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Le Traité de libre échange au « Téléphone sonne »

J’ai écouté, hier mardi 15, entre 19 h 20 et 20 h, en voiture, l’émission "Le téléphone sonne" sur France Inter. Le sujet en était "Le Traité de libre-échange transatlantique entre l’Europe et les États-Unis". Il y avait quatre invités : deux pour et deux contre, tous les quatre députés européens. Les deux pour étaient Nora Berra, députée française, membre du PPE (Parti Populaire Européen = droite) et Christian Dan Preda, député européen roumain, même parti. Les deux contre étaient José Bové (Les Verts) et Patrick Le Hyaric (Gauche Unie Européenne).

Je vous invite (si vous ne l’avez déjà fait) à aller écouter cette émission ici

Vous pourrez y entendre tous les sophismes et les paralogismes, toutes les arguties, tous les mensonges par omission, toutes les demi-vérités (et même quarts de vérités) proférés par les deux eurodéputés favorables au TAFTA. J’en donne quelques exemples :

- Nora Berra : "[Ce traité offre] des opportunités nouvelles pour créer des emplois, renouer avec la croissance, créer des emplois."

[Remarque. Chaque fois qu’on veut faire passer un projet de loi ultralibéral (ou qui va saboter l’environnement), on commence toujours par invoquer la création d’emplois. A l’inverse de cette vertueuse déclaration d’intention, il est intéressant de noter, un peu plus tard, l’ordre dans lequel Nora Berra énumère les différentes libertés de circulation : d’abord celle des biens, puis celle des capitaux, puis celle des services... et, enfin, celle des travailleurs !]

- Christian Dan Preda : "c’est une négociation très logique. C’est deux milliards d’euros d’échanges par jour entre l’Europe et les États-Unis. Avec qui vous voulez qu’on négocie ? J’espère que vous ne préférez pas la Chine !"

[Remarque. Le député roumain fait comme si le problème de la négociation était celui du partenaire de l’Europe (en l’occurrence les États-Unis plutôt que la Chine) alors que le problème, c’est, précisément, que cette négociation ait lieu ! Et qu’elle ait lieu non pas avec les États-Unis – c’est-à-dire un pays donné – mais, en fait, avec les multinationales des deux côtés de l’Atlantique...].

Nora Berra : "J’en veux en priorité à notre président de la République, François Hollande, qui n’a pas su mettre ce sujet en débat, il n’a pas su prendre la parole, pour expliquer, faire de la pédagogie..."

[Remarque 1. Lorsque des politiques parlent de "faire de la pédagogie", c’est, toutes les fois, lorsqu’il s’agit de faire passer une réforme ultralibérale (qui démolira les acquis du CNR et se traduira par une dégradation des conditions de vie des classes moyennes et populaires), donc qu’il faut expliquer au peuple – à qui, avec mépris, on s’adresse comme à un enfant, d’où la "pédagogie" – comme à un enfant, qu’on fait ça "pour son bien", comme autrefois, "pour son bien", on lui infligeait le martinet, les privations de dessert et l’huile de foie de morue...].

[Remarque 2. Nora Berra sent que l’opinion publique – qui a bien pressenti de quoi il s’agit - est aussi hostile au traité qu’elle le fut, il y a 16 ans, à l’égard de l’AMI, et qu’elle en veut d’abord à François Hollande de n’avoir pas su "vendre" ce traité aux Français, qu’elle redoute de voir "retoqué", comme l’AMI en 1998 ou le projet de Constitution européenne de 2005...]

Nora Berra : "Bien sûr, nous prônons la transparence..."

[Remarque. Cette affirmation apparaît comme une concession inévitable dès lors que les négociations du TAFTA ont été portées à la connaissance du public, mais une concession faite à regret. Ce dont on s’aperçoit un peu plus tard, lorsque la députée lâche : "Bien sûr, on peut toujours clamer davantage de transparence, mais, pour le coup, c’est vrai que... euh... donner de l’information au Parlement alors que le travail est en cours, ça ne s’est jamais fait ! Il faut le rappeler." Traduction : "Il aurait été tellement préférable de mettre les Parlementaires devant le fait accompli et de leur dire : "Maintenant, vous votez tout en bloc, c’est à prendre ou à laisser !"]

Christian Dan Preda : "C’est beaucoup plus transparent que d’autres négociations. Vous pouvez consulter en ligne différentes positions des équipes qui ont lancé cette première phase".

[Remarque. Exemple d’objection toute jésuitique ! Ce n’est pas parce qu’on peut le consulter en ligne que le public, les citoyens, vont le consulter ! Il y a tous les jours des dizaines de milliers d’informations, sur des myriades de sujets et, sur un point aussi technique, si aucun organe de presse, aucune autorité politique n’alerte l’opinion, en termes simples, sur le péril de cet accord, seul un nombre infime de gens ira s’informer sur le sujet !]

Christian Dan Preda : "D’ailleurs, j’ai vu que M. Le Hyaric a comparé ce qu’il résulte de ces négociations à Dracula, en disant qu’il [il = le TAFTA] n’aime pas la lumière alors que Dracula est en fait le surnom donné à un prince roumain par des commerçants allemands qui étaient mécontents justement parce que ce prince roumain mettait des taxes ! Donc on est vraiment dans une sorte de contrefactuel total..."

[Remarque. Cette incise de l’eurodéputé roumain est de la dernière mauvaise foi. En effet, Le Hyaric, faisant référence à l’AMI de 1998, disait que cet accord, comme le Dracula de la légende, ne supportait pas la lumière du jour et qu’il périssait dès qu’il y était exposé. C’est cette légende-là autour du vampire que TOUT LE MONDE, en France ou en Europe, connaît grâce aux films de Murnau ou de Werner Herzog, ce n’est pas cette obscure histoire de commerçants allemands (probablement de Transylvanie), qui n’est connue que des rats de bibliothèque roumains].

Christian Dan Preda : "Pour moi, il y a une seule ligne rouge. Si, à la suite de ces négociations, les prix, pour les consommateurs, pour les différents produits dont on parle, baissent, c’est très bien ! Si ça va monter, c’est le désastre ! Mais, généralement, le marché libre donne des prix plus bas pour le consommateur !"

[Remarque. Quel aveu ! Le député roumain fait comme si tout ce qui comptait, pour les gens, était de consommer, au plus bas prix, les biens produits par l’entreprise privée, et non de s’attacher aussi (et même d’abord) aux biens immatériels et autrement précieux que sont la sécurité, l’éducation, et l’assurance d’un minimum décent en matière de santé, d’assurance sociale et de vieillesse, qui sont eux, pris en charge par la collectivité publique. Christian Dan Preda fait comme si les gens n’étaient que des tubes digestifs ou des porte-monnaie sur pattes.]

Nora Berra : "Cet accord cristallise beaucoup les peurs et les craintes parce qu’il s’agit effectivement des États-Unis. Je crois que c’est ça qui génère finalement cette appréhension..."

[Remarque. Non, ce n’est pas parce qu’il s’agit des États-Unis mais des grandes entreprises privées, de tous les pays, qui veulent démanteler les réglementations publiques (lorsqu’elles font obstacle à leur profit), y compris aux États-Unis...].

Christian Dan Preda : "Il faut savoir quand même quel est l’objet de cette grande négociation et l’objet c’est le démantèlement des barrières non-tarifaires... [...] ce sont les normes techniques, les restrictions règlementaires, etc."

[Remarque. Ici, le journaliste intervient et coupe la parole à l’eurodéputé, ce qui prive les auditeurs de l’éclaircissement indispensable, sur lequel on aurait bien voulu que Christian Dan Preda donne des exemples ! A savoir : les normes sanitaires, les normes environnementales (exemples, OGM, produits de lavage des carcasses de poulets), les normes sociales (durée du travail, salaire minimum), les normes fiscales (impôts). Car c’est tout cela que les multinationales veulent voir aboli !].

Christian Dan Preda : "On ne peut pas confondre l’incompétence technique, dans la lecture de ces dossiers, et l’accès. M. Bové vient de dire qu’il a eu accès, mais qu’il n’est pas compétent..."

[Remarque. L’eurodéputé PPE s’est saisi d’une phrase de José Bové (celle où celui-ci disait qu’il ne pouvait pas transmettre un lourd dossier sur les tarifs à des économistes) pour feindre de croire que la difficulté de Bové était de comprendre les documents, alors que la difficulté réelle est, précisément, que la Commission européenne multiplie les obstacles à la diffusion de ces documents].

Christian Dan Preda. "Et ici, je voudrais poser une question à M. Bové. Est-ce que, par exemple, pour la viande qui vient d’Europe, il y a quand même des niveaux de 30 % pour les taxes, aux États-Unis, et vous avez 139 % des taxes pour les produits laitiers. Est-ce que vous n’êtes pas d’accord pour renoncer à ça ? Est-ce que ce n’est pas une opportunité pour vos entreprises françaises, l’agriculture, j’ai cru comprendre qu’elle vous intéresse [...] c’est très intéressant de faire baisser, de diminuer au maximum ces tarifs pour la viande et pour les produits laitiers, parce que ça va permettre aux entrepreneurs roumains d’envoyer plus facilement, d’entrer sur le marché américain ? Moi je trouve que c’est génial ! Pourquoi êtes-vous contre ?].

[Remarque. Christian Dan Preda emploie un terme révélateur : il ne dit pas les agriculteurs roumains, ni les paysans roumains, il ne dit même pas les producteurs roumains, il dit les "entrepreneurs" roumains. Ce qui l’intéresse, ce n’est pas la production intrinsèque (de poulets, de porcs, de vaches), c’est l’entreprise, c’est-à-dire l’activité économique en elle-même. Ce qu’il se garde bien de préciser, c’est qui sont ces entrepreneurs (sont-ils de petits paysans ? On en doute...), à quelles conditions (sanitaires et sociales) est obtenue la viande et, enfin, quel impact aura cette importation sur les producteurs américains].

Christian Dan Preda. "Ecoutez. Avec 12 millions d’exploitations en Europe et 2 millions aux États-Unis, vous pouvez pas anticiper le résultat...".

[Remarque. Argument d’une mauvaise foi criante, lorsqu’on sait la puissance financière des sociétés agro-industrielles américaines, les coûts de revient des exploitants du Middle-West (qui sont avec deux tracteurs pour des milliers d’hectares), d’un côté, et la précarité financière de nombre de petits paysans français (pour ne rien dire de leurs homologues polonais... ou roumains, de l’autre côté)].

Nora Berra : "Moi je comprends toutes les préoccupations, autour de l’agriculture, autour de la qualité de notre alimentation où, bien entendu, le médecin que je suis, l’ancien ministre de la santé que je suis, je ne suis pas indifférente à toutes ces questions. Simplement, des principes fondamentaux sont respectés, s’agissant justement des normes sociales, des normes environnementales, sur la question du mécanisme d’arbitrage, qui permet aux États de garder leur souveraineté
[...].

Nora Berra (suite). Mais il faut aussi avoir une vision plus globale. Vous parlez tout à l’heure de normes. Moi je voudrais pointer tout de même la question des marchés publics, aujourd’hui, nous avons des marchés publics qui sont ouverts en Europe à plus de 80 % et aux États-Unis, 70 % sont fermés. Pourquoi ? Parce qu’il y a une préférence américaine qui interdit à nos entreprises de soumettre à des marchés publics. Donc, sur la question de cet accord, il y a un principe fondamental que moi j’ai envie de défendre, et je crois qu’on sera tous d’accord autour de cette table, c’est la réciprocité ! C’est le maître-mot, c’est la réciprocité ! Bien sûr, que ce doit être un accord gagnant-gagnant..."

[Remarque. La première partie est une clause de style, une concession obligée (parce qu’on ne peut pas dire crûment qu’on se moque de la santé ou des normes alimentaires, parce qu’il ne faut pas effrayer les gens ou exciter ces "emmerdeurs" d’écologistes), mais ce ne sont pas là des choses "sérieuses", ce qui est sérieux, c’est ce qui vient après.

Remarque (suite). Et là, on a une superbe entourloupe : Nora Berra feint de croire que le débat, la difficulté est la résistance aux États-Unis, et la nécessité que l’Europe ne soit pas perdante dans l’échange. Or, ce n’est pas là le problème : ce qui intéresse Nora Berra, c’est que les grosses multinationales européennes ne soient pas perdantes dans l’échange face aux grosses multinationales américaines. Peu importe que ces entreprises européennes "tuent" des milliers de PME ou d’artisans américains, ou mettent au chômage des centaines de milliers de salariés américains, dès lors que les multinationales américaines n’aillent pas chasser sans contrepartie sur le terrain des multinationales européennes. Peu importe que les salariés européens en pâtissent, ce qui intéresse Nora Berra, c’est uniquement le sort des PLUS PUISSANTS ET DES PLUS RICHES DES ACTEURS PRIVÉS. Des deux côtés de l’Atlantique...].

On croirait entendre certains communiqués de l’état-major, durant la guerre de 14, qui se félicitaient ainsi : "D’accord, du régiment qui est parti à l’assaut, il n’est revenu qu’un peloton, mais nous avons conservé la cote 304 !"

Nora Berra. "La deuxième chose, c’est toutes les normes techniques. Imaginez qu’aujourd’hui, les produits qui sont fabriqués, sont fabriqués selon des modalités pratiques différenciées, selon qu’il s’agit d’un marché européen ou d’un marché américain et pour s’adapter aux normes
américains, par exemple pour un produit européen, il y a un surcoût lié à cette adaptation, qui est estimé à environ 10 %, et donc pour nos entreprises européennes, c’est une perte de compétitivité, demain, s’il y a une reconnaissance mutuelle, eh bien des normes de fabrication, eh bien ça permettra à nos entreprises de mieux vendre, en tout cas d’être plus compétitives sur le marché américain. Donc voila, il y a un certain nombre de choses qui sont en question et je veux pas qu’on érige des épouvantails de façon un peu trop automatique... Bien sûr, il y a des lignes rouges, bien sûr il faut être vigilant, il faut entendre les préoccupations de nos populations, mais il faut aussi s’ouvrir vers les opportunités qui peuvent s’engager...

[Remarque. Ici, ou bien Nora Berra se met le doigt dans l’œil ou bien elle prend les auditeurs pour des demeurés ! Comment peut-elle croire – ou faire croire – un instant qu’il y aura reconnaissance "mutuelle" [sic !] des normes de fabrication et que les États-Unis reconnaîtront 28 normes européennes, et mettront par conséquent 28 chaînes de fabrication différentes pour chacun des pays européens ? Quand bien même, d’ailleurs, il n’y aurait que deux normes (l’européenne et l’étasunienne), comment croire que les fabricants, des deux côtés de l’Atlantique, s’offriraient le luxe de deux chaînes de fabrication ? Et comment croire qu’au bout du compte, entre les deux normes, ce serait l’européenne qui l’emporterait ?].

Philippe ARNAUD

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