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La guerre psychologique contre Julian Assange (5ème partie) : une introduction à la propagande de guerre (New Matilda)

IMAGE : Surian Soosay, Flickr.

Plus tôt ce mois-ci, le 10 mars, le New York Times (NYT) s’est fait l’écho d’un récent article explosif sur le changement de régime au Venezuela. Depuis plus de deux semaines, les principaux organes de presse rapportaient que les forces loyales au président vénézuélien, Nicolas Maduro, avaient incendié un convoi humanitaire le 23 février dernier.

Le sénateur américain Marco Rubio a immédiatement diffusé la nouvelle passionnante sur Twitter, en annonçant que Maduro devait payer ’un prix élevé’, sur fond de scènes de nourriture et de médicaments incendiés. D’autres responsables américains ont fait écho aux sentiments de Rubio sur Twitter, notamment le conseiller à la sécurité nationale John Bolton, le secrétaire d’État Mike Pompeo et le chef de l’USAid Mark Green, qualifiant Maduro de ’tyran fou’ qui utilise des ’voyous masqués’ pour commettre des ’attaques violentes contre une aide vitale’.

Manifestement un peu emporté, le vice-président Mike Pence en a rajouté une couche en clamant que Maduro ’le tyran dansait pendant que ses acolytes... brûlaient nourriture et médicaments’.

’Des vedettes de l’information américaine et des personnalités des think tanks’, se joignirent à la partie, a écrit Glenn Greenwald, qualifiant le président vénézuélien de ’maléfique’ et ses militaires d’ ’animaux et criminels’. La sénatrice Diane Feinstein a appelé Maduro à démissionner.
CNN a même déclaré à son auditoire que des journalistes de CNN avaient été témoins oculaires de l’attaque.

La fausse histoire, rapporte Greenwald, ’ a tout changé... les politiciens qui étaient réticents à appuyer un changement de régime ont commencé maintenant à faire des déclarations qui l’appuient ’.

En réalité, ce qui s’est passé le 23 février, c’est que des manifestants anti-Maduro, du même bord que les Etats-Unis, avaient lancé des cocktails Molotov sur le convoi d’aide.

Selon le New York Times, ce n’était pas un acte intentionnel. Le chiffon enflammé s’est détaché et a volé dans la mauvaise direction. Parce que préparer des cocktails Molotov, les mettre en feu et les lancer près d’un convoi d’aide, c’est le genre de chose qui peut arriver à tout le monde. (Sauf pour les partisans de Maduro. S’ils avaient fait une chose pareille, ils seraient qualifiés d’animaux).

Fait significatif pour ceux qui s’intéressent aux informations exactes, un détail omis dans le rapport du NYT est que depuis le jour où le mensonge officiel a commencé à se répandre, les journalistes indépendants avaient déjà révélé la supercherie.

Plus de deux semaines avant le rapport du NYT, Max Blumenthal du Projet Grayzone a publié le 24 février un article expliquant que les ’preuves pointaient exactement dans la direction opposée’ du récit officiel. Le même jour, le journaliste Dan Cohen a publié une vidéo montrant un manifestant de l’opposition, et non un partisan de Maduro, lançant un cocktail Molotov en direction du camion de secours.

CNN, MSNBC, Fox News, PBS et les autres grands médias n’ont pas diffusé les reportages de Cohen et Blumenthal. Mais un autre média bien connu l’a fait, et dès le début, offrant à son public un vrai scoop.

Quel média ? Réponse :RT.

Glenn Greenwald a écrit : ’S’il vous plaît, dites-moi qui s’est comporté ici comme des propagandistes menteurs et des agents de la télévision d’Etat, et qui s’est comporté comme un journaliste qui essaie de comprendre et de rapporter la vérité ?’

Et d’ajouter : ’Toutes les grandes guerres de ces dernières décennies ont commencé de la même façon : le gouvernement américain fabrique un mensonge incendiaire et provocateur sur le plan émotionnel, que les grands médias américains prennent comme argent comptant tout en omettant de poser des questions ou de laisser exprimer des voix dissidentes’.

Même après la parution de l’article de NYT, les médias commerciaux ont à peine cligné des yeux. Pourtant, c’était la première fois en 20 ans que le NYT contredit un mensonge officiel, selon Mark Weisbrot du Centre for Economic and Policy Research. Ce qui est déjà digne d’intérêt en soi. (A décharge des auteurs du mensonge - cousu de fil blanc, impulsif et légèrement exagéré – en étaient réduits à improviser. Ce fut une occasion fortuite publiée sur Twitter, et non un plan préparé à l’avance depuis des années, comme pour les armes de destruction massive.)

Pendant ce temps, au fur et à mesure que tout cela se déroulait, la principale source mondiale d’informations précises sur la guerre, Wikileaks, a fait l’objet d’une persécution accrue par le gouvernement américain.

Premièrement, Chelsea Manning, responsable de certaines des vérités les plus explosives sur les guerres occidentales récentes, fut envoyée en prison. Encore une fois. Cette fois, Manning a été emprisonnée pour avoir refusé de participer à une enquête du Grand Jury sur Wikileaks, au motif que cela violait ses droits au premier, quatrième et sixième article de la Constitution. Elle a dit : ’Je ne participerai pas à un processus secret auquel je m’oppose moralement, particulièrement à un processus qui a été utilisé pour piéger et persécuter des militants pour des propos politiques protégés par la Constitution’.

Chelsea Mannig lors d’une conférence en Allemagne en 2018 (IMAGE : Media Convention Berlin, Flickr)

En réponse, 20 membres allemands du Bundestag se sont prononcés publiquement en faveur de Chelsea Manning, Julian Assange et Wikileaks.

Au sujet de son refus de témoigner, Manning a rappelé qu’elle avait déjà présenté tous les éléments pertinents devant une cour martiale en 2013, ajoutant qu’elle craignait d’être ’forcée de faire marche arrière sur la vérité’. Daniel Elsberg, lanceur d’alerte des Pentagon Papers, a déclaré : ’Ils veulent qu’elle contredise son témoignage antérieur donné sous serment... à savoir qu’elle s’est comportée avec WikiLeaks exactement comme elle l’aurait fait avec le New York Times ou le Washington Post.’

Le Grand Jury qui cherche à forcer Chelsea Manning à témoigner, mène actuellement une enquête sur Julian Assange et Wikileaks, probablement pour avoir révélé les mensonges sur les guerres en Irak et en Afghanistan, révélations basées en partie sur les fuites de Chelsea Manning.

Comme indiqué dans les parties 2 et 3 de cette série [liens vers articles en français - NDT], si le ministère de la Justice de Trump réussit à poursuivre Julian Assange de cette manière, les journalistes qui cherchent à révéler les mensonges officiels et les secrets des gouvernements US devraient se méfier. Ce serait la première fois qu’un rédacteur en chef serait poursuivi pour avoir publié des informations classifiées. Le précédent qu’il créerait risque de criminaliser le journalisme. C’est ce que disent les grands juristes de gauche et de droite, dont les avocats actuels et anciens du New York Times.

Une extradition vers les Etats-Unis violerait le droit international, les droits de l’homme ainsi que le droit d’asile. Pour le souligner, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a récemment publié une déclaration dans laquelle elle ’déclare avec force à l’Équateur...[que] l’Équateur a l’obligation internationale de ne pas livrer Assange’ aux États-Unis.

Cependant, sans doute conscient des obligations légales et des risques posés, Jeff Sessions a déclaré, lorsqu’il était Ministre de la Justice en 2017, que l’arrestation d’Assange était une ’priorité’. Quant aux implications pour le journalisme en général, Sessions a refusé d’exclure la possibilité de poursuivre d’autres médias dans le sillage de Wikileaks.

En tant que directeur de la CIA, Mike Pompeo a également confirmé que la CIA ’travaillait pour faire tomber’ Wikileaks. Pompeo a ajouté qu’avec Wikileaks, son administration poursuivrait ’avec beaucoup de vigueur’ d’autres ’petits’ médias.

Plus récemment, Michael J. Fitzpatrick, l’ambassadeur désigné de Trump en Équateur, a déclaré lors de son audience de confirmation que l’’activité hostile’ de Julian Assange était ’un problème et que le laisser durer beaucoup plus longtemps nuirait à nos intérêts, et je crois aussi à ceux de l’Équateur’.

Tout au long de cette affaire, une chose est claire. Les grands médias n’abordent aucune de ces questions avec l’attention et la priorité qu’elles méritent : ni l’emprisonnement de Manning, ni l’accélération de la poursuite de Wikileaks et Julian Assange par l’administration Trump, ni les implications juridiques, ni le soutien croissant à Wikileaks de la part des organisations démocratiques et de défense des droits humains, pas plus que la signification du dernier mensonge officiel dans une longue série de mensonges officiels en faveur de la guerre.

Ce silence officiel vient peut-être du fait que toutes ces questions convergent vers une vérité simple, que les médias commerciaux ne peuvent se permettre d’approcher en raison de leur propre complicité :les guerres ont besoin de mensonges.

C’est une des principales raisons pour lesquelles le gouvernement US doit mettre la main sur Julian Assange.

Mobiliser les populations pour la guerre

Le psychologue Kevin Durrheim et ses collègues notent que lorsque les élites veulent déclencher une guerre, avant de pouvoir commettre des actes de violence, ’les populations doivent être mobilisées parce que le plus souvent, elles ne veulent pas la guerre’. Les psychologues citent George Creel, propagandiste du Committee for Public Information, qui a déclaré que ’le peuple doit être intellectuellement et physiquement mobilisé [pour la guerre]’.

Le soutien au changement de régime, par exemple, doit s’accompagner de récits sur des ’criminels et animaux’ qui mettent le feu à un convoi d’aide humanitaire. Lorsque la vraie réalité est que des intérêts des commerciaux cherchent à voler le pétrole d’un pays souverain, il faut créer une réalité alternative.

Tout comme il faut créer une réalité alternative lorsque l’État veut mettre fin au journalisme d’investigation et aux enquêtes sur les sujets de sécurité national, représentés par Wikileaks.

En d’autres termes, il faut de la propagande.

La propagande, selon Piers Robinson, titulaire de la chaire en politique, société et journalisme politique à l’Université de Sheffield, implique ’la manipulation organisée, systématique et intentionnelle de l’information de manière à déformer la perception de la réalité ou à pousser les gens à se comporter de manière inhabituelle’. Comme soutenir les guerres pour le pétrole.

Dans un livre publié en 2018, Robinson écrit que la propagande émane non seulement du gouvernement et des entreprises de relations publiques, mais aussi de ’think tanks, d’ONG et... de ce qu’on appelle l’État profond, y compris les services de renseignements’. (qui, soit dit en passant, font un bien meilleur travail que Pence et consorts ne l’ont fait avec leur fiasco de l’incendie de l’aide humanitaire.)

Vice Président Mike Pence au CPAC 2017. (IMAGE : Michael Vadon, Flickr)

C’est dans cet esprit qu’en 2008, avec l’arrivée de Wikileaks sur la scène médiatique, la branche Cyber Contre-espionnage du Département de la Défense américain (DoD) a présenté un plan pour briser la ’confiance’ qui est au ’centre de gravité’ de Wikileaks.

Comment ?

Selon le site Web de la CIA, les opérations de contre-espionnage, telles que la mission du DoD contre Wikileaks, cherchent à ’tirer parti’ des ’vulnérabilités’ de l’adversaire. Comme nous l’avons noté dans les précédents articles de cette série, dans le cas de la guerre contre Wikileaks, ces vulnérabilités sont entre autres les vulnérabilités résident dans les systèmes de traitement de l’information chez tous les êtres humains.

Ce sont nos propres vulnérabilités, en tant que consommateurs de médias, qui ont été mises à profit et exploitées dans la campagne de contre-espionnage contre Wikileaks, bouleversant la réalité à tel point que la censure est devenue un bastion de la démocratie et la liberté d’expression une menace à écarter.

Dans la quatrième partie [lien vers article en franaçsi – NdT] de cette série, j’ai abordé les vulnérabilités « motivationnelles » qui ont été exploitées dans le cadre de cette campagne, quels éléments de propagande avait été utilisés et quand. Dans cette dernière partie, j’explorerai les vulnérabilités plus techniques et axées sur l’efficacité, qui sont exploitées dans toutes les grandes offensives de propagande, en particulier les campagnes en faveur de la guerre, qui affectent la manière dont la propagande est déployée.

Comme nous l’avons vu dans la quatrième partie, les principales vulnérabilités motivationnelles mises à profit dans l’offensive de propagande contre Julian Assange et Wikileaks concernent la justification du système ou la volonté de considérer son système social comme bon, juste et équitable ; le dénigrement des défenseurs de la morale ou l’impulsion de frapper les critiques sociaux avec une chaussette remplie de merde, pour reprendre les mots de Joseph McCarthy ; le motif de la réalité partagée ou la tendance à aligner sa perception de la réalité avec ceux qui nous entourent ; la sensibilité aux processus psychologiques de groupe, en particulier lorsque nous avons peur ; et la tendance à cesser toute critique et à croire les autorités lorsque nous sommes perdus.

Les traits psychologiques susceptibles de favoriser de telles vulnérabilités comprennent un besoin élevé d’ordre, de structure, de certitude et de contrôle, une tolérance faible pour la confusion, une tendance à l’auto-illusion, un souci de l’image sociale, une tendance aux préjugés de groupe (nous contre eux), et des aspirations d’appartenir aux élites.

Inversement, les traits psychologiques susceptibles de favoriser la résistance motivationnelle aux récits officiels, comme ceux racontés sur Wikileaks et Julian Assange, sont un niveau faible de besoin d’ordre, de structure, de certitude et de contrôle, un désir d’aller au fond des choses, un faible niveau d’auto-illusion, un désintérêt de l’image sociale, une grande tendance à juger les autres en fonction de leurs qualités plutôt que de leur groupe d’appartenance, et des aspirations moins élitistes.

Comme tous les traits psychologiques, il va sans dire qu’il s’agit là de généralités. Personne n’est une moyenne psychologique ambulante. Néanmoins, ils décrivent des grands ensembles psychologiques qui seraient plutôt sensibles ou plutôt résistants aux vulnérabilités motivationnelles de la propagande officielle sur Julian Assange et Wikileaks (et Russiagate).

La réalité à la volée

A part les vulnérabilités motivationnelles qui favorisent l’acceptation de la propagande sur Julian Assange, il y a les vulnérabilités techniques. Une fois qu’un récit a été diffusé dans un milieu réceptif, comment est-il consolidé et enraciné ? Quelles tactiques sont employées pour le faire prendre racine ?

Une fois la propagande semée, on fera appel à des mécanismes de traitement qui favorisent la vitesse et l’efficacité pour faire en sorte que les récits de propagande, avec le temps, seront perçus comme ’vrais’ par le cerveau. Par exemple, les récits sont répètes sans cesse pour leur attribuer un traitement fluide que le cerveau perçoit comme un indicateur de réalité, ou de vérité. Par conséquent, la répétition en boucle est une tactique clé de la propagande.

En bref, alors que les vulnérabilités motivationnelles déterminent quels sont les récits de propagande qui sont mis en place et quand, les vulnérabilités techniques déterminent comment les récits de propagande sont déployés, diffusés et entretenus.

Pourquoi notre système de traitement de la réalité accorde-t-il la priorité à l’efficacité, souvent aux dépens de la précision, créant ainsi une sensibilité à la propagande ? Parce que pour faire face à la grande quantité d’informations qui nous parvient quotidiennement, notre cerveau prend des raccourcis pour ne pas être surchargés. Ces raccourcis inconscients sacrifient souvent la précision au profit de la vitesse, créant ainsi autant d’occasions de tromper le cerveau.

Manifestants devant l’ambassade de l’Équateur pour soutenir Julian Assange, en mai 2013. (IMAGE : Voir Li, Flickr)

Les vulnérabilités exploitées au niveau technique sont assez répandues, car inhérentes au traitement de la réalité chez presque tout le monde, et sont donc moins susceptibles de différer d’une personne à l’autre que les processus axés sur les vulnérabilités motivationnelles.

Par conséquent, les tactiques conçues pour exploiter ces vulnérabilités techniques sont pratiquement identiques d’une campagne de propagande à l’autre, que ce soit pour une campagne de guerre contre le journalisme via Julian Assange ou une campagne de guerre contre un peuple via son dirigeant. Une fois que vous comprenez ces stratégies simples et comment elles fonctionnent, vous savez les repérer à des kilomètres à la ronde.

Si les vulnérabilités techniques de la perception de la réalité sont omniprésentes chez tout le monde, cela signifie-t-il que tout le monde est sensible à la propagande ?

Non. Heureusement. Malgré nos vulnérabilités communes, il existe encore des états d’esprit et des circonstances qui favorisent la résistance à la propagande, même techniquement parlant. Si vous avez lu jusqu’ici, vous avez probablement déjà un tel esprit.

En attendant, quelles vulnérabilités techniques ont été exploitées dans la campagne de diffamation contre Julian Assange et Wikileaks ? Et comment ?

L’appariement et le marquage

Pour gérer une énorme quantité d’information, le cerveau a tendance à marquer de façon simpliste et inconsciente les personnes et les choses familières en ’bonnes’ ou ’mauvaises’. Il le fait en utilisant des émotions positives et négatives, connues sous le nom de marqueurs affectifs. Le processus sert à guider en quelques millisecondes nos réactions aux objets et entités qui nous entourent, avant même que nous ayons eu le temps de réfléchir, facilitant une réponse rapide et efficace.

Comme guides à travers la réalité, les émotions ont l’avantage d’être extrêmement rapides et puissantes. Elles peuvent exercer leur influence en 15 millisecondes, alors qu’une prise de décision consciente n’intervient qu’environ 1 seconde plus tard.

Les émotions véhiculent également une mine d’informations sous une forme condensée, nous avertissant immédiatement que quelque chose peut être dangereux, injuste, suspect, digne de confiance, indigne de confiance, amical ou hostile, et ainsi de suite. Cela nous permet d’approcher ou d’éviter, d’attaquer ou de se protéger, d’abandonner ou d’aider, selon le cas, avant de nous engager dans une évaluation consciente. C’est une capacité inestimable dans des moments de fortes sollicitations.

Et même si cet arrangement peut sembler sous-optimal, où les émotions se chargent du traitement initial de l’information, suivies après coup par une ’délibération consciente’, la plupart du temps, cela fonctionne bien. Un tel arrangement, par exemple, nous permet de naviguer de manière fluide à travers l’expérience extrêmement complexe et riche en termes d’informations qu’est l’interaction sociale.

De plus, lorsque les zones du cerveau qui régissent les émotions sont endommagés, on constate une baisse dans la capacité à résoudre des problèmes, même pour les problèmes basés sur la probabilité, et même lorsque la mémoire, l’attention, l’apprentissage et l’intelligence demeurent intacts.

Cependant, dans la propagande, comme dans la publicité et d’autres formes de formatage de l’opinion, le penchant du cerveau pour l’appariement et le marquage est facilement exploité, que ce soit pour vendre des produits, des objectifs politiques ou des guerres.

Dans la publicité, les produits sont marqués de manière positive, alors que dans la propagande pro-guerre, le mécanisme de marquage consiste à coller une « cible émotionnelle » sur la victime contre qui les propagandistes cherchent à mobiliser. La cible doit simplement être appariée de façon répétée avec une émotion qui appelle une réponse violente. Les émotions les plus mobilisatrices sont la peur, la rage et la haine. La colère, la répulsion et l’indifférence peuvent aussi faire l’affaire.

Comme d’autres l’ont dit à la suite de l’horrible massacre d’une mosquée de Christchurch le 15 mars dernier, cette tactique est déployée contre la communauté musulmane depuis des années, afin de soutenir le massacre en masse perpétrée par l’Occident à travers tout le Moyen Orient.

Un hélicoptère américain patrouille au-dessus du ciel de Bagdad. (DVIDSHUB, Flickr)

Plus précisément, les émotions suscitées par les attentats du 11 septembre 2001 et canalisées vers la guerre contre le terrorisme ont été utilisées simultanément pour marquer les musulmans en général comme étant dangereux et mauvais. Ce résultat a été obtenu en associant de manière répétée et fallacieuse l’islam à l’extrémisme violent, en plaçant une cible émotionnelle - et littérale - sur de millions d’êtres humains innocents au Moyen-Orient.

Un seul article mentionnant les attentats du 11 septembre, ou l’avertissement d’une future attaque islamiste imprécise, suscite suffisamment d’angoisse collective pour obtenir le pardon pour les atrocités commises par les États-Unis en Irak. Dans le monde réel, le fait d’associer régulièrement l’islam au terrorisme a contribué à tuer entre 500 000 et 1,3 à 2 millions de personnes depuis le 11 septembre 2001.

L’auteur du massacre de Christchurch, en se livrant lui-même à un acte violent, a rompu le contrat social de la guerre et la prérogative de l’Etat à exercer la violence. Selon les normes de la guerre, les massacres comme celui de Christchurch doivent être perpétrés avec des armes de l’État, à la discrétion de l’État et dans des pays lointains, plutôt que dans un voisinage où le carnage sera vécu de près et pour ce qu’il est réellement.

Lorsque le contrat se déroule comme prévu, la stratégie simple qui consiste à associer islam et extrémisme incite suffisamment de membres des populations occidentales à ressentir suffisamment de peur et de rage, ou simplement de mépris, pour qu’ils détournent leur regard - alors que 10 000 à 40 000 massacres de Christchurch sont perpétrés à travers le Moyen-Orient en leur nom.

Le problème avec Wikileaks, du point de vue de la guerre, c’est qu’il interfère avec tout cela, psychologiquement parlant. En 2010, lorsque Wikileaks a publié la vidéo sur le meurtre collatéral et les journaux de guerre de l’Irak et de l’Afghanistan, les populations occidentales n’ont pas pu continuer à détourner le regard.

Il est difficile pour les propagandistes d’exploiter la tendance du cerveau à effectuer un marquage affectif simpliste (nous sommes bons, ils sont mauvais), lorsque Wikileaks montre au public occidental la réalité humaine de la guerre : ’la misère générale de la guerre’, comme l’a décrit Assange dans son journal de guerre afghan. ’Les petits événements continuels, la mort incessante d’enfants.’ Les ’milliers de crimes de guerre potentiels’ qui constituent une guerre.

De même, des images vidéo de troupes américaines qui abattent nonchalamment des parents devant leurs enfants, ainsi que des journalistes de Reuters et leurs sauveteurs, suffisent à humaniser des victimes et à provoquer des failles émotionnelles dans l’effort de propagande le plus concerté qui soit.

Après cette entrave à la propagande pro-guerre, l’enquête secrète du Grand Jury sur Julian Assange a commencé en 2010. C’est le même Grand Jury qui se poursuit encore aujourd’hui. En tandem avec ce Grand Jury, une opération pan-gouvernementale dirigée par le FBI a été lancée sur Wikileaks en 2010, et Assange a été placé sur une liste ’de chasse à l’homme’ de la NSA.

Au cours de l’enquête, en 2011, Fred Burton, alors vice-président chargé de la lutte contre le terrorisme de la société de sécurité privée Stratfor, a écrit : ’Assange fera une jolie épouse en prison. Au diable le terroriste. Il mangera de la nourriture pour chat pour le reste de sa vie.’

Pourquoi ? Parce que, selon Burton, Assange ’est un pacifiste’.

Si le Grand Jury obtient gain de cause, et si Julian Assange fait face à des accusations secrètes pour son activité pacifiste - dénoncer les crimes de guerre - les propagandistes du monde entier pour dormir tranquilles sur leurs deux oreilles.

Parce que, comme nous l’avons vu dans la deuxième partie de cette série [lien vers article en français - NdT], pour soutenir les récits de propagande pro-guerre qui alimentent les marqueurs de propagande, il faut écarter les informations qui contredisent le récit officiel. A tous les niveaux de la propagande, l’omission est un aspect essentiel.

Ce qui signifie que Wikileaks et d’autres médias indépendants doivent être fermés pour que les propagandistes de guerre puissent faire leur travail sans entrave. Un article isolé de vérité sur l’opération de changement de régime au Venezuela publié dans le New York Times est une chose. Mais Wikileaks en est une autre.

Si les propagandistes de guerre perdaient leur monopole sur la vérité, les guerres ne continueraient pas à faire rage et les êtres humains ne seraient pas massacrés en toute impunité.

Ce qui est la raison d’être d’une plutocratie.

D’autant mieux pour vous faire taire.

Afin de mobiliser la complicité pour un tel projet et de préserver la propagande, Julian Assange a été psychologiquement pris comme cible à détruire, comme n’importe quel adversaire. Tout comme l’islam a été associé au terrorisme, Wikileaks aussi, incitant certaines populations occidentales à détourner le regard tandis que Julian Assange est détenu et persécuté de manière arbitraire.

Dans le contexte de Russiagate, le piratage présumé a également été associé à des rappels de Pearl Harbour et du 11 septembre 2001, visant à mobiliser directement les émotions du public en faveur d’une riposte ’proportionnée’.

Julian Assange, photographié à l’ambassade d’Équateur en 2014, avec Ricardo Patiño, alors ministre des Affaires étrangères de l’Équateur. (IMAGE : David G Silvers, Cancillería del Ecuador, Flickr)

Pour mobiliser les populations à des fins de représailles, y compris contre les ’rébellions de l’information’ sur le ’champ de bataille’ de l’Internet, la terreur et les menaces sont précieuses. Dans les études psychologiques, la peur et la détresse à la suite d’attentats terroristes, par exemple, sont associées à un désir de vengeance. La peur et la menace renforcent également le soutien aux politiques autoritaires, y compris la répression des protestations et de la dissidence. C’est d’autant mieux pour vous faire taire.

Parmi les efforts les plus récents visant à susciter des désirs de vengeance et une volonté de réprimer la dissidence, les cas les plus flagrants d’appariement et de marquage ont sans doute été déployés autour de la Russie. Les expressions ’agression russe’, ’ingérence russe’, ’piratage russe’, ’collusion russe’ et ’ingérence russe’ circulent sans interruption depuis près de deux ans.

Sous-jacent au récit que la Russie ’a piraté notre démocratie’ est l’idée que la Russie menacerait notre culture, notre société et notre mode de vie. Les psychologues appellent ces menaces des menaces symboliques.

Il est important de noter que dans les programmes pro-guerre, les groupes considérés comme une menace symbolique sont également considérés comme moins humains. Considérer les autres comme moins humains favorise l’indifférence à la souffrance et le soutien à la violence, à la discrimination et aux abus, et même la guerre.

Dans ce processus, le désengagement moral entre en jeu, par lequel ’les membres déshumanisés d’un groupe sont exclus de la communauté morale ; on ne se sent pas obligés de leur appliquer les normes morales réservées aux personnes pleinement humaines’.

C’est d’autant mieux pour vous persécuter. Tout en ignorant deux décisions de l’ONU fondées sur le droit relatif aux droits humains et la Cour interaméricaine des droits de l’homme.

Étant donné le rôle violent, déshumanisant et moralement corrosif de la menace symbolique, l’établissement d’un lien fébrile et implacable avec la Russie, dès le lendemain de l’élection de Trump, a fait de Russiagate une opération de propagande offensive. Comme le méchant russe tiré d’un dessin animé, cible parfaite de la propagande.

Une fois l’affaire Russiagate lancée et la Russie dûment marquée, le terme ’Russie’ devint un outil de propagande avec lequel d’autres cibles pouvaient être attaquées, répandant ainsi à grande échelle la menace symbolique. Au cours de l’affaire Russiagate, la Russie a été identifiée avec Black Lives Matter, des militants écologistes, Jill Stein, des candidats progressistes, des médias indépendants, des Afro-américains et Julian Assange.

Des menaces symboliques, pour la plupart. Ce qui les rend tous moins humains, moins dignes et plus faciles à violenter.

Assange, bien sûr, a été particulièrement visé par cette stratégie. Son nom a été associé sans cesse à ’Russie’, ’Les Russes’, ’Le Kremlin’, ’Vladimir Poutine’ et ’Donald Trump’ (Trump étant lui-même « Russe » dans l’esprit Russiagate). Ce qui a aboutit à déshumaniser Assange, perçu désormais comme une menace symbolique, et facilité, psychologiquement, l’indifférence lorsqu’il fut coupé du monde extérieur et soumis à la torture sous forme d’isolement, mettant peut-être sa vie en danger selon le Groupe de travail sur la détention arbitraire (GTDA) de l’ONU.

L’association entre ’Julian Assange’ et ’Donald Trump’ a également marqué Assange avec des émotions liées à Trump, une véritable aubaine de propagande étant donné le torrent d’émotions qui a suivi l’élection de Trump en 2016.

Quel en a été l’effet ? Alors que l’enquête Mueller touche à sa fin, sans qu’aucune preuve de collusion n’ait été démontrée après deux ans d’enquête, qu’est-ce qui en ressort ?

Bien que la stratégie d’appariement et de marquage puisse sembler trop simple pour être efficace, avec suffisamment de répétition et d’exploitation émotionnelle, elle fonctionne. Au fil du temps, les émotions associées aux cibles de propagande font que les récits de propagande sont perçus comme ’réels’ par le cerveau.

Par exemple, après 22 mois d’enquête Mueller, qui n’a présenté aucune preuve de collusion entre Wikileaks, Donald Trump ou la Russie, mais qui a fourni pendant 22 mois des occasions de dire ’piratage russe’, voici ce que Michael J. Fitzpatrick, nommé ambassadeur des États-Unis en Équateur, a pu affirmer le 13 mars, comme s’il s’agissait d’un fait établi.

Fitzpatrick a fait allusion à la fin de l’asile d’Assange à l’ambassade équatorienne, en violation des conclusions du Groupe de travail de l’ONU et de la CIDH, au motif qu’Assange avait mené des ’activités hostiles’ qui visaient à ’saper la démocratie américaine’.

En d’autres termes, avec ou sans preuves, Fitzpatrick a utilisé deux années de propagande pour plaider la violation illégale de l’asile d’Assange, ainsi que de ses droits civils, politiques, humains et juridiques, et l’expulser de l’ambassade équatorienne. Joe Lauria, qui anime les veillées en ligne d’Unity4J pour Julian Assange, a qualifié le développement de ’glaçant’.

Fluidité et répétition

Un deuxième point faible de la perception humaine de la réalité, qui interagit avec l’appariement et le marquage, concerne la fluidité du traitement.

Afin de gagner du temps, chaque fois que notre cerveau nous offre une ’représentation mentale’ du monde, par exemple la terre est ronde, notre esprit adopte cette représentation pour garantir la fluidité. En d’autres termes, avec quelle aisance et fluidité cela vous vient-il à l’esprit ?

Plus la représentation mentale est traitée avec aisance (par exemple ’la Russie a piraté notre démocratie’), plus notre cerveau la juge fiable. Et plus nous l’avons déjà entendue (par exemple ’la terre est ronde’), plus sa fluidité est grande.

L’exploitation de cette vulnérabilité est à l’origine de la tactique de propagande qui consiste à poser sans cesse et de façon répétée les marqueurs de propagande sur des cibles, comme dictateur et tyran sur Maduro, ou piratage et ingérence sur Russie, traçant ainsi dans le cerveau une voie fluide, comme l’eau qui érode un ravin au pied d’une colline.

Tout comme le marquage affectif, la fluidité des représentations mentales s’effectue de façon inconsciente, en quelques millisecondes, avant que nous ayons le temps d’exercer une pensée consciente. Plus généralement, elle fait partie d’un processus connu sous le nom de reality monitoring [contrôle/surveillance de la réalité - NdT], par lequel notre cerveau surveille automatiquement ses propres perceptions du monde en cherchant des indicateurs de réalité, dont la fluidité, entre autres. L’ensemble du mécanisme fournit une évaluation rapide de ce qui est susceptible d’être vrai ou pas.

Pourquoi la fluidité ? Parce que, au-delà de la propagande et de la publicité, plus souvent nous rencontrons un même concept, par exemple la terre est ronde, plus nous pouvons le prendre pour acquis sans avoir à l’évaluer de nouveau.

Le résultat final est que lorsque nous entendons quelque chose que nous avons déjà entendu des millions de fois, à moins d’avoir des raisons d’en douter (par exemple, nous le reconnaissons comme de la propagande ou nous nous méfions de la source), cela paraît viscéralement vrai, et réel.

La répétition, bien sûr, a été une caractéristique non seulement de Russiagate (en doses massives) mais aussi de la campagne de diffamation contre Wikileaks et Julian Assange. Les marqueurs de propagande et les récits de propagande qu’ils véhiculent, qu’il s’agisse de terroriste, fugitif, violeurs, ennemi, agent étranger, justice britannique, « il peut sortir quand il veut », Trump, Poutine, Kremlin ou Russie, sont sans cesse associés à Julian Assange.

Afin de faciliter la répétition, des excuses sont inlassablement fabriquées pour rejouer les récits de propagande qui justifient les termes. Une caractéristique centrale de Russiagate, par exemple, y compris le rôle présumé de Wikileaks, a été la perpétuelle annonce d’une nouvelle ’révélation explosive’ censée annoncer le début de la fin pour Donald Trump, ou de nouveaux ’éléments d’information’ d’une farce à rebondissements, créant autant d’occasions de répéter des termes de propagande et tracer des voies de fluidité dans l’esprit du public.

Aussi implacables et répétitifs qu’ils soient, ces ’révélations explosives’ et ces ’éléments d’information’ font un flop, prouvant qu’ils sont faux et inventé de toutes pièces. Leur but, cependant, n’est pas de monter un dossier, ni de recueillir des preuves ou d’avancer un argument. Leur but, au-delà de la confusion, est d’être un vecteur de répétitions.

Alors même que tout indique que M. Mueller n’émettra plus d’actes d’accusation, les adeptes du Russiagate profitent de l’occasion pour accélérer et perpétuer des récits de propagande sans preuves, comme l’illustre amplement ce fil Twitter.

De même, lorsque le Royaume-Uni a prolongé l’enquête suédoise sur Assange pendant quatre années inutiles, cela a offert quatre années supplémentaires pour répéter les calomnies.

Inversement, les concepts et scénarios hostiles à la campagne de propagande sont soigneusement écartés, afin d’être traités avec moins de fluidité et moins susceptibles d’être considérés comme ’vrais’ par le cerveau. Dans le cas d’Assange, les termes bannis sont « journaliste », « lauréat de prix », « pacifique », « persécuté », « détenu arbitrairement », « vérité », « intérêt public », « organisation médiatique », « éditeur » et « candidat au prix Nobel de la paix ».

Par exemple, après que The Guardian a publié en première page un article bidonné sur une réunion entre Assange et Manafort, et bien que l’histoire ait été presque immédiatement discréditée, le journal n’a publié aucune rétractation, correction ou commentaire. Le faire créerait une occasion indésirable d’introduire des termes bannis qui rivaliseraient avec les termes de propagande et entraveraient la fluidité. Des termes bannis tels que ’accusé à tort’, ’bouc émissaire’, ’diffamé’, ’calomnié’, ’piégé’ et ’innocent’.

Le visage de la haine

En plus de la peur et de la menace, la haine est une émotion utile pour cibler les ennemis à détruire. La haine, cependant, contrairement à la peur, exige des cibles humaines.

Alors que la peur peut être mobilisée contre toute menace perçue, qu’il s’agisse d’une organisation, d’une nation ou d’un individu, la haine est une émotion plus spécifiquement interpersonnelle.

Des cibles humaines spécifiques avec un nom et un visage, comme Julian Assange, sont donc les cibles émotionnelles par excellence lors d’une campagne de propagande. Non seulement elles peuvent être associées à des marqueurs incitant à la haine, mais en tant qu’espèce sociale, les êtres humains sont câblés pour ressentir les émotions les plus fortes et les plus passionnées lorsqu’elles concernent d’autres êtres humains. Ce qui permet de dire que la guerre est d’une certaine manière un crime passionnel collectif.

Lorsqu’il s’agit de mobiliser les populations pour un changement de régime, par exemple, en plus de marquer émotionnellement une race, une religion, une nation ou un groupe, les dirigeants du groupe visé sont généralement diabolisés. Des descripteurs chargés d’émotions comme ’dictateur’, ’tyran’, ’brutal’, ’autoritaire’ et ’régime’ sont sans cesse associés au nom et au visage du dirigeant. Dans le cas de Maduro, ’animal’, ’maléfique’, ’malade’ et ’voyou’ ont été largement employés.

Les récits à l’appui des marqueurs sont présentés, peu importe qu’ils soient imprécis ou faux. Par exemple, en blâmant Maduro pour les difficultés provoques par les sanctions économiques US.

Marquer ainsi le leader a l’avantage de mobiliser la haine et la vengeance d’une ampleur qui occulte la véritable cible de la guerre, à savoir le peuple. Les émotions intenses, comme celles que l’on éprouve à l’égard d’autres êtres humains, non seulement provoquent des réactions agressives, mais concentrent l’esprit sur la cible, qu’il s’agisse d’un journaliste ou d’un dirigeant que l’on cherche à renverser.

Dans un tel état émotionnel, tout le reste passe au second plan, y compris les milliers d’êtres vivants qui devront être exterminés.

Ainsi en est-il de la guerre contre Wikileaks. De violeur à terroriste à la petite P**** de Poutine en passant par toute une gamme d’épithètes, Julian Assange est associé sans relâche depuis presque dix ans maintenant à des marqueurs incitant à la haine. Dans un état de fixation émotionnelle, ceux qui sont tombés dans le piège de cette tactique sont incapables de voir au-delà de Julian Assange, de voir plus généralement le monde du journalisme et de la dissidence qui sont attaqués à travers Assange.

Pour épingler une cible de haine sur Julian Assange, le terme ’violeur’ s’est révélé des plus efficaces. Les émotions réelles et brutes du public au sujet du viol et des agressions sexuelles, y compris le traumatisme, l’impuissance, la honte, l’horreur et la rage, ont été à la base de cette insulte. De tels sentiments, réels et souvent profondément douloureux, ont été exploités pour marquer Julian Assange comme ’mauvais’. Dans cette équation, ce n’est pas seulement Assange qui a été maltraité, mais aussi les nombreuses personnes dont les blessures psychologiques ont été exploitées pour y trouver des éléments émotionnels avec lesquels Julian Assange pouvait être marqué.

Comme l’écrivaient en 2012 les représentantes de Women Against Rape [lien vers la traduction française - NdT] : ’Les autorités se soucient si peu de la violence contre les femmes qu’elles manipulent à volonté les allégations de viol... cette fois pour faciliter l’extradition d’Assange ou même sa restitution aux Etats-Unis.’

Manipuler les allégations de viol ? Que veulent-elles dire ?

L’enquête suédoise sur Julian Assange n’a jamais été ce que les médias commerciaux ont laissé croire, pas plus que l’incendie du convoi au Venezuela. Au début, en réponse à l’émission par la police d’un mandat d’arrêt à l’encontre d’Assange, l’une des femmes ’s’est trouvée désemparée et a refusé de témoigner à nouveau’. La femme au coeur de l’allégation de viol a déclaré dans des SMS vus par les avocats d’Assange qu’elle ’ne voulait pas accuser Assange pour quoi que ce soit’, et que ’la police tenait à mettre la main sur lui’ et que c’était ’la police qui inventait’ les allégations.

Selon une déclaration officielle de l’ancien procureur du district de Stockholm et directeur du parquet régional de Stockholm, l’enquête fut irrégulière du début à la fin. La Suède elle-même a cherché à clore l’enquête, toujours préliminaire, en 2013 en interrogeant Assange à l’ambassade de l’Équateur. Le Royaume-Uni, cependant, n’a pas accepté, prolongeant inutilement l’affaire pour quatre années supplémentaires.

Ce qui constitue un autre indice de propagande. Si vous creusez sous le marqueur à la recherche de faits précis, la marqueur s’effrite. Là où vous devriez trouver un ensemble de preuves, vous ne trouverez que des affirmations et des généralités basées sur des éléments logiquement et factuellement bancals. Pour le découvrir, il faut se tourner vers les médias indépendants.

Cependant, le problème avec les faits et preuves qui vont à l’encontre d’une campagne de propagande, c’est qu’une fois la cible désignée et le marqueur posé, la narrative s’auto-alimente d’elle-même. Les émotions attachées à la cible favorisent la délibération consciente qui rationalise et entretient les sentiments. Cette tendance est si forte que les professeurs de science politique Milton Lodge et Charles S Taber ont écrit un livre entier sur le sujet, intitulé The Rationalising Voter.

Dans le cadre de tout le processus, après avoir marqué une cible avec une émotion, l’esprit se ferme à toute information que la contredit. En d’autres termes, un biais de confirmation se met place, par lequel l’information qui contredit le marqueur de propagande se voit rejeter par le cerveau.

« Cet article en première page du Guardian reliant Assange à Manafort était faux ? » Dommage. « Julian Assange n’a jamais été accusé d’un crime ? » Et alors ? « Le groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire dit qu’il est détenu arbitrairement ? » Tais-toi. Qui est tu ? Un complotiste ?

Résister à la propagande

Si vous ne l’étiez pas déjà, vous voilà équipés pour repérer de loin une campagne de propagande de guerre. Pour résumer, une cible de propagande est appariée et marqué de façon répétée, avec les mêmes termes et concepts, encore et encore, collant une cible psychologique sur la victime.

La peur, la colère, la haine, l’indifférence et d’autres émotions mobilisatrices sont invoquées. Typiquement, c’est le chef qui est diabolisé. Des termes comme « Dictateur », « brutal », « boucher », « tyran », « autocrate » et « régime » pleuvent de partout. (Oui, il y a de vrais dictateurs brutaux dans le monde, mais la plupart sont des alliés de l’Occident. Seuls les dirigeants visés par les Occidentaux seront qualifiés ainsi).

Creusez sous le marqueur et les récits sous-jacents s’effondrent, laissant la la place à des généralités vagues et sans fondement. Laissez tomber les médias de l’establishment, et lisez les médias alternatifs qui ont l’habitude de mettre les choses au clair, et vous découvrirez une réalité différente.

Ce n’est pas difficile. Logiquement parlant.

Si vous avez lu jusqu’ici, vous savez probablement déjà tout cela, même si c’est de façon inconsciente. Vous détectez probablement la propagande à chaque guerre. Vous lisez probablement déjà les médias indépendants savez reconnaître les mensonges.

En d’autres termes, vous êtes probablement résistant à la propagande, tant sur le plan motivationnel que technique.

Pourquoi ?

Quel état d’esprit confère une résistance à la propagande ? Quelle qualité psychologique favorise la perception axée sur la précision, poussant les consommateurs des médias à rejeter les associations répétées, et à creuser sous le récit superficiel pour trouver la vérité ? Qui n’est pas découragé par les figures d’autorité qui tentent de les éloigner de RT et d’autres voix de ’désinformation russe’ (c’est-à-dire dissidentes) sur le ’champ de bataille’ de l’Internet ?

Selon la recherche psychologique, ce sont ceux qui sont curieux.

Un groupe de chercheurs a découvert que la ’curiosité scientifique’, ou le désir de chercher des preuves et de comprendre, va à l’encontre du traitement biaisé de l’information politique telle que la propagande. Dans leur recherche, les auteurs ont constaté que les personnes curieuses aiment être surprises et, par conséquent, « s’exposent plus facilement à l’information qui défie leurs attentes et réagissent plus ouvertement à la meilleure preuve disponible, peu importe sa couleur politique ».

Dans une conclusion possiblement connexe, le psychologue politique John Jost et ses collègues ont publié un article en 2016 intitulé « Are Neoliberals More Susceptible to Bullshit ? » [Les Néolibéraux sont-ils plus réceptifs aux conneries ? - NdT] Ils ont constaté que « l’adhésion à l’idéologie néolibérale, au libre marché » était liée de façon significative à la « réceptivité aux conneries ».

Alors voilà, c’est dit. Le néolibéralisme, c’est des conneries. Mais les curieux de ce monde le savaient déjà.

Les auteurs de l’étude citent le philosophe Harry Frankfurt qui a dit : ’Les domaines de la publicité et des relations publiques, et aujourd’hui le domaine de la politique qui leur est étroitement lié, sont remplis d’exemples de conneries si absolues qu’elles pourraient servir de paradigmes les plus indiscutables et classiques du concept’.

Les récits officiels sur Julian Assange et Wikileaks ne font pas exception. Ils sont dangereux, toxiques, nocifs, et en plus ce sont des conneries. Des conneries néolibérales, même.

Alors, la prochaine fois que vous défendrez Wikileaks ou Julian Assange et que quelqu’un vous frappera avec la chaussette remplie de merde de McCarthy, rappelez-vous simplement que la chaussette est remplie de conneries. De conneries néolibérales. Les leurs, pas les vôtres.

Éloignez-vous de tout ça, assumez votre curiosité et laissez votre désir de compréhension vous conduire ouvertement à travers le spectre politique vers les meilleures preuves disponibles, car votre réceptivité aux conneries est faible.

En attendant, si vous souhaitez soutenir Wikileaks et Julian Assange dans la lutte pour garder la curiosité vivante et défier l’occupation des esprits occidentaux, vous pouvez signer la pétition au gouvernement australien ici, faire un don à Wikileaks, et suivre les efforts du Socialist Equality Party (SEP) pour libérer Julian Assange et Chelsea Manning sur Twitter, sur Facebook et sur le World Socialist Website [sans oublier Le Grand Soir - NdT].

Lissa Johnson

Traduction « moi aussi je suis tombé dans leur panneau » par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles

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