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Les missionnaires chrétiens ont-ils détruit l’héritage culturel négro-africain ?

Missions évangélisatrices en Afrique noire pendant l’ère coloniale : entre culpabilité et innocence.

Dans un contexte colonial qui favorise le Blanc au détriment du l’Africain, des missionnaires avaient cédé devant les privilèges et s’étaient laisser-aller dans le chemin de la débauche. La droiture d’esprit et l’ascétisme étaient laissés de côté par ceux qui devraient représenter dignement le Christ. Ces Emissaires de l’Eglise avaient préféré se joindre au rang du fort pour opprimer davantage le faible. Nombreux sont les égarements de certains missionnaires qui, par maladresse ou par insuffisance de connaissances sur l’Afrique, pratiquaient l’acculturation en forçant le Noir à assimiler la civilisation occidentale et à se désintéresser de son héritage socioculturel.

Des missionnaires estimaient qu’il fallait ignorer les valeurs autochtones et imposer leurs principes pour créer des sociétés purement chrétiennes en faisant disparaître les institutions sociales traditionnelles. Alors qu’il fallait étudier la mentalité africaine et comprendre le fonctionnement de la société indigène qu’ils essayaient de convertir, certains émissaires de l’Eglise considéraient le christianisme comme étant consubstantiel à la civilisation occidentale et, par voie de conséquence, les traditions autochtones étaient considérées comme une sauvagerie.

Les enseignements de la nouvelle religion proclamés par les hommes blancs en soutanes concernant l’amour du prochain et la liberté correspondaient aux aspirations de la population locale qui gémissaient sous le poids de la colonisation. Ces missionnaires qui clamaient charité, égalité et justice divine étaient reçus favorablement de la part des indigènes. À cela s’ajoute un sentiment de satisfaction dû aux réalisations sociales des missionnaires : écoles, infirmeries...etc. Ce sentiment allait vite se dissiper en découvrant que le missionnaire ne constituera jamais leur Salut. Ils découvrirent en lui des contradictions flagrantes qui brisèrent leur espoir d’avoir un plaideur en leur faveur. Pire encore, ce nouvel envahisseur œuvra à détruire leur héritage socioculturel. Leur désillusion se confirma en assistant à l’évincement de leurs traditions par des missionnaires qui qualifient les mœurs locales d’arriérées, entravant le développement ou opposées à la morale ; alors que les autochtones s’attachaient à leurs traditions et rejetaient toute tentative de détruire ou de changer leur vision du monde. A cet égard, Mongo Beti dénonça l’imposition d’une culture occidentale au dépend du fondement culturel négro-africain :

"Le problème fondamental de la religion coloniale est le suivant : détruire toute culture authentique. Est-il légitime de venir arracher les gens à leur religion traditionnelle, religion élaborée par des millénaires, de les aliéner, de leur imposer une culture dans laquelle ils ne seront jamais à l’aise car on ne peut pas l’être dans une culture qui n’est pas la nôtre."*

Par contre, les partisans de l’évangélisation du continent noir à l’époque coloniale disculpaient les missions de toute responsabilité à cet égard. Ils se flattaient d’avoir joué un rôle capital dans la préservation du patrimoine indigène. Robert Delavignette, chrétien acharné et haut fonctionnaire à l’administration coloniale, écrivait dans son livre Christianisme et Colonialisme où il célèbre le rôle civilisateur du colonialisme à travers le monde :

"Seul le missionnaire chrétien parvenait à échapper à cette tentation (la non reconnaissance des traditions locales), parce que son sens du divin lui permettait de mieux saisir la spiritualité et la globalité des structures tribales et la relativité du droit coutumier par rapport à ces structures. Est-ce un hasard si la philosophie bantoue nous a été communiquée par un missionnaire, le R.P. Temples, et si la vie canaque de l’homme vrai, le Do Kamo, nous a été également restituée par un autre missionnaire, le pasteur Leenhardt ? [...] le christianisme, lui, a été mieux disposé à admettre cette échelle africaine des valeurs."**

Véritable litige où chacun défend son point de vue selon sa prise de position. Cependant, la balance pèse largement en faveur de l’accusation du moment où Mongo Beti n’est pas le seul à dénoncer l’écrasement de la tradition indigène par des missions qui importent un christianisme à l’occidental. Même le clergé missionnaire s’indigne contre ce phénomène à l’image de Guy Mosmans qui, dans la revue Des Prêtres Noirs s’interrogent, affirme que l’Européen a pratiqué une sorte d’iconoclaste en Afrique en voulant détruire tout ce qui est nègre, africain, sous prétexte que cela n’avait pas de valeur et retardait l’évolution de l’Afrique.

Avant l’avènement des missions, le Noir vivait essentiellement en communauté. Il se fondait dans le groupe dont il avait besoin pour exister. La mentalité négro-africaine était essentiellement communautaire. Pour lui, exister c’est vivre dans le groupe. Durant toute son existence, il traîne avec lui un lot de croyances et de conventions qui le tiennent enlacé et lié. Or, il est évident que le religieux n’avait pas compris cette réalité. Il ciblait l’individu et c’est ce qui semait le trouble et l’instabilité au sein de la collectivité négro-africaine. A cause de ses instructions religieuses, les rapports d’affection et d’entente passaient au mépris et à la mésentente entre païens et chrétiens de même collectivité voire de même famille. Le missionnaire devient celui par lequel le trouble arrive. Nombreux sont les exemples de scission au sein des familles à cause des appels des missionnaires à rompre les liens de parenté avec les infidèles. Mêmes les vieilles épouses ont été répudiées de la part de leurs maris récemment convertis. Elles sont chassées du foyer conjugal pour la bonne raison qu’elles sont des concubines. C’est un exemple qui montre que la nouvelle religion a ruiné la structure sociale en Afrique noire.

Les propagateurs de la foi chrétienne répliquent à cette accusation en avançant que l’histoire nous montre que c’est ainsi que s’instaure chaque religion. C’est la contrepartie de la "révolution" à laquelle tout adepte doit présenter des sacrifices. La parole de Jésus résume leur pensée :

JE NE SUIS PAS VENU POUR UNIR, MAIS DESUNIR. JE SUIS VENU JETER LE FEU, ET NON LA PAIX DANS LES FAMILLES ! JE SUIS VENU DRESSER LA FEMME CONTRE SON EPOUX, ET L’ENFANT CONTRE SA MERE ! PERSONNE NE POURRA DONC ENTRER DANS LE ROYAUME DE MON PERE QUI M’A ENVOYE, SANS ME SUIVRE, ET PERSONNE NE PEUT ME SUIVRE S’IL NE CONSENT À ABANDONNER SON FRERE ET SA SŒUR, SON PERE ET SA MERE. (Mathieu X : 34-35)

Les émissaires de l’Eglise se trouvaient dans l’obligation d’abattre traditions, rapports sociaux et croyances ancestrales pour pouvoir édifier la civilisation chrétienne. Entre accusation et disculpation, la polémique persiste entre les partisans des valeurs et traditions ancestrales et ceux qui exaltent les réalisations des missions et des missionnaires jusqu’à en faire des idoles.

Adil GOUMMA

* Entretient avec Mongo BETI, in : Peuples Noirs Peuples Africains n°. 10 (1979), p.p. 86-121.

** Robert DELAVIGNETTE, Christianisme et Colonialisme. p.67.

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