Plein écran
commentaires

Les milliards invisibles des milliardaires

Récemment, François Ruffin était reçu par (la milliardaire ?) Léa Salamé. Il tint un raisonnement très intéressant sur la fortune invisible des gens immensément riches.

Il n’y a pas si longtemps, dit-il, on voyait la richesse des riches : au bout du coron, il y avait la très belle maison du moyennement riche ingénieur ; et, deux kilomètres plus loin, on devinait, derrière une rangée de peupliers, le château du propriétaire de la mine de charbon ou de l’usine textile. Évidemment, cela créait des tensions qui n’étaient pas durablement apaisées du fait que le patron construisait un stade (à son nom) ou un gymnase pour la saine jeunesse ouvrière. Cette visibilité, Hannibal Lecter la décrit fort bien à Clarice Starling, fliquette obstinée et courageuse au nom de délicat petit oiseau : « We begin by coveting what we see every day ». On convoite ce qu’on voit. Ce qu’on ne voit pas relève à jamais de l’abstraction. Ceci est une cause des progrès des partis d’extrême droite dans le monde entier. Les pauvres voient le moins pauvre du bout de la rue mais pas l’ultra riche aux Bahamas. Et ils se trompent de cibles.

Aujourd’hui, les immensément riches ont colonisé, non pas la forêt au bout du coron, mais la terre entière. Ils ont des demeures somptueuses sous toutes les latitudes. Et pas en usufruit comme la reine d’Angleterre ou son royal rejeton. Pour de vrai. Et les fortunes (biens immobiliers, lingots, portefeuilles d’action, voitures de luxe, yachts, avion privés) sont telles qu’elles dépassent littéralement l’entendement. Si l’on me dit que la fortune de Bernard Arnaud est de 158 milliards de dollars (toujours s’exprimer en dollars chez les milliardaires, c’est plus flou), cela ne signifie rien, sauf, éventuellement, si je compare cette somme au budget de l’Éducation nationale française (160 milliards d’euros) en m’apercevant que nous sommes dans le même ordre de grandeur.

Vers 1966, John Lennon déclara : « I’m down to my last 50 000 pounds ». Malgré la grande admiration que je vouais à John et à ses camarades, je savais que, par exemple, un comptable dans une entreprise gagnait environ 150 livres par mois et que le rédacteur en chef d’un grand hebdomadaire qui comptait parmi mes amis percevait environ 600 livres mensuelles. Et je pensais que la jérémiade de John nous les brisait menu, d’autant qu’avec les droits d’une seule chanson, il était capable de se refaire. Aujourd’hui, la fortune de Paul McCartney se monte à 750 millions de livres (il vient d’être dépassé par Bono qui avait acheté 2% de Facebook quand ce réseau social balbutiait encore). Ces sommes faramineuses ne sont que fantasmagories pour nous.

Une autre différence intéressante entre les milliardaires d’aujourd’hui et ceux d’hier, c’est que nos contemporains richissimes ne se cachent pas. Il ne s’agit pas pour eux de dire, dans une perspective protestante, que, s’ils sont aussi riches, c’est parce qu’ils l’ont bien mérité et que toute personne talentueuse et courageuse peut suivre leur exemple. Il s’agit de faire savoir à ceux qui sont proches d’eux dans les classements qu’ils sont les patrons, et aux politiques qu’il ne faut surtout pas toucher aux multiples privilèges qui leur rendent la vie toujours plus douce, car leur force de frappe est telle qu’ils peuvent à eux seuls ébranler le système. Et ça, ça ne serait pas bon pour l’emploi, Madame Bouzigues.

Print Friendly and PDF

COMMENTAIRES  

13/09/2022 05:51 par babelouest

C’est un peu dans le même esprit que j’avais lu cette anecdote dans un livre. Une réunion entre "grands", et un des présents demande au PDG de l’époque de la firme Oracle (spécialiste des très grosses bases de données). "Combien as-tu d’employés, maintenant ? — Environ vingt mille.... — Et combien te sont vraiment indispensables ? — Six !" Si cela avait été son intérêt personnel, cet homme sans doute n’aurait pas hésité à renvoyer tout le monde, et à garder les six pour créer une autre firme.

16/09/2022 16:20 par Francois Jacques

Cette focalisation sur les ultra-riches est-elle productive au niveau social ? Ou devient-elle une coutume, les milliardaires habitent la mondialisation et la société capitaliste du tout-commerce depuis bien longtemps désormais. Ce qu’on appelait avant le privé

On aimerait que Ruffin, quittant son uniforme de pur, de dandy du petit peuple, mouille vraiment la chemise et aille à Bruxelles ou Strasbourg férailler avec les élus du public, dans le secteur du fonctionnariat de luxe, plutôt que de faire des duels imaginaires avec Arnault ou Lagardère, avec des intentions avant tout électorales et publicitaires.

Dénoncer, poursuivre les haut-fonctionaires, le deep state franchouillard et l’inertie, la corruption des services publics (dont l’Hôpital et la Santé), toute la machinerie de l’ultracapitalisme institutionnel. Beaucoup moins de volontarisme dans ce sens...

Les très riches sont très méchants, digne d’un slogan pour ados. Le gros des groupes LFI ?

20/09/2022 18:05 par sylvain

"On aimerait que Ruffin, quittant son uniforme de pur, de dandy du petit peuple, mouille vraiment la chemise et aille à Bruxelles ou Strasbourg férailler avec les élus du public, dans le secteur du fonctionnariat de luxe, plutôt que de faire des duels imaginaires avec Arnault ou Lagardère, avec des intentions avant tout électorales et publicitaires."

Pourquoi irait il s’enterrer dans une institution qui n’a a peu près aucun pouvoir et qui est notoiremment corrompue ?? Férailler avec des inutiles, laquais des oligarques, dans une institution qui n’intéresse personne ?? Heureusement qu’il est assez inspiré pour trouver autre chose a faire, la seule chose qu’il aurait a y gagner est un gros salaire, des restos en veux tu en voila avec des lobbyste et de temps en temps un pot de vin et une pute de luxe .
Je suppose que Ruffin, comme tout homme politique et médiatique doit avoir un certain égo, mais personnellement je le juge comme étant un des très rare hommes politiques intègre et concerné par l’avenir de ce pays . Moi j’espère qu’il remplacera Méluche et se présentera aux prochaines présidentielles . Il est a mon avis notre unique chance de ne pas avoir un président serviteur des oligarques, nationaux ou internationaux

20/09/2022 18:28 par sylvain

j’ai beau ne jamais les voir, je les déteste moi ces gens qui partent en vacance dans l’espace alors que des pans entiers de la société sombrent dans la pauvreté . Eux qui se sont payés tous les medias pour nous expliquer qu’on leur doit tout alors qu’ils ont avant tout oeuvrés a la destruction, sociale comme matérielle, de ce pays

21/09/2022 11:02 par Assimbonanga

@François Jacques : "Cette focalisation sur les ultra-riches est-elle productive au niveau social ?"
Disons qu’en 1789, l’on s’est "focalisé" sur les privilégiés (roi, nobles, clergé) et qu’on en a sorti un paquet. Il semblerait que ce système féodal ait repris vigueur de nos jours, mais à une échelle planétaire.

21/09/2022 11:11 par Assimbonanga

On est dans une belle panade à la nupès (à 4:20 mn...). Les bonnes femmes auront bientôt sorti tous les bonshommes (après Quatennens, Bayou). Ruffin prenant la place du vigoureux Mélenchon, n’assisterions-nous pas à une tsiprite accélérée, bien gentille, bien en même temps ?
Bon enfin, gardons l’espoir. Après un incendie, la forêt repousse toujours. C’est le fond qui compte, pas la forme.

(Commentaires désactivés)
 Twitter        
 Contact |   Faire un don
logo
« Informer n'est pas une liberté pour la presse mais un devoir »
© CopyLeft :
Diffusion du contenu autorisée et même encouragée.
Merci de mentionner les sources.