RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Politique et mouvement social (il n’y a plus une minute à perdre), par Denis Collin.


Dessin : Christian Pigeon www.sudptt.fr

Jeudi 22 novembre 2007.

Pendant que la cote de popularité des responsables de l’État fléchit sérieusement, les mouvements sociaux, catégoriels se multiplient dans le désordre. La mécanique sarkozyste commence à s’enrayer. Incertain de l’issue, le président s’est bien gardé de se montrer à la foule. Ce n’est pas « le grand soir », ni même la réédition de 1995, contrairement aux spéculations de certains, mais c’est un signe sérieux que la « gauche réelle », le mouvement ouvrier, existent toujours dans ce pays et que l’élection de Sarkozy n’a été très largement due qu’à la nullité absolue de la « candidate de gauche » qui lui a été opposée par suite d’une incroyable campagne médiatique (initiée par le Nouvel Obs) et des magouilles de l’appareil corrompu jusqu’à la moelle du parti dit par antiphrase « socialiste ». La situation reste encore instable et peut soit pourrir soit devenir très chaotique dans les semaines qui viennent. C’est peut-être même un des espoirs secrets de certains dirigeants de la droite au pouvoir.

Cependant, après plus d’une semaine de grève à la SNCF et à la RATP, on peut commencer à porter une appréciation plus précise des évènements courants. L’hypothèse de la transformation du mouvement pour la défense des régimes spéciaux en une réédition de l’automne 1995 est fort peu probable. A l’heure où nous écrivons la grève s’étiole et concerne encore environ un quart des salariés alors que chaque jour le retour à la normale se confirme dans les gares et dans les stations de métro. Une minorité décidée refuse de baisser les bras et tente de sauver l’honneur. Mais globalement tout le monde sait que le choix est entre limiter la casse - c’est-à -dire faire payer au pouvoir sa réforme - et une défaite rase campagne. La raison de cette situation est assez claire. Le jour même où commence la grève, Bernard Thibaud, le secrétaire général de la CGT, annonce qu’il est favorable à des négociations tripartites, entreprise par entreprise sur l’aménagement de la réforme. C’est donc qu’il considère que le mot d’ordre des grévistes pour la défense des 37,5 annuités est désormais caduc. S’il avait voulu poignarder les grévistes dans le dos, il ne s’y serait pas pris autrement. Le même jour d’ailleurs, les dirigeants socialistes (sic) se relayent pour déclarer leur accord avec le passage aux 40 annuités et Hollande [1] demande même que la grève cesse le soir même. Dès le vendredi 16, la CFDT appelait à la reprise du travail [2]. Seuls SUD et FO maintiennent la revendication, SUD clairement, FO avec quelques restrictions mentales et une assurance d’autant plus grande que son poids réel chez les cheminots est assez relatif.

L’espoir d’un certain nombre de groupes et de militants se jouait sur la « jonction » entre le mouvement des régimes spéciaux avec la journée d’action des fonctionnaires du 20 novembre. Cette journée d’action, n’était-ce la situation du moment, ressemblait à n’importe laquelle de ces journées d’action bisannuelle (une à l’automne, une au printemps) qui servent à donner l’illusion de l’action pendant que les gouvernements suppriment les postes, rognent les salaires et détruisent les statuts.

La relativement forte mobilisation (entre 30 et 50% de grévistes) et une bonne participation aux manifestations (même en tenant compte des traditionnels comptes fantaisistes tant des organisateurs que de la police) témoignent du mécontentement réel. D’autant qu’un nombre important de non grévistes partageait ce mécontentement mais trouvait peu utile d’aider le gouvernement à boucler ses fins de mois en lui faisant cadeau en pure perte d’une journée de salaire. Mais ce mécontentement ne signifie pas que les fonctionnaires sont prêts en découdre dans un affrontement général avec le gouvernement. Les dirigeants syndicaux, en effet, sont loin d’être d’accord sur la plate-forme revendicative. La FSU, le CFDT et la CGT (confédérale) se sont opposées à ce que la question des retraites figure dans un appel commun... Quand à l’hypothèse d’une grève reconductible - agitée par certains secteurs de FO et par SUD, seuls les militants y croyaient mais ils avaient omis d’en informer les travailleurs.

Le troisième front, celui des étudiants, est lui aussi dans une situation extrêmement précaire. On sait que la réforme Pécresse avait été négociée au début de l’été avec les présidents d’université (et indirectement avec les principaux syndicats enseignants) et avec l’UNEF dirigée par un socialiste, le PS appuyant lui aussi cette réforme comme Mme Royal vient encore de le rappeler. Une partie des étudiants à la rentrée a commencer à se mobiliser contre cette réforme passée en douce pendant les vacances. L’autonomie et le financement privé des universités sont, à juste titre perçus comme une menace grave contre l’égalité de traitement et la gratuité. L’introduction en France d’un modèle anglo-saxon que louent des universitaires de toutes couleurs politiques et parmi eux de très nombreux socialistes (sic), tel est bien l’objectif de la loi Pécresse. A cela il faut ajouter que la situation matérielle de très nombreux étudiants est de plus en plus précaire et que, dans bien des facs, les conditions d’étude sont déplorables. Mais là encore le mouvement a du mal à embrayer. On voudrait renouveler la mobilisation contre le CPE. Mais si l’histoire se répète, la première fois c’est en tragédie et la seconde en farce. Le mouvement reste minoritaire et le blocage est souvent plus le témoignage de l’impuissance des militants à entrainer la masse des étudiants que de la force du mouvement lui-même. Les syndicats étudiants « chevauchent » le mouvement mais sont clairement hostiles à la revendication d’abrogation de la loi Pécresse et les coordinations, selon une vieille habitude sont surtout le théâtre des coups de force des groupes bien organisés qui prétendent agir ainsi sous le couvert de la démocratie. Minoritaire et isolé, le mouvement a bien peu de chance de durer.

Pour comprendre cette situation combinant un réel mécontentement contre le pouvoir et l’extrême difficulté à engager la mobilisation, il faut tout simplement revenir à la situation politique. Et dire clairement que le principal obstacle au mouvement social ne réside pas dans la force du gouvernement mais dans l’absence d’un débouché politique à gauche qui donnerait aux mouvements sociaux une perspective politique.

Le fait majeur, c’est que sur les retraites comme sur la loi Pécresse, le parti socialiste appuie Sarkozy et fait tout ce qu’il faut pour briser les grèves et donner des coups de poignards dans le dos aux salariés ou aux étudiants en lutte. Jadis quand le PS était dans l’opposition, il faisait au moins semblant d’être dans l’opposition. Ce n’est plus le cas. Ses principaux dirigeants sont des sarkozystes à peine cachés. Ce sont des gens de droite, ralliés par conviction à la droite et qui continuent de s’appeler « socialistes » soit par habitude, soit, et c’est plus probable parce qu’ils jouent un rôle indispensable dans la stratégie du président de la république. Hollande, Royal, Valls, Moscovici, Dray, etc. sont bien plus précieux pour la droite que les ralliés comme Bockel, Besson ou l’inénarrable Kouchner qui a disparu de la scène.

Mais le pire n’est peut-être pas là . Après tout, l’évolution de l’aile droite du PS était prévisible et elle vient de si loin... Le pire est que l’aile gauche de ce parti est comme frappée d’impuissance. Que font les Fabius, Emmanuelli, Mélenchon, Filoche, Dolez, et tutti quanti. Rien. Quelques déclarations mais ils ne posent jamais la question de la rupture avec ce parti. Ils sont, qu’ils le veulent ou non, des faire-valoir de la bande hollandiste. Ils maintiennent l’illusion, si nécessaire à la droite « socialiste », que le PS reste le PS, que la gauche est toujours la gauche et que tout continue comme avant, même si le « camarade » Hollande, le « camarade » Dray et les autres appuient la réforme des régimes spéciaux, l’autonomie des universités, le nouveau traité européen et le viol de la souveraineté populaire. Quant aux partis et organisations à l’extérieur de PS, il n’en va pas mieux. Le PCF est paralysé, par ses querelles internes et par la crainte de nouvelles pertes au municipales - d’autant que le PS semble décidé à faire mordre la poussière aux amis de Marie-George en Seine-Saint-Denis. Et tous les autres groupes restent éparpillés, impuissants, tentant de relancer la dynamique d’opposition au traité européen, espérant le salut dans le possibilité, là aussi, de rejouer une pièce qui a déjà été jouée. Au royaume des aveugles, les borgnes sont roi et le seul dirigeant de gauche qui surnage est Besancenot, propulsé par les médias d’autant plus vigoureusement qu’en voulant créer un « parti anticapitaliste » qui refuse toute alliance de gouvernement, il permet de geler la situation à gauche et constitue ainsi un obstacle non négligeable à toute entreprise de reconstruction.

La situation est sérieuse. Le capital de sympathie qui demeure en faveur des idées de gauche dans ce pays est en train d’être gaspillé par des chefs ou pusillanimes et préoccupés seulement de leurs combines, ou aveugles et sourds à une réalité qui leur est masquée par le brouhaha médiatique dans lequel ils sont accoutumés à vivre. Ceux de ces chefs qui croient encore un peu à ce qu’ils disent, ceux qui n’agissent pas par pur calcul cynique, ceux-là devraient se rendre compte qu’avoir table ouverte sur i-Télé ne suffit pas pour ouvrir une issue politique à un mécontentement et une révolte qui peuvent se transformer en ressentiment et hargne et profiter à d’autres. Les exemples européens de l’Italie du Nord, de la Suisse, etc. devraient servir d’avertissement. Il n’y a plus une minute à perdre pour avancer vers un nouveau rassemblement de la gauche socialiste, républicaine, à la fois réformiste, prête à gouverner mais fidèle à la défense des intérêts des classes sociales opprimées.

Denis Collin, philosophe.




- Source : La sociale www.la-sociale.net




Grève SNCF : vous avez dit privilégiés ? Ou la nécessité de distinguer les privilèges bateaux des bateaux des privilégiés, par Jacques Gaillard.




Casse régimes spéciaux de retraite SNCF, RATP, EDF = début de l’offensive de Sarkozy contre l’ensemble du salariat, par Jean-Jacques Chavigné.



Régimes spéciaux : une bataille décisive« c’est la plus difficile des réformes, puisqu’elle concerne ceux qui ont le pouvoir de blocage le plus fort. Si elle réussit, le reste suivra. », La Riposte.






[1Depuis, le même Hollande s’est déclaré favorable au passage général à 41 annuités comme le demande le rapport du COR et comme l’avait prévu la réforme Fillon de 2003.

[2Dans les autres secteurs concernés par la réforme des régimes spéciaux comme EDF/GDF, la grève n’a duré qu’une seule journée...


URL de cet article 5743
  

Même Thème
« Les déchirures » de Maxime Vivas
Maxime VIVAS
Sous ce titre, Maxime Vivas nous propose un texte ramassé (72 pages) augmenté par une préface de Paul Ariès et une postface de Viktor Dedaj (site Le Grand Soir).. Pour nous parler des affaires publiques, de répression et d’impunité, de management, de violences et de suicides, l’auteur (éclectique) convoque Jean-Michel Aphatie, Patrick Balkany, Jean-Michel Baylet, Maïté Biraben, les Bonnets rouges, Xavier Broseta (DRH d’air France), Warren Buffet, Jérôme Cahuzac, Charlie Hebdo, Jean-François Copé, (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

Quand je suis arrivé au pouvoir, les multinationales recevaient 82% des revenus de nos matières premières et nous 18%. Aujourd’hui c’est l’inverse ! J’ai fait ce qu’il y avait à faire pour mon peuple. J’attends maintenant qu’on m’assassine comme ils ont fait avec Chavez.

Evo Morales, Président de la Bolivie

Lorsque les psychopathes prennent le contrôle de la société
NdT - Quelques extraits (en vrac) traitant des psychopathes et de leur emprise sur les sociétés modernes où ils s’épanouissent à merveille jusqu’au point de devenir une minorité dirigeante. Des passages paraîtront étrangement familiers et feront probablement penser à des situations et/ou des personnages existants ou ayant existé. Tu me dis "psychopathe" et soudain je pense à pas mal d’hommes et de femmes politiques. (attention : ce texte comporte une traduction non professionnelle d’un jargon (...)
46 
Reporters Sans Frontières, la liberté de la presse et mon hamster à moi.
Sur le site du magazine états-unien The Nation on trouve l’information suivante : Le 27 juillet 2004, lors de la convention du Parti Démocrate qui se tenait à Boston, les trois principales chaînes de télévision hertziennes des Etats-Unis - ABC, NBC et CBS - n’ont diffusé AUCUNE information sur le déroulement de la convention ce jour-là . Pas une image, pas un seul commentaire sur un événement politique majeur à quelques mois des élections présidentielles aux Etats-Unis. Pour la première fois de (...)
23 
"Un système meurtrier est en train de se créer sous nos yeux" (Republik)
Une allégation de viol inventée et des preuves fabriquées en Suède, la pression du Royaume-Uni pour ne pas abandonner l’affaire, un juge partial, la détention dans une prison de sécurité maximale, la torture psychologique - et bientôt l’extradition vers les États-Unis, où il pourrait être condamné à 175 ans de prison pour avoir dénoncé des crimes de guerre. Pour la première fois, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, Nils Melzer, parle en détail des conclusions explosives de son enquête sur (...)
11 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.