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Tunisie, Egypte, Afrique : quand les Etats-Unis reprennent la main.

Cela fait plusieurs jours que je tente d’analyser les évènements qui se produisent en Afrique, sans qu’il me soit vraiment possible de me réjouir de la situation. Alors même que les médias se gargarisent d’images "choc" , que les politiques rivalisent d’ingéniosité pour faire avaler leurs commentaires scabreux, que les analystes évoquent la "contagion" libertaire qui menace le monde Arabe, il y a tout de même quelque chose qui cloche dans tout cela.

Comment peut-on croire que des gouvernements (et en premier lieu la France) possédant une armée de diplomates, des capacités de renseignement à la pointe, ainsi que des relations commerciales poussées puissent ne pas avoir vu que des présidents élus depuis 20 et 30 ans sont des dictateurs, ou que la corruption (à laquelle ils participent généreusement depuis toujours) était telle qu’elle allait bien finir par pousser les ventres creux à la révolte ?

Non, on ne peut pas le croire. C’est aller trop loin dans la double-pensée. On peut sans doute imaginer que les évènements se sont précipités, mais certainement pas affirmer qu’ils étaient imprévisibles. La seule chose que l’on puisse vraiment se demander, c’est pourquoi nos gouvernants ont si vite retourné leur veste, qui d’ailleurs craque un peu aux entournures… Après avoir avant-hier proposé l’aide sécuritaire à la Tunisie, le président Français appelait hier à repecter la voix de la rue (lui qui la méprise en France), pour aujourd’hui appeler à la modération face aux évènements, sans affirmer clairement son soutien au peuple égyptien.

En réalité, c’est comme si un évènement imprévu s’était produit lors de la révolution tunisienne, et que les pays européens s’étaient trouvés dans l’incapacité de savoir réagir au bon moment. Cet imprévu, on commence à en parler, serait d’origine américaine, et nous revoilà … en plein complot ! Mais que viennent donc faire les Etats-Unis dans tout cela ? rien de bien nouveau en définitive, car cela s’est déjà produit maintes et maintes fois au cours des temps : aujourd’hui il y a la crise, et puis il y a la Chine…auxquels est venu s’ajouter un troisième facteur, le danger islamiste.

La crise économique, qui a fragilisé les Etats riches comme l’Europe et les Etats-Unis, a laissé la Chine en position victorieuse, et sans doute son intérêt pour l’Afrique (et ses ressources formidables comme au Congo) n’y est pas étranger. C’est qu’en à peine quelques années, les financements Chinois ont peu à peu remplacé ceux des anciens colons, jusqu’à mettre la domination européenne en difficulté. Les capacités de corruption chinoises lui ont permis, en plus des précédentes donc, de faire main basse sur des ressources qui deviendront dans les prochaines années vitales pour le monde entier. En enrichissant les dictateurs alentour, en remettant en route une nouvelle sorte d’esclavagisme moderne, le capitalisme a favorisé la baisse des droits sociaux et des salaires de ceux qui ont, de tout temps, payé un lourd tribut à ce système injuste. Les futurs drames sanitaires concernant l’uranium et d’autres ressources pillées sont les seuls faits expliquant la "croissance économique" de ces pays, riches de ressources mais restés pauvres du fait de la corruption. Cette pression exercée sur les salaires pèse sur les peuples exploités, mais également sur l’ensemble des droits sociaux à travers le monde, ce qui entraîne chez les plus pauvres la colère du désespoir, capable d’exploser à la moindre étincelle.

Ceux qui veulent voir un lien entre Davos et les évènements en Afrique ne doivent pas s’y tromper : la hausse du prix des matières premières et la dérégulation des marchés sont également responsables des rébellions dans ces pays (il n’y a qu’à regarder les cours de bourse, ou la notation des agences au sujet de l’Egypte). Pour les Etats-unis, ils constituent l’occasion rêvée de reprendre en main la partie, car leur "soutien" peut leur permettre de remettre le pied en Afrique, et de placer leurs pions (comme monsieur El Baradei ?) sous prétexte sécuritaire… rien de bien nouveau, comme je le disais.
Ensuite, on peut faire le lien entre les évènements qui se produisent en Egypte et la situation israélo-arabe. Hier on apprenait qu’Israël recommandait aux Etats-Unis et à l’Europe de soutenir le "président" Egyptien, et renforçait la sécurité sur les frontières communes. Le danger islamiste, épouvantail bien connu maintenant, revient par la petite porte quand certains évoquent la prise du pouvoir par les Musulmans, renforçant au passage l’amalgame entre Islam et islamisme, et niant les véritables exigences populaires des principaux concernés. Sous cette apparente contradiction (Les Etats-Unis soutiennent la révolution et Israël soutiennent le pouvoir égyptien) peut en réalité se cacher le point d’orgue d’un complot qui viserait d’une part à s’emparer des ressources africaines en y installant leurs propres marionnettes, et d’une autre à provoquer avec l’Iran les tensions nécéssaires pour, qui sait, le pousser à la faute.

Après cela, on peut du même coup expliquer la crise comme un coup des Etats-Unis qui voudraient reprendre le jeu en main, avec l’europe sous leur coupe, pour pouvoir jouer la partie du dollar contre le yen, ou le bancor. La Chine résiste, et Nicolas Sarkozy, en tant que président au G20, s’est prononcé en faveur du dollar. Chacun se positionnant selon ses intérêts, il semble que la géopolitique mondiale se prépare à redistribuer les cartes, avec les Etats-Unis comme croupier . Car en se retirant du terrain monétaire, ils peuvent jouer leur «  va-tout » sur l’Afrique en utilisant la peur de l’islamisme, l’iran pas loin, et les ressources africaines reprises en main… contre la puissance Chinoise bien sûr, mais avant tout contre l’Afrique elle-même.

Validant ainsi le grand principe énoncé par George Orwell : «  on n’établit pas une dictature pour sauver une révolution, on fait une révolution pour établir une dictature »

Caleb Irri
http://calebirri.unblog.fr

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COMMENTAIRES  

04/02/2011 14:57 par darichicode
04/02/2011 20:33 par Samuel Moleaud

Une analyse que je partage. Bon article. C’est non seulement triste de voir que les révolutions sont toujours récupérées (les élites ne vont pas déserter leurs sièges comme ça), mais aussi que ce qui se passe en ce moment n’est qu’un tour de passe-passe, non l’émancipation des peuples, comme ce que semblent penser la majorité des preneurs médiatiques de position (gauche comprise).

Un article ci-dessous, que je trouve, pas mal : http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/wesner-est-arrive-e-e-en-se-88241

05/02/2011 00:51 par Anonyme

Finalement, les millions d’insurgés tunisiens et égyptiens ne sont que des pions sur un échiquier géopolitique, et nous aussi, tous des merdes, c’est d’ailleurs ce qu’on nous apprend dès le plus jeune âge. L’Histoire se joue dans la cour des grands...

Aaah vraiment merci Caleb.

05/02/2011 01:36 par EW

Ok, mais à ce moment là pourquoi notre gouvernement aurait laissé MAM tenir ses propos alors que nous pouvions sans risque jouer le jeu en soutenant le peuple tunisien dans la mesure où le jeu était déjà fait ? (tout comme nous soutenons plus ou moins le peuple égyptien aujourd’hui)

Ainsi dans l’hypothèse de ce complot nous pouvions tout de même nous en laver les mains, redorer le blason du "pays des droits de l’homme" face à la scène internationale bien pensante et donc par la même occasion éviter l’opprobre de ce même parterre.

On ne serait plus dans le cadre de la simple boulette diplomatique mais dans la quasi-trahison et ce n’est pas le PS qui demanderait sa démission, elle se serait faites lyncher par son propre parti, ce qui n’est pas du tout le cas puisque celui-ci la soutien, bon an, mal an.

Serait-ce à dire que si complot il y a, nous autres ne l’aurions pas vu venir et que nous nous serions (pour le moins rapidement) ravisés en chemin en prenant bien garde de ne pas nuire aux intérêts américains ?

C’est chelou comme situation ; à mon humble avis il y a autre chose et j’espère que cette chose est simplement le réveil imprévu de peuples soumis ; ce qui en plus de nous redonner un brin d’espoir expliquerait tout autant le déploiement d’énergies occidentales pour rattraper le coup mais reléguant les states au rang de simples opportunistes.

05/02/2011 11:24 par selkedahab

On a l’impression que c’est l’expérience de 1789 qui est en application. tout le monde sait que 1789 a était une révolution bourgeoise mais réalisée surtout par une grande participation du peuple qui a la fin n’avait rien gagner si ce n’ était que le changement et le remplacement de son état de cerf par celui d’ ouvrier et le féodal qui l’exploiter , celui ci est devenu patron .....en plus maintenant on remarque d’une façon flagrante la main des puissances étrangères ainsi que la tendance et l’ orientation qu’ ils veulent imprégner a ces mouvements populaires. Dans l’ état actuel des choses, il y a une crainte de voir une perversion de de la situation , car le régime politique et économique qui est la cause essentielle de la grave crise que traverse l’ humanité entière mais surtout et principalement dans le monde développé ne semble pas être a l’ ordre du jour ni a Davos, ni en Tunisie , et surtout pas en Egypte .!! pour preuve l’ intervention des usa dans les affaires égyptiennes et maintenant dans les affaires tunisiennes pose question ??? En effet depuis quand les fiascos impérialistes et sionistes pensent au peuple ????...Si ces mouvements allaient dans le sens de l’ instauration d’un régime politique et économique de type socialiste , ils auraient tout fait pour maintenir au pouvoir les dictateurs qu’ ils ont soutenus par le passé ?? mais comme ils savent très bien ,puisqu’ ils sont derrière cet impresario, que le système libéral n’est pas en danger , alors ils font semblant de jouer aux démocrates sensibles aux aspirations du peuple en allant protester chez Moubarak et en allant jouer un rôle de médiateur en tunisie alors que personne ne le leur a demandé ......? et Obama ferait mieux de rappeler ses GI’s qui tuent a tord et a travers au Pakistan en Irak ,en Afghanistan , et qu’ il ferait mieux de s’ occuper de ses 80 millions d’ américains qui vivent dans la misère totale au lieu d’ envoyer ses diplomates se mêler de choses qui ne les regarde pas !!!! Bien sur ,la tunisie était comprise dans le plan de déstabilisation a la même période que l’ Algérie entre 1985 et 2000 , nous l’ avons déjà dis ,ben Ali n’est pas tombé dans le piège US-saoudien, il avait choisi de réprimé le mouvement islamiste ce qui a l’ époque convenait parfaitement aux français, mais n’ était pas par contre du gout des USA parce que , eux avec les saoudiens avaient un autre objectif que le choix de Benali a du les obliger a décaler dans le temps.. Il y a un dessin de diviser le Maghreb y compris le sahel et ,pour çà il faut que les gouvernants dans cette zone aient des divergences entre eux , comme le problème du Sahara occidental qui divise depuis 40 ans algériens et marocains , il faut qu’ en tunisie ,au Niger , au mali ,en Mauritanie, en Libye et bien sur,meme en egypte les peuples se méprisent , ces plans sont dans leurs phases d’exécutions, les USA et maintenant les français sont les maitres du jeu. Si ces mouvements changent de trajectoires, ils rendront services aux plans des gringos. voila le danger que doivent craindre les maghrébins ,mais qui malheureusement arrange beaucoup le roi VI du Maroc.....

06/02/2011 22:06 par Anonyme

Pour ce qui est de votre analyse des intérêts en jeu en Afrique et des acteurs qui se disputent ses richesses, je vous recommande la lecture du livre de Pierre PEAN, Carnage, livre où il explique comment il a, récemment, découvert la place et la politique d’Israël sur ce continent. Ce qui permet de mieux comprendre les atermoiements et les tiraillements actuels, et les évidentes contradictions des prises de positions successives d’Obama et de ses divers conseillers et collaborateurs.

Quand aux prises de position de notre brillant chef d’état à nous, concernant l’Egypte, elles n’ont fait que suivre et reproduire celles d’Obama. Gageons que demain nous allons apprendre que Moubarak est un ami qui mérite d’être ménagé, et que la démocratie égyptienne doit impérativement et constitutionnellement passer par les élections de septembre.

Le problème, c’est que malgré toutes les précautions du régime égyptien, elle a été très médiatisée, cette révolution. Et que ceux qui, de par le monde, en suivent les péripéties avec passion, sont bien plus nombreux que ceux qui ont eu la possibilité de participer aux manifestations de solidarité organisées dans quelques grandes villes.

De la réussite ou de l’échec des révolutions tunisienne et égyptienne risquent de dépendre beaucoup d’autres mouvements en faveur d’un autre monde possible, et pas seulement en Afrique.
C’est pourquoi il me semble que nous devons les soutenir sans restrictions, plutôt que de paranoïer, les uns sur les risques d’aboutir à une république islamique, les autres de faire le jeu des USA.

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