays, Crédit Agricole ou Goldman Sachs) ont été créanciers puis actionnaires.

La Société de Gestion des Actifs provenant de la restructuration bancaire (SAREB), aussi connue sous le nom de bad bank, a reçu des actifs immobiliers d’une valeur de 50,7 milliards d’euros de fonds publics garantis par l’État. Comme la transparence de la SAREB brille par son absence, l’on ne sait pas combien de ces actifs proviennent de dation en paiement de sociétés immobilières ou d’expulsions de familles. La création de cette structure de défaisance (2) a été imposée par les « partenaires européens » dans le Memorandum de la Troika (MoU) que le gouvernement espagnol a signé en juillet 2012 en échange du sauvetage du système bancaire.

Cette bad bank a, sous le contrôle strict de la Troïka, socialisé les dettes privées de sociétés immobilières et d’institutions financières espagnoles et internationales. Le sauvetage avec des fonds publics n’a pas servi à garantir les dépôts des épargnants, contrairement à ce que le discours dominant veut nous faire croire, mais à augmenter la dette et le déficit publics. Il a servi de justification à l’imposition d’une austérité brutale, ainsi qu’à l’enrichissement de fonds « vautours » et de leurs intermédiaires. A ce jour, 41,2 milliards d’euros sur les 50 de la SAREB sont gérés par trois fonds américains (Cerberus, Apollo et TPG).

La dette n’est pas métaphysique mais politique

La dette immobilière a ainsi atteint un niveau très élevé, et nous continuons à en payer le prix. En 2007, au début de la crise, la dette privée espagnole dépassait les 4 000 milliards d’euros. La répartition de cette dette privée était à 77 % celle des banques, et des entreprises et à 23 % celle des particuliers.

C’est à partir de l’éclatement de la crise que la dette publique a explosé. En 2007, elle ne représentait que 36 % du PIB, bien en-deçà de la moyenne européenne (66 %). En 2015, elle représente presque 100 % du PIB, à plus de 1 000 milliards d’euros. Des organismes comme la Banque d’Espagne imputent cette spectaculaire augmentation aux aides destinées au secteur financier, entre autres facteurs.

Autrement dit, le grand problème de la dette espagnole n’est pas dû à la dette publique, ou à la dette hypothécaire des ménages, mais bien à l’énorme dette des entreprises (de l’immobilier et de la construction, entre autres) et des sociétés financières. Une dette privée que les créanciers s’évertuent à socialiser depuis des années, avec la nécessaire complicité des gouvernements au pouvoir et sous contrôle strict de l’Union européenne.

Au sein de la Plateforme d’audit citoyen de la dette PACD, nous travaillons afin que les citoyens puissent auditer cette dette pour en répudier la partie illégitime, et que des actions soient menées en conséquence. Nous agissons en faveur de nombreux changements, à commencer par cette loi hypothécaire héritière de la dictature franquiste.

Traduction : Virginie de Romanet.

Notes

(1) Rapports du Conseil général du pouvoir judiciaire « conséquences de la crise sur les organes de justice ». Datos sobre el efecto de la crisis en los órganos judiciales - Datos desde 2007 hasta tercer trimestre de 2015 :
http://www.poderjudicial.es/portal/site/cgpj/menuitem.65d2c4456b6ddb62...

(2) La défaisance (ou désendettement de fait ; en anglais defeasance) est une opération financière consistant à céder simultanément des actifs financiers et des dettes à une société tierce, souvent une structure de défaisance. Cette cession est irrévocable (Source : Wikipédia).

»» http://cadtm.org/Espagne-pres-d-un-demi-million-d
URL de cet article 29866
  

« Cuba mi amor », un roman sur le Che de Kristian Marciniak (Rebelion)
Leyde E. Rodri­guez HERNANDEZ
Publié chez Publibook, une maison d’édition française, le roman de Kristian Marciniak : « Cuba mi amor » circule dans Paris ces jours-ci. Dans un message personnel adressé au chroniqueur de ce papier, l’auteur avoue que Cuba a été le pays qui lui a apporté, de toute sa vie, le plus de bonheur, les plus grandes joies et les plus belles émotions, et entre autres l’orgueil d’avoir connu et travaillé aux côtés du Che, au Ministère de l’Industrie. Le roman « Cuba mi amor » est un livre impressionnant de plus de (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

Partout où règne la civilisation occidentale toutes attaches humaines ont cessé à l’exception de celles qui avaient pour raison d’être l’intérêt.

Attribuée à Louis Aragon, 1925.

Comment Cuba révèle toute la médiocrité de l’Occident
Il y a des sujets qui sont aux journalistes ce que les récifs sont aux marins : à éviter. Une fois repérés et cartographiés, les routes de l’information les contourneront systématiquement et sans se poser de questions. Et si d’aventure un voyageur imprudent se décidait à entrer dans une de ces zones en ignorant les panneaux avec des têtes de mort, et en revenait indemne, on dira qu’il a simplement eu de la chance ou qu’il est fou - ou les deux à la fois. Pour ce voyageur-là, il n’y aura pas de défilé (...)
43 
L’UNESCO et le «  symposium international sur la liberté d’expression » : entre instrumentalisation et nouvelle croisade (il fallait le voir pour le croire)
Le 26 janvier 2011, la presse Cubaine a annoncé l’homologation du premier vaccin thérapeutique au monde contre les stades avancés du cancer du poumon. Vous n’en avez pas entendu parler. Soit la presse cubaine ment, soit notre presse, jouissant de sa liberté d’expression légendaire, a décidé de ne pas vous en parler. (1) Le même jour, à l’initiative de la délégation suédoise à l’UNESCO, s’est tenu au siège de l’organisation à Paris un colloque international intitulé « Symposium international sur la liberté (...)
19 
La crise européenne et l’Empire du Capital : leçons à partir de l’expérience latinoaméricaine
Je vous transmets le bonjour très affectueux de plus de 15 millions d’Équatoriennes et d’Équatoriens et une accolade aussi chaleureuse que la lumière du soleil équinoxial dont les rayons nous inondent là où nous vivons, à la Moitié du monde. Nos liens avec la France sont historiques et étroits : depuis les grandes idées libertaires qui se sont propagées à travers le monde portant en elles des fruits décisifs, jusqu’aux accords signés aujourd’hui par le Gouvernement de la Révolution Citoyenne d’Équateur (...)
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.