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« Les Français pensent que … »

Phrase « passe partout »,…expression magique, rituelle, dans la bouche des politiciens qui d’un seul coup, d’un seul, s’accaparent d’une pensée collective. Phase qui exprime leur fantasme : ils croient savoir et croient être les dépositaires d’une pensée. Phrase qui résume notre capitulation : on se laisse déposséder de notre parole, de notre pensée.

Cette phrase résume mieux qu’aucune autre les limites de ce que nous appelons la « démocratie ».

QU’EST-CE QU’UNE PENSEE COLLECTIVE ?

Peut-on parler de « pensée collective » ou d’ « unicité de la pensée » ?

La réponse est évidemment non,… Il est une spécificité de l’être humain d’avoir fondamentalement une autonomie de la pensée. Certes, la vie en société, les conditions de vie, de travail, entraînent ce que l’on pourrait qualifier de « convergences d’analyses », pouvant aboutir à un consensus. La division du travail, la segmentation du groupe en classes sociales a indubitablement entraîné une certaine conscience collective en fonction de la place dans la société,… ce que l’on a appelé une « conscience de classe ». Mais cette conscience de classe, et l’Histoire nous le montre, n’est pas synonyme d’unicité de la pensée. Cette conscience de classe, que l’on a investi au 19e siècle d’un pouvoir quasi mystique, est en grande partie hétérogène, fragmentée, incapable d’être un élément moteur en matière de changement. En effet, les esclaves de l’Antiquité, pas plus que les paysans au Moyen Age n’ont pris le pouvoir dans l’Histoire, pas plus que la classe ouvrière au moment de la révolution industrielle,… et par la suite.

Si l’on prend le cas de la classe ouvrière, et de manière générale de la « classe salariée », les courants contradictoires qui la traversent sont loin d’en faire une entité politique homogène… Les aléas et drames politiques du 20e siècle, et notre situation au 21e, en sont une parfaite illustration.

On comprend dès lors qu’il soit particulièrement osé et risqué, pour une personne ou un groupe de personnes, aussi subtiles et pertinentes soient-elles, de dire « Nous représentons les intérêts historiques des salariés »,… à moins d’en avoir une définition - des intérêts - aussi bien sur le plan tactique que stratégique, décrétée comme scientifique ( ?) et donc impossible à discuter !... On reconnaît là toutes les erreurs théoriques et les drames concrets des 19e et 20e siècle que certains voudraient nous (faire) inconsidérément rejouer.

LEGITIMITE ET PENSEE COLLECTIVE

C’est le mythe du « Tous pour un, un pour tous ». Si ce principe, qui était celui des Mousquetaires, pouvait avoir un sens pour un groupe de quatre personnes, on peut légitimement douter de son efficacité pour une société. A moins de revenir à de vieux principes monarchiques où le Roi, tout en étant le représentant de Dieu, était forcément l’expression de l’ensemble de ses sujets qu’il dominait.

Paradoxalement c’est bien ce scénario que, finalement, et probablement sans intention malveillante, nous fait rejouer la République depuis deux siècles. L’agrégation des pensées individuelles et leur transcendance demeurent les principes essentiels du fonctionnement républicain.

Etre républicain c’est quoi en définitive ? Fonctionner socialement sur un consensus fondé sur des valeurs incontestablement positives : liberté, égalité, fraternité. Pour cela, un seul moyen : l’agrégation de toutes les volontés pour en faire une ensemble consensuel admis par tous et indépassable. Or, comme cela n’est pas entièrement possible, il faut établir une règle qui, sur une question ou une personne, ne retient que les suffrages majoritaires.

Sur un plan théorique, rien de plus évident. Pourtant la réalité sociale et la pratique politique ont complètement détourné ce bel agencement.

L’adhésion affective, voire mystique, à un chef, la croyance naïve dans des promesses, le népotisme, la corruption, la lassitude, la naïveté, le mensonge direct ou par omission… ont permis l’accession au pouvoir - « démocratique » - d’individus parfaitement en contradiction avec les valeurs initiales de ce principe (des noms ?). Mais, au nom de cette dérive peut-on remettre en question l’ensemble du système de représentation ? La réponse est faite depuis longtemps et est négative. Il est socialement et politiquement accepté que l’élu puisse dire : « Les français pensent que… »,…même s’il est élu par une minorité de citoyens,… et même celles et ceux dont on sait qu’ils pensent le contraire… Et même celles et ceux qui pensaient cela à un moment donné et ne le pensent plus.

La critique de cette critique est toute trouvée, très simple et se fonde sur le tout ou rien : l’ensemble des pensées ne pouvant s’agréger en une seule, il nous faut, au risque de ne pouvoir rien exprimer, prendre ce qu’elles ont en commun,… autrement dit, d’une certaine manière, le plus petit commun multiple. Et c’est ce plus petit commun multiple qui fonde la légitimité de celui ou celle qui le représente. Autant dire que sa marge de manoeuvre tend vers l’infini. Il sait dès lors que, quoiqu’il dise, il « retombera toujours sur ses pieds ».

Et encore, il n’est question ici que d’une multitude de pensées, théoriquement « libres ». Or, tout le monde sait que conditionnement, manipulation, pressions, voire chantage,… influencent les consciences de manière déterminantes.

Ainsi, tout ceci aboutit au fait que ce plus petit commun multiple des consciences n’a plus réellement trop de sens. Pourtant, c’est celui-ci qui constitue la quintessence du consensus républicain. On en arrive ainsi à des situations paradoxales, ahurissantes où celles et ceux qui logiquement, en fonction de leur situation et de leurs intérêts devraient voter dans un certain sens, votent exactement pour la politique contraire ( ?). On comprend dès lors que l’élu a toute latitude pour dire tout et n’importe quoi quand il dit : « Les français pensent que… »

QUI PENSE POUR QUI ?

Est-ce à dire qu’il faille abandonner toute possibilité d’envisager une conscience collective ? Certainement pas, ne serait ce que parce que toute vie collective a besoin d’un minimum de consensus.

La question qui se pose alors c’est : un consensus de quelle nature - et pas une caricature fabriquée comme aujourd’hui - et comment l’élaborer ?

Ce consensus ne peut-être que le produit du « faire collectif », et ce aussi bien dans le domaine des conditions sociales de la production, que de la détermination des besoins. Car seul, le faire collectif peut fonder théoriquement et concrètement des valeurs d’éthique qui prennent tout leur sens et non qui ne sont/seraient que des slogans vides.

L’Histoire nous montre en effet que l’évolution des idées n’est pas fondée sur la pure spéculation théorique, mais avant tout sur une pratique sociale qui fournit la base à toute élaboration d’une structure sociale. C’est cette dialectique de l’idée et du faire qui fonde et enrichit l’évolution d’une société. Le divorce entre les deux aboutit à une caricature sociale et exprime sa décadence. Exemple : quel sens concret a aujourd’hui « Liberté - Egalité - Fraternité » au regard de la réalité sociale ? Pas de commentaire !

C’est ce qui explique que les pratiques alternatives sont aujourd’hui fondamentales pour donner son/du sens à une nouvelle pratique politique. Celle du système marchand est actuellement - dans sa forme officielle - totalement dégénérée.

Dans le cadre de cette dynamique sociale et politique on peut alors, et seulement alors, imaginer la délégation, la représentation. Elle a un sens, elle est l’expression d’une pratique concrète et se fait sous contrôle.

Est-ce à dire que c’est une méthode pour arriver à un consensus général, absolu et définitif ? … Bien sûr que non. Divergences, désaccord, voire conflits subsisteront,… ils font partie du fonctionnement collectif des humains et ne sont pas éliminables. L’important n’est pas leur suppression, mais leur gestion par la collectivité.

A l’inamovibilité - actuelle - irresponsable de l’élu, nous devons opposer le contrôle rigoureux et permanent du groupe par rapport à des engagements et des pratiques.

Personne ne peut avoir la prétention de dire « penser pour les autres… ». Représenter, oui, mais la limite de la représentativité c’est justement la pensée qui n’est ni transposable, ni « agrégeable ». Le seul terrain sur lequel peut se construire la représentativité, c’est celui de la pratique sociale collective, vécue et pensée, et certainement pas celui qui fonde une caste privilégiée, coupée de fait de la réalité et qui s’est approprié des privilèges exorbitants.

Participer à la reproduction de ce schéma - le système politique actuel - pseudo démocratique, mais en fait parfaitement anti-démocratique dans sa manifestation et ses conséquences, c’est s’éloigner toujours plus du monde nouveau que nous voulons construire, c’est donner une aura populaire à un système qui ne l’est pas. Le terrain pollué sur lequel il prend racine et prolifère ne saurait permettre l’émergence d’un fonctionnement social dans lequel l’individu serait reconnu en tant que tel et non en tant que simple objet à exploiter.

Patrick MIGNARD

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