La campagne électorale qui se termine aux États-Unis dessillera-t-elle enfin les derniers idolâtres de la démocratie, ce « pire des systèmes à l’exception de tous les autres » ? C’est donc pour cela que se sont battus nos ancêtres ? Le droit de voter pour un vieux porc raciste et misogyne ou une vieille carne dévorée par l’ambition ?
Le meilleur des systèmes, vraiment ? Ne s’agirait-il pas plutôt une sorte de religion, d’un moyen archaïque et violent de dominer le peuple, de lui faire avaler des couleuvres, de le flatter pour mieux le berner ? On évoque sans cesse les merveilleuses vertus du suffrage universel, mais qu’avons nous vu au final ?
Comme d’habitude il y a eu les primaires. Un système fait pour désigner des candidats sur leur personnalité cathodique, au mépris absolu de toute discussion sur les programmes. Shows médiatiques, coups fourrés, petites phrases, un programme digne de Koh-Lanta au terme duquel, avec larmes et trémolos, les uns et les autres ont dû tirer leur révérence au profit des deux rescapés.
Puis est venue la campagne proprement dite. A coups de meetings à l’américaine où les cris de primates saluaient l’apparition des candidats, de discours faits d’attaques, d’insinuations et d’insultes contre l’adversaire, de publicités négatives ressassées jour et nuit, chacun des deux camps a eu le loisir de chauffer à blanc ses supporters. Dans la dernière phase qui s’éternisait, tout a été fait pour salir le candidat du camp d’en face et essayer de convaincre les indécis que décidément, Hillary « est une menteuse » / Donald « est un abruti » pour laquelle/lequel il est impensable de voter.
Quelle joie, quel bonheur de vivre en démocratie ! Pour bien faire sentir aux citoyens tout le poids de la décision historique qu’on attend d’eux, le vote lui-même est organisé comme un lourd sacrifice collectif. Le vote a lieu un mardi, jour ouvré, très pénalisant pour les classes laborieuses (rappelons que la plupart des étasuniens n’ont droit qu’à sept jours de maladie par an et zéro jour de maternité). Le nombre réduit de bureaux de vote, la procédure ultra-complexe du vote (formulaires interminables, multiplication des consultations locales ou annexes en plus) produisent des queues interminables de plusieurs heures dans le froid et parfois la pluie du mois de novembre. On s’étonne du faible niveau de participation aux consultations électorales ? Mais c’est voulu ! Organisé !
Cerise sur le gâteau, les « machines à voter » électroniques souvent sujettes à des bugs vident de sa substance la présence des scrutateurs, excluent le recomptage manuel et donc jettent le doute sur le décompte des voix qui n’avait pas besoin de cela. Staline avait coutume de dire « Peu importe comment ils votent, l’important c’est qui compte les voix. » Déjà à l’époque des bulletins papier, le sort du vote reposait sur quelques « États-bascule » dont les voix peuvent, comme leur nom l’indique, basculer dans l’un ou l’autre camp, de sorte que les voix des électeurs du Texas ou de Californie (acquis d’avance à l’un ou l’autre des partis) sont de fait sans valeur. Enfin, le système des grands électeurs fait que le candidat peut finalement, comme en 2000, être choisi par des tractations en coulisse qui n’ont plus rien à voir avec le cirque électoral à plusieurs milliards de dollars qui a électrisé le pays pendant plus d’un an.
Et ne parlons même pas des citoyens du reste du monde, dont les desiderata du « chef du monde libre » pourront, au choix, leur valoir bombardements ou sanctions économiques, coups d’État ou accords de libre-échange inéquitables. Abreuvés jour après jour des moindres péripéties de la campagne US, leur voix n’aura, elle non plus, pas été entendue...
Loin d’être merveilleux et sacré, ce « meilleur des systèmes » n’est qu’une sorte de jeu télévisé interminable et absurde au terme duquel les puissances politiques et économiques du pays se rencontrent pour décider de suivre ou non la vox populi... Comme l’a fait remarquer Julian Assange, il est peu probable que ces puissances décident de laisser Donald Trump gagner l’élection. D’ailleurs la quasi-unanimité de la presse et des personnalités en faveur d’Hillary Clinton depuis le début de la campagne devrait lui assurer une victoire facile.
Fiasco de la démocratie : quel que soit le résultat, il sera absurde. Les électeurs auront été forcés à choisir entre deux candidats vieillissants, malades et dénués de scrupules celui qui leur déplaît le moins. Une majorité de déçus à l’issue d’une campagne de dénigrement et de calomnie réciproque.
Saisira-t-on cette occasion de repenser le système électoral ? Dépassera-t-on le mantra « nos-ancêtres-se-sont-battus-pour-le-droit-de-vote » pour réfléchir à un système plus juste, plus moderne, plus équilibré ? Introduire une dose de méritocratie là où il n’y a plus que dollars, célébrité médiatique et absence de scrupules ? Un système capable de faire émerger des candidats bardés d’autres qualités que simplement une ambition névrotique et un bagout décomplexé. Un système qui, disons, obligerait le candidat à exposer à l’avance son programme puis organiserait un suivi minimum de ses actions et de leurs résultats.
On peut rêver. Tocqueville le prédisait en observant les débuts de la démocratie en Amérique : les vainqueurs ne peuvent que louer le système qui les a favorisés, et les perdants n’ont par définition plus droit à la parole que pour féliciter leur adversaire triomphant. Ce qui explique la longévité, malgré ses nombreux défauts, d’un ordre déjà bicentenaire.
Rien ne changera au système, mais tout changera dans les esprits. C’est la fin du sacré pour le système démocratique, inattaquable et imperfectible parce que démocratique. Le fiasco qui fera qu’on doit le repenser.
Christophe Trontin